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Le rapport Chilcot sur l’Irak : Un crime de guerre de l’impérialisme britannique et américain

Par Julie Hyland
8 juillet 2016

Le rapport de l’enquête Chilcot publié mercredi, sur le rôle du gouvernement britannique dans l’invasion de l’Irak dirigée par les États-Unis en 2003, fournit une confirmation dévastatrice du caractère illégal de la guerre et du rôle criminel des responsables britanniques et américains, qui l’organisèrent et la dirigèrent.

Les conclusions de l’enquête menée par Sir John Chilcot ont été émises sept ans après que l’enquête fut lancée. Le rapport de 2,6 millions de mots et 13 tomes couvre les décisions politiques prises par les services gouvernementaux, militaires et du renseignement britanniques entre 2001 et 2009. L’enquête n’a aucun pouvoir judiciaire, et toute conclusion sur la légalité de l’invasion fut spécifiquement exclue par le gouvernement travailliste de Gordon Brown qui l’a créé.

Néanmoins, ce rapport fournit une preuve concluante du fait que les responsables de la guerre ont le sang de centaines de milliers personnes, sinon des millions, sur les mains.

Cela vaut non seulement pour le Premier ministre travailliste de l’époque, Tony Blair, qui a fonctionné en Grande-Bretagne comme menteur en chef pour l’invasion et, en tant que tel, figure grandement dans le rapport. Par extension, elle constitue également une mise en accusation des principaux architectes de la guerre aux États-Unis : l’ancien président George W. Bush, l’ancien vice-président Dick Cheney, l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et d’autres, ainsi que tous les hauts fonctionnaires qui ont soutenu la guerre, y compris l’actuelle candidate présumée du Parti démocrate à la présidence, Hillary Clinton.

Des témoignages personnels, des documents confidentiels et des notes privées confirment que Blair a choisi de soutenir une guerre américaine contre l’Irak, qui avait été préparée au moins depuis le début de l’année 2002 tout en affirmant publiquement qu’il n’y avait pas de tels plans.

L’invasion qui a commencé le 20 mars 2003, a eu lieu avant que les « options pacifiques pour le désarmement » aient été épuisées, fait remarquer Chilcot. Confirmation accablante, il déclare : « L’action militaire à cette époque n’était pas un dernier recours ».

L’Irak de Saddam Hussein ne présentait pas une menace « imminente » à l’époque, et les affirmations selon lesquelles l’Irak possédait des armes de destruction massive (ADM) « n’étaient pas fondées ». L’invasion a été lancé sur la base d’évaluations « imparfaites » du renseignement qui n’ont pas été contestées quand elles auraient dû l’être, affirme Chilcot.

Ces faits en eux-mêmes démontrent que l’invasion était une violation éhontée du droit international. Mais la réalité est beaucoup plus condamnable.

Le rapport Chilcot comprend une version déclassifiée du « Downing Street Memo », procès-verbal d’une réunion de juillet 2002 entre Blair et d’autres hauts responsables où le chef du renseignement britannique a explicitement reconnu que « Bush voulait renverser Saddam, par l’action militaire, justifiée par la conjonction du terrorisme et des ADM. Mais les renseignements et les faits étaient orientés vers de cette politique ».

En d’autres termes, on fabriquait un faux prétexte pour justifier une guerre non provoquée, et ils en étaient tous conscients.

L’argumentation juridique pour une action militaire du Royaume-Uni était « loin d’être satisfaisante », déclare Chilcot. De plus, alors que Blair attaquait la France parce qu’elle ne soutenait pas une deuxième résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies autorisant une action militaire, « nous [l’enquête] considérons que le Royaume-Uni portait, en fait, atteinte à l’autorité du Conseil de sécurité ».

Le rapport constate que l’invasion a échoué dans ses objectifs. Il note : « Les risques de conflits internes en Irak, la poursuite active iranienne de ses intérêts, l’instabilité régionale, et l’activité d’Al-Qaïda en Irak ont toutes été identifiées explicitement avant l’invasion ».

Non seulement 176 soldats britanniques furent tués (avec 4491 soldats américains) et plusieurs milliers horriblement blessés, mais « Le peuple irakien a beaucoup souffert ». Selon les estimations les plus fiables, le nombre de vies irakiennes perdues à cause de la guerre est d’environ 1 million. On estime que 5 millions de personnes ont été chassées de leurs maisons. Le pays reste en proie à des conflits sectaires sanglants et à des difficultés économiques et sociales extrêmes.

De tous ceux traduits devant la Cour pénale internationale de La Haye au cours des dernières années, tels que le président Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire et le président soudanais Omar el-Béchir, aucun n’est responsable de seulement une fraction des morts causées par Blair et Bush.

L’enquête Chilcot constitue une mise en accusation de la politique menée par l’impérialisme américain et britannique au cours des 15 dernières années. Ses dimensions génocidaires sont mises en évidence par les catastrophes infligées à l’Afghanistan, à l’Irak, à la Libye et à la Syrie, qui ont servi seulement à renforcer le sectarisme et le fondamentalisme islamiste.

Le verdict devrait être assez clair : Blair, Bush, etc sont des criminels de guerre. Avec leurs complices, ils devraient être traduits en justice sur le champ.

Les procès de Nuremberg organisés après la Seconde Guerre mondiale étaient clairs et sans équivoque dans leur principale conclusion : l’utilisation de la guerre à des fins politiques qui ne peuvent pas être justifiées par la menace d’attaques imminentes constitue le plus odieux des crimes de guerre. Bush et Blair sont aussi coupables que les 12 accusés nazis condamnés à mort par pendaison.

Les conclusions de Chilcot comprennent des notes précédemment secrètes de Blair à Bush (celles envoyées de Bush à Blair ont été gardées secrètes à la demande de Washington) qui montrent clairement que le véritable motif derrière la guerre n’était pas la menace des armes de destruction massive ou du terrorisme, mais, comme ce fut le cas avec les dirigeants du Troisième Reich, la domination mondiale. Quelques jours après l’invasion, Blair se réjouissait de cet acte d’agression militaire, déclarant que c’était une opportunité d’établir « le véritable ordre mondial suite à la fin de la guerre froide. »

La réaction de la plupart des familles de soldats britanniques tués dans le conflit en Irak mérite d’être répétée. Sarah O'Connor, dont le frère Bob est mort en Irak en 2005, a déclaré : « Il y a un terroriste dans ce monde dont les gens doivent être conscients, et son nom est Tony Blair, c’est le pire terroriste qui soit ».

Roger Bacon, dont le fils Matthew a été tué à Bassora, a dit, « plus jamais nous ne devons permettre que tant d’erreurs soient permises pour sacrifier des vies britanniques et conduire à la destruction d’un pays sans but positif ».

Mark Thompson, le père de Kevin, tué en 2007, a déclaré que Blair « devrait être privé de tout ce qu’il a pour ce qu’il a fait. Ce fut une guerre illégale. Mon fils est mort en vain. Il est mort sans raison ».

Blair savait « qu’il fabriquait et qu’il déformait » les renseignements, a déclaré Reg Keys, dont le fils Thomas a été tué, tandis que Eddie Hancock, dont le fils Jamie est mort aussi, a appelé à ce que Blair « soit interdit à vie de toute forme de fonction publique, au minimum ».

Ces déclarations honnêtes et sincères sont en contraste frappant avec la réponse de l’establishment politique, qui essaie de dissimuler les implications de l’enquête et de la transformer en un cadre pour mener des guerres plus efficaces à l’avenir.

Le Premier ministre David Cameron a affirmé que, quelles que soient les conséquences de l’Irak, il est « faux de conclure qu’une intervention est toujours mauvaise ».

Le chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn a été l’apologiste le plus lâche de tous. Déplorant la « décision désastreuse » d’envahir l’Irak, il a dit que cela a laissé une « tache » sur le Parti travailliste. Pas une tache assez importante, cependant, pour que Corbyn se sente obligé de mentionner ne serait-ce que le nom de Blair, et encore moins de suggérer son expulsion du Parti travailliste.

Cela a ouvert la voie à la réponse arrogante et belliqueuse de Blair au rapport, où il a cherché non seulement à défendre les crimes passés, mais à en justifier de nouveaux. « Le monde a été et est, à mon avis, un lieu meilleur sans Saddam Hussein », a-t – il dit.

Dans un communiqué annoncé depuis son ranch du Texas, l’ancien président américain George W. Bush a fait écho aux remarques de M. Blair, déclarant que « le monde entier va mieux sans Saddam Hussein ».

Ce que ces sociopathes meurtriers disent en fait c’est que le « monde va mieux » sans le million de personnes anéanties par leur guerre.

La réponse aux conclusions de l’enquête, non seulement de Bush et Blair mais de l’ensemble de l’establishment politique des deux côtés de l’Atlantique, montre clairement que la lutte pour la vérité et la justice – et l’indemnisation du peuple irakien – ne peut avancer que par une lutte contre la classe dirigeante capitaliste.

Le rapport Chilcot a été publié dans le contexte d’une escalade du militarisme impérialiste, non seulement au Moyen-Orient, mais de plus en plus contre la Russie et la Chine. Les préparatifs d’une troisième guerre mondiale ont progressé rapidement au cours des sept années de délibérations de la commission d’enquête.

Les enseignements de cette enquête confirment la conclusion essentielle du Comité international de la Quatrième Internationale dans sa déclaration « Le socialisme et la lutte contre la guerre », publiée le 18 février, 2016 : « La lutte contre la guerre doit être fondée sur la classe ouvrière, la grande force révolutionnaire de la société, derrière laquelle doivent s’unir tous les éléments progressistes de la population. »

(Article paru en anglais le 7 juillet 2016)