Les États membres de l’UE font un pas important vers une armée européenne
Par Peter Schwarz
15 novembre 2017
L’Union européenne a fait un pas important vers le développement de la capacité de faire la guerre à l’avenir indépendamment et, si nécessaire, contre les États-Unis.
Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de 23 des 28 États membres de l’UE ont signé lundi à Bruxelles un document-cadre sur une politique de défense commune. Avec la Grande-Bretagne, qui quittera l’UE en 2019, seuls quatre petits pays – le Danemark, l’Irlande, Malte et le Portugal – n’ont pas signé l’accord. Cependant, ils peuvent encore le faire à tout moment.
Avec l’accord sur la Coopération structurée permanente (CSP), les États de l’UE se sont engagés à coopérer étroitement dans le développement et l’achat d’armes, et à mettre à disposition des troupes et du matériel pour des interventions militaires conjointes.
« La CSP est un cadre juridique européen ambitieux, contraignant et inclusif pour l’investissement dans la sécurité et la défense du territoire et des citoyens de l’UE », indique le document. La question clé est de rendre l’Europe plus efficace, capable d’agir et plus rapidement, a déclaré un représentant du ministère allemand de la Défense.
L’accord signifie une escalade du militarisme européen. La première des 20 conditions auxquelles toutes les parties doivent s’engager est une augmentation régulière des dépenses militaires. Au moins 20 % de ce montant doit être affecté à l’achat de nouvelles armes. Pour sa part, l’UE a l’intention de contribuer à hauteur de 500 millions d’euros par an et 1 milliard d’euros après 2021 à des projets d’armement conjoints.
Des détails concernant la forme de coopération seront élaborés au cours des prochaines semaines. Il y a actuellement 47 propositions de projets communs. Il s’agit notamment d’un corps d’intervention conjoint, de la création d’unités de combat multinationales, d’un « centre d’excellence » commun pour les missions de formation européennes, de plans de précaution pour des interventions militaires dans diverses régions du monde, d’une zone militaire Schengen, qui permettrait le déploiement rapide de troupes et d’armements lourds sans obstacles bureaucratiques, de reconnaissance par satellite conjointe, d’un commando médical européen et de centres logistiques communs. Dix de ces 47 projets doivent être lancés en décembre.
Les moteurs de la CSP sont l’Allemagne et la France. Ces derniers mois, Berlin, Paris et Bruxelles ont promu le projet en organisant six ateliers. Dans un discours prononcé à l’Université de Paris – Sorbonne en septembre, le président français Emmanuel Macron a déclaré : « Au début de la prochaine décennie, l’Europe doit disposer d’une force d’intervention commune, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune d’action. »
La ministre allemande de la Défense, Ursula Von der Leyen, a déclaré que la signature de la CSP était « un grand jour pour l’Europe ». Les parties faisaient « un pas de plus vers une armée pour l’Europe. »
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, a qualifié cet accord d’« historique ». Il s’agissait d’un « grand pas vers l’indépendance et le renforcement de la politique de sécurité et de défense de l’UE ». Il s’attendait à ce que la CSP ait comme résultat une croissance majeure des capacités militaires.
L’Europe dépense actuellement la moitié de l’argent que les États-Unis consacrent à leurs forces armées, a-t-il dit, mais n’en atteint qu’une capacité de 15 % de celle de ce pays. Une coopération plus étroite pourrait entraîner une amélioration.
Berlin, Paris et Bruxelles cherchent à montrer que la coopération militaire de l’UE est complémentaire de l’OTAN plutôt qu’en opposition à elle. L’accord CSP lui-même stipule : « La capacité militaire renforcée des États de l’UE sera également utile à l’OTAN. Il en renforcera le pilier européen et servira à répondre aux demandes répétées d’un partage plus important de la charge transatlantique. »
Von der Leyen a également cherché à nier toute opposition à l’OTAN. L’alliance transatlantique serait toujours responsable de la défense nationale et collective, tandis que l’UE, avec sa « sécurité en réseau », exécuterait des tâches qui ne font pas partie du mandat de l’OTAN, comme « l’aide » aux États africains.
Ça n’a pas de sens. Les commentateurs sont généralement d’avis que deux événements clés ont encouragé la mise en œuvre de plans longuement discutés mais frustrés à plusieurs reprises pour une armée européenne : l’élection de Donald Trump et le Brexit.
Une première tentative de fonder une Communauté européenne de défense échoua en 1954 face à l’opposition française. Aucune autre tentative n’a été faite depuis plusieurs décennies. Au tournant du nouveau siècle, les efforts pour établir une coopération militaire plus étroite ont échoué en raison de la résistance de Londres, qui, en tant qu’allié le plus proche de Washington, voulait empêcher l’émergence d’une organisation concurrente de l’OTAN.
La politique de « L’Amérique d’abord » de Trump a accentué les tensions entre les États-Unis et l’Europe. La politique américaine au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est est perçue à Berlin et à Paris comme une attaque contre leurs intérêts, et l’Amérique, l’Europe et la Chine se battent entre elles pour l’influence en Afrique. Ce n’est que dans les préparatifs de la guerre avec la Russie que les puissances européennes et les États-Unis coopèrent étroitement par l’intermédiaire de l’OTAN. Mais même ici, il existe des différences tactiques sur la portée du conflit.
En même temps, le Brexit a retiré de l’UE l’opposant le plus important à une armée européenne.
L’accord CSP ne signifie pas que tous les conflits à l’intérieur Europe aient été surmontés, et que l’Allemagne et la France vont dorénavant suivre la même ligne. Même avant l’accord, de fortes divergences ont émergé.
Alors que Paris souhaitait restreindre l’accord à un petit groupe exclusif d’États disposant de grandes armées capables d’intervenir de manière décisive dans une situation de crise, Berlin prônait le plus large éventail possible de participants, avec un large éventail de tâches. C’est l’Allemagne qui a prévalu.
Des décisions unanimes étant nécessaires, le mécanisme de la prise de décision sera difficile. Mais Berlin craignait que les États d’Europe de l’Est, de plus en plus dominés par le sentiment nationaliste et anti-UE, ne s’alignent sur les États-Unis.
L’énorme hausse des dépenses militaires liée à la PESCO va exacerber les tensions de classe en Europe. Les élites dirigeantes répondent déjà aux tensions de classe dans tous les pays européens avec un renforcement important de l’appareil de répression étatique. C’est ce qui encourage les forces de droite et nationalistes, et qui déchire l’UE.
En dernière analyse, les tensions croissantes entre les États-Unis et l’Europe « ne sont pas simplement le produit des politiques nationalistes extrêmes de l’occupant actuel de la Maison Blanche », a écrit le World Socialist Web Site dans sa Perspective du 2 juin 2017 intitulée « Le grand écroulement : la crise de l’ordre politique mondial ».
L’éditorial se poursuivait : « En fait, ces tensions proviennent de profondes contradictions entre les grandes puissances impérialistes, qui deux fois au siècle dernier ont provoqué des guerres mondiales
« Les réactions au voyage de Trump en Europe témoignent non seulement d’une crise de l’impérialisme américain, mais du capitalisme mondial. Aucun des rivaux de Washington – l’UE, haïe pour sa politique d’austérité ; le régime de droite, économiquement moribond, au Japon ; on l’oligarchie capitaliste post-maoïste au Chine – n’offre une alternative progressiste.
« Quelqu’un qui affirmerait qu’une coalition de ces puissances pourra stabiliser le capitalisme et bloquer l’émergence de conflits commerciaux et de guerres inter-impérialistes, parierait gros contre l’Histoire. »
Le réarmement de l’Europe le confirme. Seule la construction d’un mouvement international anti-guerre fondé sur la classe ouvrière et luttant pour un programme socialiste et le renversement du capitalisme peut éviter la catastrophe d’une autre guerre mondiale.
(Article paru en anglais le 14 novembre 2017)