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Les processus mondiaux derrière la crise parlementaire australienne

Par James Cogan
18 novembre 2017

La politique officielle en Australie est dans la tourmente. Le 27 octobre, la Haute cour a décrété que cinq membres élus du parlement, y compris le vice-Premier ministre, étaient inéligibles pour siéger au parlement parce qu’ils avaient une double nationalité.

Le tribunal a confirmé l’interprétation la plus littérale d’une clause de la Constitution de 1901 interdisant à quiconque « reconnaissant son allégeance, son obéissance ou son adhésion à une puissance étrangère », ou « jouissant des droits ou privilèges d’un sujet ou d’un citoyen d’une puissance étrangère », de se porter candidat pour un siège au parlement.

La décision unanime des sept juges a affirmé que les membres du parlement ne pouvaient pas avoir de « loyauté ou obligation étrangère ». La cour a approuvé la position que les politiciens doivent avoir une loyauté « unique » envers l’Australie.

Depuis la décision de la Haute Cour, trois autres parlementaires ont démissionné parce que leurs parents étaient nés en Grande-Bretagne et peuvent donc prétendre à la citoyenneté dans la « puissance étrangère » qui a colonisé le continent et dont le monarque est aussi la reine d’Australie.

Dans un accord conclu entre le gouvernement de coalition libéral-nationale et le parti travailliste d’opposition, tous les députés doivent maintenant fournir une déclaration d’ici le 1ᵉʳ décembre. Tous les membres doivent jurer avoir renoncé à leur citoyenneté d’un autre pays, non seulement celle du pays où eux-mêmes ou leurs parents sont nés, mais aussi celles auxquelles ils peuvent prétendre par leurs grands-parents ou même par le mariage.

30 des 226 membres des deux chambres du parlement peuvent ainsi être contraints de quitter leur poste. Même avant l’exode probable à l’approche du 1ᵉʳ décembre, les partis de la coalition ont déjà perdu leur majorité usée d’un siège à la chambre basse dont ils ont besoin pour gouverner. Les Verts, ainsi que d’autres dans l’establishment politique, ont suggéré d’appeler le gouverneur général – le chef d’État non élu – à utiliser les pouvoirs dignes d’une dictature accordés à sa fonction pour dissoudre le parlement et ordonner de nouvelles élections.

La situation a laissé la plupart des Australiens, sans parler des observateurs internationaux, complètement déconcertés. Le pays est l’un des plus culturellement diversifiés de la planète. Sa population est passée d’à peine sept millions en 1945 à près de 25 millions aujourd’hui, comme résultat direct d’une immense migration. Selon la loi australienne, trois millions de personnes ont droit à une double nationalité australienne et britannique. Des millions d’autres peuvent revendiquer une double nationalité australienne et néo-zélandaise ou italienne, grecque et des dizaines d’autres de pays d’où les gens ont émigrés dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.

Les banlieues ouvrières des grandes villes telles que Sydney et Melbourne sont un véritable « creuset ». Les lieux de travail, et en particulier les terrains de jeux des écoles du pays, témoignent du fait que des personnes d’origines ethniques, linguistiques et religieuses différentes peuvent vivre et interagir dans la fraternité et l’harmonie, à condition qu’elles ne soient pas désorientées et divisées par le racisme et le nationalisme.

Pourtant, en 2017, l’intervention de la Haute cour implique précisément une séparation en fonction des origines. Les membres du parlement sont la cible initiale d’une sinistre chasse aux sorcières. La véritable cible, cependant, est la classe ouvrière qui est ethniquement et culturellement diverse. Le tribunal, la branche judiciaire suprême de l’État capitaliste a décrété que la moitié de la population est « non australienne » jusqu’à ce qu’ils prouvent qu’ils ont « une loyauté sans partage » en renonçant à cette prétendue « allégeance » au pays dans lequel ils, leurs parents ou leurs grands-parents sont nés.

L’importance de ce qui se déroule ne peut être comprise que lorsque cela est évalué dans le contexte des processus économiques et politiques mondiaux.

La vaste mondialisation de la production qui a eu lieu au cours des 40 dernières années n’a pas conduit à une diminution des antagonismes et des conflits nationaux. Cela a abouti à l’opposé complet. Le point a été atteint où l’impérialisme américain – dirigé par la figure dégénérée de Donald Trump – menace ouvertement la Chine, l’Allemagne, le Japon et d’autres rivaux économiques de guerre commerciale. Comme dans les années 1930, la rupture des relations économiques internationales est le prélude au conflit militaire.

L’hystérie patriotique en Australie n’est qu’une expression des tendances universelles et mondiales. Dans tous les pays, l’élite capitaliste attise la xénophobie contre les « étrangers » alors qu’ils se préparent, dans le dos des masses, à la guerre. Le nationalisme est le moyen idéologique par lequel la classe dirigeante tente d’empoisonner les esprits de la majorité ouvrière en leur faisant croire qu’elle partage des intérêts communs avec une infime minorité de patrons oligarques ultra-riches.

Paul Kelly, l’éditeur en chef de l’Australian de Rupert Murdoch, a souligné l’importance primordiale d’exiger une allégeance incontestée à la nation dans un commentaire la semaine dernière. Il a dénoncé toute suggestion visant à modifier la constitution afin de permettre aux binationaux de se présenter aux élections parlementaires comme un « projet d’ingénierie sociale visant à affaiblir la souveraineté australienne au nom de l’internationalisme ».

Alors que se développe la lutte mondiale entre les grandes puissances, la politique étrangère australienne est basée sur la conclusion que la guerre entre son allié américain et la Chine pour la domination de la région Asie-Pacifique est inévitable. Les factions dominantes de la classe dirigeante, et à la fois le gouvernement de coalition et l’opposition travailliste, soutiennent l’alignement militaire complet et inconditionnel de l’Australie sur Washington.

Un rapport publié cette semaine par l’Institut pour la politique stratégique australien (ASPI), financé par l’État, démonise la Chine comme une menace pour les intérêts stratégiques américains et australiens. Il observe que la guerre avec la Chine « devrait prendre en considération l’utilisation des armes nucléaires ».

L’Australian a salué le rapport ASPI dans son éditorial du 16 novembre, louant ses auteurs pour n’avoir « pas eu le temps pour les sensibilités diplomatiques qui suggèrent que nos programmes d’acquisition de sous-marins, frégates et missiles de plusieurs milliards de dollars ont un ennemi potentiel autre que la Chine ».

La chasse aux sorcières contre les doubles citoyens au parlement a émergé au milieu d’une agitation constante dans les médias de l’establishment pour que des mesures soient prises contre la prétendue « influence chinoise » dans la politique et la société australiennes. Cela fait partie d’une tentative calculée de créer une atmosphère politique de guerre, où l’on attend de tous les citoyens « loyaux » qu’ils se drapent dans le drapeau australien et démontrent leur fidélité à la nation.

Dans le même temps, l’attisement du patriotisme est motivé par les peurs de l’élite dirigeante. C’est une tentative désespérée de cultiver une base électorale de droite qui défendra la « nation », c’est-à-dire les intérêts de classe des oligarques capitalistes, contre l’irruption inévitable de la lutte de la classe ouvrière contre le danger de guerre et l’inégalité sociale. Les 10 pour cent supérieurs de la population possédant au moins 55 pour cent de la richesse du pays, le un pour cent le plus riche contrôlant la part du lion. Non loin des manifestations ostentatoires de la richesse dans les banlieues portuaires de Sydney, les familles de la classe ouvrière gagnent si peu qu’elles peuvent à peine garder un toit au-dessus de leur tête et se nourrir.

Les conséquences de la crise parlementaire seront le remodelage de la politique officielle. Le système bipartite établi de longue date, dominé par la coalition et le parti travailliste, se désintègre sous l’effet d’énormes tensions géopolitiques et d’antagonismes de classe. Comme c’est le cas en Europe et aux États-Unis, la façade de la démocratie à travers laquelle la classe capitaliste pourrait régner par le passé s’effondre. De plus en plus ouvertement, des préparatifs sont faits pour s’en passer complètement et imposer des mesures dictatoriales.

Les manœuvres de l’élite dirigeante doivent être résolues par l’intervention d’un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière, qui mette en avant un programme socialiste et internationaliste pour remplacer le capitalisme et les divisions nationales. En Australie et à l’étranger, seuls le Comité international de la Quatrième Internationale et le Parti de l’égalité socialiste se battent pour cette perspective.

(Article paru d’abord en anglais le 17 novembre 2017)