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Les négociations achoppent et le fossé se creuse entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne

Par Robert Stevens
20 octobre 2017

Vingt-sept dirigeants de l'Union européenne devaient hier informer la première ministre britannique Theresa May qu'après cinq cycles de négociations sur les termes de sa sortie de l'UE, le Royaume-Uni doit faire de nouvelles concessions.

Au début des négociations il y a six mois, le sommet annuel du Conseil européen avait été fixé comme date à laquelle il était prévu que l'accord sur le premier cycle de négociations soit conclu.

Un projet de déclaration publié la semaine dernière, approuvé par le Conseil européen (CE) représentant les 27 autres pays membres, indique qu'aucun accord n'a été conclu avec le Royaume-Uni dans les trois domaines qu'il avait énoncés lors de la publication de sa stratégie de négociation en avril.

Le CE a alors déclaré que pour progresser vers un accord sur une future relation commerciale avec le Royaume-Uni, les questions suivantes devaient être résolues:

* Les droits de résidence des citoyens de l’UE et du Royaume-Uni après le Brexit

* Le paiement britannique à l'UE dans le cadre de son règlement «du divorce».

* Un accord évitant la création d'une frontière «dure» entre la République d'Irlande – qui est membre de l'UE – et l'Irlande du Nord.

Dans son projet de déclaration, le CE affirme seulement que des progrès ont été accomplis en ce qui concerne les droits des citoyens de l'UE et invite le Royaume-Uni à «tirer parti de la convergence obtenue pour garantir la sécurité juridique et les garanties à tous les citoyens et leurs membres de famille qui pourront exercer directement les droits protégés par l'accord de sortie...»

En ce qui concerne la question de la frontière irlandaise, il note seulement qu'il y a eu «des progrès sur la convergence des principes et des objectifs...» En ce qui concerne «l'évitement d'une frontière ferme», le CE déclare qu'il s’attend à ce que «le Royaume-Uni présente, et s'engage à les mettre en œuvre, des solutions flexibles et imaginatives qu’exige la situation unique de l'Irlande».

En ce qui concerne le règlement financier que le Royaume-Uni doit effectuer, le CE note que «le Royaume-Uni a déclaré qu'il honorera ses obligations financières prises pendant son adhésion», mais cela «n'a pas encore été traduit en un engagement ferme et concret du Royaume-Uni pour régler toutes ces obligations».

Le passage à une deuxième phase de négociations sur le commerce sera réévalué lors de la prochaine session du Conseil européen de décembre, «en vue de déterminer si des progrès suffisants ont été réalisés» pour permettre cela.

Au moment de la publication du document, le négociateur en chef de l'UE, Michel Barnier, a dit sans ambages: «Nous sommes dans une impasse. C'est très inquiétant.»

La position du CE a été rendue publique quelques heures après que le gouvernement de Theresa May a appelé l'UE à assouplir sa position de négociation. Cela confirme que l'UE, sur l'insistance de l'Allemagne et de la France, ne permettra aucune concession à la Grande-Bretagne. La réponse suit le discours prononcé [en anglais] par May à Florence le 23 septembre qui a été médiatisé par Londres comme étant crucial pour sortir de l'impasse dans les négociations avec l'Union européenne, mais qui n'a abouti à rien.

Dans un geste désespéré pour faire avancer les négociations avant le sommet, May a fait une visite surprise à Bruxelles lundi pour des entretiens avec le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Sous la pression du «Brexit dur», de l’aile anti-UE de son Parti conservateur, May n'avait rien de plus à offrir à Juncker qu'un règlement de 20 milliards d'euros.

May a quitté Bruxelles bredouille, avec seulement une brève déclaration commune avec Juncker indiquant que les négociations étaient en cours et «ces efforts devraient s'accélérer au cours des mois à venir».

La première ministre britannique a reçu la même rebuffade de la chancelière allemande Angela Merkel. Le Financial Times a rapporté que Merkel «l'a avertie que l'UE ne commencerait pas à discuter d'un accord de transition avec la Grande-Bretagne avant qu’elle ne mette plus d'argent sur la table». Il a ajouté: «Ce message a été également transmis à Mme May lundi par le président français Emmanuel Macron. Des responsables français ont aussi affirmé que Paris et Berlin sont “parfaitement alignés” sur leur approche du Brexit.»

Alors que May a adopté une position diplomatique à Bruxelles, la position de son gouvernement à l'égard de l'UE – et une indication des rivalités nationalistes déchirant le continent – a été fournie vendredi dernier par son chancelier Philip Hammond qui a déclaré à Sky News: «L'ennemi, les opposants sont là-bas. Ils sont de l'autre côté de la table de négociations. Ce sont les personnes avec qui nous devons négocier, négocier dur pour obtenir le meilleur accord pour la Grande-Bretagne.» Cela avait été précédé d'une déclaration de Juncker affirmant, «Nous Européens devons être reconnaissants pour tant de choses que la Grande-Bretagne a apporté en Europe. Pendant la [Seconde] guerre mondiale, avant la guerre, après la guerre. Partout et à chaque fois. Mais maintenant, ils doivent payer.»

Les tensions ont encore été intensifiées dans les 48 heures qui ont suivi l'échec de la visite de May à Bruxelles.

Le secrétaire du Brexit, David Davis, a déclaré lundi au parlement britannique: «Ils [l'UE] veulent faire durer les choses pour voir s'ils peuvent nous soutirer plus d'argent... C'est franchement cela qui se passe – c'est évident pour tout le monde.» Il a averti que «Nous devons tous reconnaître que nous atteignons les limites de ce que nous pouvons réaliser sans tenir compte de la relation future», ajoutant que «Le maintien de la possibilité qu'il n'y ait pas d'accord est nécessaire pour les négociations et une sécurité raisonnable.»

Mardi soir, Antonio Tajani, président du Parlement européen, lequel doit ratifier tout accord final, a déclaré à Newsnight de la BBC que la Grande-Bretagne aurait à payer beaucoup plus que 20 milliards d'euros. Lorsqu'on lui a demandé si l'UE retardait les pourparlers afin de soutirer des montants financiers plus importants du Royaume-Uni, il a répondu: «20 milliards d'euros sont des clopinettes, 20 milliards de clopinettes... Le problème est 50, 60 [milliards d'euros], c’est la situation réelle... Nous sommes réalistes. Le gouvernement britannique n'est pas réaliste.»

Alors que l’aile favorable à un Brexit dur, dont fait partie David Davis, défend de plus en plus l'idée que l’absence d’un accord avec l’UE demeure une possibilité, le gouvernement a déclaré que des soldats pourraient être mobilisés pour surveiller la frontière de l'Irlande du Nord et de la République d'Irlande. Philip Rutnam, le haut responsable du ministère de l’Intérieur a déclaré, aux côtés d’Amber Rudd, la ministre de l’Intérieur devant la commission parlementaire des Affaires intérieures, que notre «forte préférence est de traiter la question de la frontière et de la sécurité nécessaires par le biais de la police des frontières et c’est sur cette base que notre planification se poursuit [...] toute utilisation de l'armée serait un dernier recours absolu».

Le gouvernement est déchiré entre ses factions pro et anti UE sur le Brexit, et d'autres hauts responsables du gouvernement, dont Rudd, sont opposés à une issue des pourparlers sans accord, ce qu'elle a qualifié d’«impensable».

Ceux qui préconisent la possibilité d’un résultat sans accord avec l’UE sont opposés par la majorité des grandes entreprises et la plupart des députés. Dimanche, le chancelier fantôme du Parti travailliste John McDonnell, l’allié plus proche du chef du parti Jeremy Corbyn, a déclaré à la BBC: «Je ne pense pas que ce soit une option réaliste, cela ne se produira pas. Je ne pense pas qu'il y ait une majorité au Parlement pour une issue sans accord. Ils n'ont pas de majorité parlementaire pour y arriver. Si nous modifions la loi pour que le Parlement ait un vote significatif, cela obligera le gouvernement à négocier et à revenir à la raison.»

McDonnell faisait allusion au prochain débat sur le projet de loi sur la sortie de l'UE, la première étape du départ du Royaume-Uni de l'UE prévue pour mars 2019.

L'ampleur des changements proposés au projet de loi par les deux factions parlementaires (pour ou contre la sortie de l’UE) – 300 amendements et 54 nouvelles dispositions ont été déposés selon le gouvernement – est telle qu'il ne sera pas discuté avant le 13 novembre, après le retour des députés des vacances d'automne. À l'origine, le gouvernement avait l' intention de réintroduire le projet de loi à l’Assemblée juste après la conférence annuelle des conservateurs plus tôt ce mois-ci, pour qu'il y ait la possibilité qu'il soit adopté d'ici le printemps prochain.

Le cabinet ministériel fantôme des travaillistes a présenté plus de 20 amendements au projet de loi et s'oppose à ce qu'il soit adopté sans amendements. Les députés pro-UE dans le groupe interpartis sur les relations européennes dirigé par le travailliste Chuka Umunna en alliance avec Anna Soubry du Parti conservateur, ont déposé des dizaines d'autres amendements, qui, selon le Guardian, «ont suffisamment de signatures des conservateurs pour menacer la majorité parlementaire de Theresa May».

L'un des principaux amendements a été déposé par l'ancien député conservateur Dominic Grieve et neuf autres conservateurs. Soutenu par des membres des autres principaux partis, il stipule que tout accord final doit être approuvé par une loi du Parlement entièrement distincte qui, si elle est votée, signifie que l'aile pro-UE du Parlement aurait l’occasion de s'opposer à un Brexit dur ou à un résultat sans accord.

(Article paru en anglais le 19 octobre 2017)