Fallon, ministre britannique de la défense, démissionne dans un scandale antidémocratique sur la « perversion sexuelle »
Par Julie Hyland
4 novembre 2017
Le ministre de la défense, Sir Michael Fallon, est la première tête bien en vue à tomber dans un scandale sexuel qui engloutit la politique britannique, et qui a pris des dimensions de plus en plus artificielles.
Fallon a démissionné après avoir été obligé de s’excuser d’avoir mis la main sur le genou d’une journaliste il y a 15 ans. Ceci en dépit du fait que la femme impliquée, Julia Hartley-Brewer, ne s’était pas plainte et s’est publiquement dissociée de ce qu’elle a décrit comme une « chasse aux sorcières politique ».
Fallon est parmi les 40 députés conservateurs à figurer dans un « dossier sale » divulgué au journal The Sun de Rupert Murdoch. Si la plupart des noms sont expurgés, il y aurait les noms de six ministres en exercice. Une quinzaine de noms se rapporteraient à des relations consensuelles, tandis qu’un député conservateur est accusé de « textopornographie » visant une jeune femme qui avait postulé pour un emploi, et un autre est le sujet d’une enquête pour avoir demandé à son assistante personnelle d’acheter un sex-toy pour sa femme.
Ce scandale sexuel, si ce terme peut être considéré valable, est né dans la foulée de celui portant sur le producteur de films américain Harvey Weinstein, qui s’est amplifié en touchant Kevin Spacey et Dustin Hoffman. Il est affirmé que Westminster est l’équivalent britannique de Hollywood – un endroit où le harcèlement sexuel et la misogynie sont tellement répandus et enracinés qu’ils ne peuvent être traités qu’en « dénonçant publiquement » les personnes impliquées, sans l’ennui fastidieux d’une procédure judiciaire.
Aucune preuve n’a été fournie pour étayer de nombreuses accusations et, jusqu’à présent, aucune personne n’a été mise en examen.
Faire cette observation ne veut pas dire que Westminster est un bastion de la morale, ou que ces allégations sont entièrement sans fondement. C’est une institution qui a systématiquement dépouillé les travailleurs de tous les droits, les laissant en proie à toutes sortes d’abus, sous le mantra de la survie du plus apte et que « la société n’existe pas » (selon Mme Thatcher).
Fallon lui-même est un va-t-en-guerre de premier plan, dont les menaces belliqueuses d’agression militaire contre la Russie et la Corée du Nord sont allées jusqu’à sa déclaration le mois dernier que la Grande-Bretagne devrait être prête à utiliser des armes nucléaires contre Pyongyang. Pourtant, il a dû quitter son poste à cause d’une action si insignifiante que la femme impliquée n’en a rien pensé, et même avec un certain degré de sympathie publique de son côté. Pendant ce temps, les préparatifs de guerre continuent malgré tout.
Le ministre de l’intérieur Damien Green est également accusé de comportement inapproprié. Kate Maltby, militante politique, journaliste et féministe conservatrice, a détaillé comment elle a cherché l’aide de Green – un ami proche de sa mère – lorsqu’elle a commencé sa carrière. Lors d’une rencontre en 2015 où il a promis de l’aider à avancer, elle a « senti une main fugace contre mon genou – si brève qu’elle était presque niable ».
Ce fut apparemment la cause d’une telle détresse pour Maltby – « Vous n’avez probablement aucune idée comment vous m’avez mise mal à l’aise, gênée dans une situation professionnelle compromise », a-t-elle écrit sur Green dans le Times – qu’ils n’ont plus eu aucun contact avant qu’elle n’ait posée vétue d’un corset pour un journal national et que Green ait envoyé un texte d’appréciation suggérant qu’ils se rencontrent.
Maltby a seulement décidé d’y répondre quand Green a été soudainement promu au poste de vice-premier ministre plus tôt cette année, à l’occasion de laquelle elle lui a envoyé un message indiquant, « j’ai hâte de voir ce que vous allez accomplir au gouvernement ».
Pour cela, Green lutte pour sa survie politique.
Polly Toynbee a écrit dans le Guardian : « Quelle ironie ce serait si un autre bon vieux scandale sexuel parlementaire britannique faisait tomber ce gouvernement et non ce Brexit abominable ou l’extrême souffrance causée par l’austérité ou l’un des actes innombrables de gouvernance atroce dont ils sont coupables depuis 2010. »
L’enjeu implique plus que l’ironie. Serait-ce une simple coïncidence que Green et Fallon soient les principaux alliés politiques du Premier ministre Theresa May – chargés de gérer les luttes intestines entre les partisans pour et contre le Brexit dans le Parti conservateur, qui sont devenues encore plus explosives depuis les élections législatives de juin ?
May a déjà été menacée d’un défi à sa position par ses collègues. Le gouvernement britannique n’a plus que six semaines pour convaincre ses partenaires de l’Union européenne d’entamer des négociations sur les conditions de sa sortie du marché unique, mais il n’y a aucun signe de mouvement. Entre temps, de fausses allégations d’ingérence par la Russie dans le référendum sur le Brexit de l’année dernière ont pris nettement plus d’ampleur avec la Commission électorale britannique qui enquête sur Arron Banks, l’entrepreneur qui a financé les campagnes anti-Brexit.
Quoi qu’il en soit, le côté attrape-tout de ce que l’on a appelé la « révolution culturelle » britannique ou le « nouveau puritanisme » – de faire l’amalgame entre l’activité sexuelle et les actions criminelles – se prête au règlement de comptes à des fins politiques.
Le député travailliste de Sheffield Jared O'Mara est suspendu du parti pour les commentaires en ligne qu’il a écrits il y a plus de dix ans sur les femmes et les homosexuels. Les propos incriminés ont été mis en lumière par le blogueur de droite Guido Fawkes (O'Mara est un partisan du chef du parti, Jeremy Corbyn).
Cette semaine, Bex Bailey a déclaré qu’elle avait été violée lors d’un événement du Parti travailliste il y a six ans par un membre de premier plan, mais qu’un « autre militant » lui a déconseillé de porter plainte.
Bailey est un ancien assistant de Liz Kendall, l’acolyte de Tony Blair, qui s’est présenté face à Corbyn en 2015 pour diriger le parti, et était la représentante des jeunes au Comité exécutif national du Parti travailliste jusqu’à l’année dernière. Bien qu’elle n’ait pas porté plainte pour l’atteinte alléguée, Bailey l’a signalée à la rédactrice politique de la BBC, Laura Kuenssberg, dont le parti pris anti-Corbyn est bien connu.
Les enquêtes internes mises en place par les travaillistes sur de telles accusations servent maintenant à calomnier ceux qui soutiennent Corbyn – et plus particulièrement les idées politiques de gauche ou socialiste – comme des défenseurs du viol.
Suzanne Moore dans le Guardian a déclaré que « de nombreux fidèles de Jeremy Corbyn sont de misogynes désagréables », alors que dans le Telegraph, Zoe Strimpel a affirmé que « l’ascension de Corbyn a donné libre cours au gens de gauche avec des instincts voyous. Et un parti qui épouse les pulsions de voyous va se comporter de manière agressive ».
Quelles que soient les retombées exactes de ces événements, rien de bon n’en résultera. Il y a un courant sous-jacent profondément sinistre, comme il se doit pour une campagne fondée sur l’abandon de la présomption d’innocence.
Andrea Leadsom, la présidente de la Chambre des communes, a été chargée de donner suite à des allégations d’inconduite sexuelle. Leadsom, qui se vante de son admiration pour Margaret Thatcher et de la centralité de sa foi chrétienne (elle prie « tout le temps ») a annoncé qu’elle « mettra la barre très au-dessous de l’activité criminelle » dans le traitement des « comportements inappropriés ».
La journaliste de droite, Melanie Phillips, écrit que le scandale sexuel au parlement est « sérieusement hors de contrôle ». Mais elle le met sur le compte de la « révolution sexuelle et du style de vie libre qui a fait passer le sexe d’une activité privée dans les liens sacrés du mariage en un peu plus qu’un sport récréatif ».
À mesure que les femmes « se sont jetées dans des modes de vie d’immodestie, de promiscuité et de relations sexuelles occasionnelles », cela a conduit à « une augmentation exponentielle des mauvais comportements sexuels masculins », alors que les hommes ont cherché à affirmer leur masculinité », a-t-elle dit.
La réponse est apparemment que les femmes devraient retourner à la cuisine. Phillips est tristement célèbre pour ses pavés anti-musulmanes, habituellement déguisés en défense des droits des femmes. Pourtant, ses commentaires seraient parfaitement acceptables pour les talibans.
Cela parle à des impulsions plus fondamentales. Le terme d’abus est si flou que les noms figurant dans la liste de « perversion sexuelle » comprendrait celui de Amber Rudd la ministre de l’intérieur qui a eu une relation avec un député suite à son divorce, et le député conservateur Jake Berry pour avoir eu un fils avec sa partenaire, qui est aussi une assistante du parti. Un nombre frappant concerne les relations homosexuelles, y compris un député accusé d’avoir des « relations sexuelles avec des hommes qui portent des parfums pour femmes ». On ne peut que supposer que ce ne soit pas le parfum mais l’acte qui est moralement répréhensible.
Un avertissement s’impose ici. Cette campagne lancée au nom de la protection des femmes et des homosexuels, avec le soutien du milieu de la politique identitaire, sera invariablement utilisée pour renverser les droits démocratiques et sociaux et légitimer les idéologies les plus arriérées et les plus réactionnaires.
(Article paru en anglais le 3 novembre 2017)