L’élection britannique en pleines crises et les tâches auxquelles la classe ouvrière est confrontée
Par Chris Marsden
8 juin 2017
La Grande-Bretagne va aux urnes aujourd’hui à la fin d’une campagne électorale inédite. En l’espace de quelques semaines, la prédiction d’une victoire écrasante des conservateurs a cédé la place à des spéculations sur une majorité réduite, un parlement sans majorité ou même d’une victoire du Parti travailliste.
Deux attentats terroristes brutaux ont coûté la vie à des dizaines de personnes et en ont mutilé beaucoup plus. La police armée patrouille dans les rues en grand nombre. L’armée a été déployée à des sites stratégiques clés dans le cadre de mesures d’urgence secrètes.
La Première ministre Theresa May avait déclenché des élections anticipées parce que l’oligarchie financière, l’appareil de renseignement et de l’armée qu’elle sert, ont décidé qu’ils ne pouvaient pas attendre deux ans avant les prochaines élections prévues, car ils se trouveraient au milieu de grandes convulsions politiques et sociales. Il s’est avéré qu’ils pouvaient à peine se permettre d’attendre deux mois.
May avait espéré utiliser la guerre au sein du Parti travailliste et une campagne médiatique brutale contre Jeremy Corbyn pour s’assurer une dictature parlementaire de facto et imposer un programme d’austérité intensifiée et d’interventions militaires en Syrie et ailleurs. Au lieu de cela, la campagne électorale a connu une effusion de haine contre les conservateurs et de tout ce qu’ils incarnent de la part des travailleurs et les jeunes, qui se sont ralliés à Corbyn et sa promesse de mettre fin à l’austérité.
La tentative dégoûtante de Theresa May d’exploiter les attentats terroristes s’est délitée sous ses yeux. Des preuves écrasantes selon lesquelles le service secret MI5 et la police connaissaient le kamikaze de Manchester, Salman Abedi et au moins deux des trois tueurs de Londres, démontrent que de nombreux islamistes sont des agents protégés pour être utilisés comme forces par procuration dans les guerres menées par la Grande-Bretagne et les États-Unis en Libye, en Irak et en Syrie.
Les menaces « d’un Brexit dur » par lesquelles elle a mis en jeu son avenir ont au contraire aliéné d’importantes sections du grand patronat et de la City de Londres. Les estimations selon lesquelles le commerce post-Brexit avec l’Union européenne pourrait diminuer de 40 pour cent, et les investissements étrangers de 20 pour cent, ont suscité des mises en garde contre une catastrophe financière.
Son plan de s’appuyer sur le gouvernement Trump pour forcer la main de l’Allemagne, de la France, et des autres États de l’UE, a eu l’effet inverse. La réponse de l’allemande Angela Merkel aux menaces de « l’Amérique d’abord » de Trump était de déclarer qu’on ne pouvait plus faire confiance aux États-Unis et à la Grande-Bretagne comme alliés. Face aux tensions mondiales croissantes entre les États-Unis et l’Europe, la stratégie de la politique étrangère de la Grande-Bretagne, qui repose sur le pouvoir militaire et économique américain pour magnifier sa propre influence, s’est effondrée.
Cependant, la dure vérité est qu’un gouvernement travailliste dirigé par Corbyn ne propose aucune véritable alternative aux politiques d’austérité, de militarisme et de guerre de May.
Des millions de travailleurs veulent se débarrasser des conservateurs et sont prêts à excuser les reculs constants de Corbyn devant la droite blairiste au sein de son parti, en espérant qu’il respectera ses engagements de défendre le Service national de santé, d’augmenter le salaire minimum et de construire de nouveaux logements. Mais les efforts de son programme pour concilier des réformes sociales minimales avec l’acceptation du programme militariste de l’impérialisme britannique rend impossible la quadrature du cercle.
La Grande-Bretagne est en proie à la déstabilisation économique, politique et sociale à mesure que le capitalisme mondial plonge dans sa crise la plus profonde depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, qui reproduit toutes les horreurs du fascisme et de la guerre associées à la première moitié du XXᵉ siècle. La tentative d’assurer la « compétitivité mondiale » de la Grande-Bretagne dans des conditions de guerre commerciale et de conflit militaire exige une escalade de la destruction des emplois, des salaires et des services essentiels.
Cela creuse le fossé entre la classe ouvrière et les super-riches jusqu’au point d’une explosion sociale. Le choc des intérêts entre l’oligarchie et la classe ouvrière est tellement grave qu’ils ne peuvent être réconciliés à travers l’appel de Corbyn à « l’équité […] pour les nombreux et pas pour la minorité ». Au contraire, la politique nationaliste du Parti travailliste de créer une forme de « patriotisme industriel » par le biais du gouvernement « travaillant en partenariat avec les entreprises et les syndicats » est un moyen de subordonner les travailleurs à la politique de guerre commerciale poursuivie par Theresa May au prix de leur propre emploi et de leur niveau de vie.
Cela fait maintenant près de deux ans que Corbyn a été élu chef du parti grâce à l’afflux de centaines de milliers de gens dans le Parti travailliste qui voulaient le pousser vers la gauche. Au lieu de cela, c’est Corbyn qui a viré de plus en plus vers la droite.
Son opposition à la lutte pour mettre dehors les députés de droite qui ont cherché sa propre éjection, son acceptation d’un vote libre des députés travailliste sur l’action militaire en Syrie et le renouvellement des armes nucléaires de Trident, et puis l’intégration de ces reculs dans son manifeste, tous soulignent le rôle réel que jouera un gouvernement travailliste sous sa direction.
Un fort avertissement est nécessaire sur la façon dont Corbyn a réagi aux attaques terroristes à Manchester et à Londres.
Les conservateurs cherchent à utiliser ces attaques pour gagner les élections en renforçant leurs efforts pour dépeindre Corbyn comme n’étant pas assez sévère contre le terrorisme et une menace pour la sécurité nationale, sur la base de ses déclarations précédentes critiquant l’OTAN et de son refus d’affirmer catégoriquement qu’il autorisera l’utilisation d’armes nucléaires. Ils préparent un virage brutal vers la répression de l’État après le 8 juin.
La stratégie en quatre points de May pour « lutter contre le terrorisme » – y compris la censure d’Internet et les mesures policières pour éliminer les « espaces sûrs » pour « l’extrémisme » dans le secteur public – sera utilisée pour réprimer le mécontentement politique, aux côtés des mesures existantes pour limiter davantage le droit de grève. Son noyau autoritaire a été souligné par sa déclaration : « Et si les lois sur les droits de l’Homme nous empêchent de le faire, nous modifierons ces lois afin que nous puissions le faire. »
Elle a également utilisé son discours sur les attentats de Londres pour réaffirmer son engagement envers l’intervention militaire intensifiée en Irak et en Syrie.
Corbyn reste silencieux sur tout cela. Au lieu d’expliquer que les attentats terroristes sont le retour de bâton des interventions criminelles de l’impérialisme britannique au Moyen-Orient, il a choisi de dénoncer May pour avoir réduit les effectifs de la police, tout en déclarant sa propre volonté de faire « tout ce qu’il faut » dans la lutte contre le terrorisme.
De cette façon, il se positionne comme le candidat non pas du changement social, mais de l’ordre public. Son affirmation solennelle à l’élite dirigeante qu’elle n’a rien à craindre de son gouvernement signifie que sa rhétorique de « gauche » a à peine survécu à la durée d’une campagne électorale, et encore moins à l’arrivée au pouvoir du Parti travailliste.
Les groupes de pseudo-gauche en Grande-Bretagne ont tous cherché à surmonter la méfiance profonde des travailleurs envers le Parti travailliste en exploitant les illusions populaires en la personne de Corbyn en tant qu’individu. Le Socialist Workers Party (Parti des travailleurs socialistes) a écrit : « Nous ne soutenons pas ceux qui ont essayé à maintes reprises de pousser le Parti travailliste vers la droite. Mais la seule façon de montrer le soutien à Corbyn est de voter pour tous les candidats travaillistes. » Le Socialist Party (Parti socialiste) évite toute mention du Parti travailliste et appelle simplement « Pour un gouvernement dirigé par Corbyn. »
Les événements ont confirmé l’insistance du Parti de l’égalité socialiste sur le fait que le Parti travailliste ne peut pas être changé en installant un nouveau dirigeant. Le Parti travailliste est aujourd’hui le même parti qui existait avec à sa tête Tony Blair et Gordon Brown.
Quel que soit le résultat du 8 juin, la classe ouvrière britannique, comme ses frères et sœurs dans le monde entier, est confrontée à une lutte contre la descente dans la réaction sociale et politique et le danger croissant de la guerre, c’est une question de vie ou de mort. La seule voie à suivre est l’adoption d’une nouvelle perspective socialiste et internationaliste révolutionnaire. La tâche posée aux travailleurs et jeunes les plus avancés est de rejoindre le SEP (Parti de l’égalité socialiste) et de le construire comme nouvelle direction de la classe ouvrière.
(Article paru en anglais le 7 juin 2017)