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L'armée britannique, Jeremy Corbyn et la menace de dictature

Par Chris Marsden
12 novembre 2015

La déclaration publique d'opposition à Jeremy Corbyn, le leader du Parti travailliste, par le chef d’état major de la Défense du Royaume-Uni constitue un jalon dans la désintégration de la démocratie britannique.

Le chef d'état-major de la Défense Sir Nicholas Houghton, interrogé par Andrew Marr sur la BBC à propos d’une déclaration de Corbyn qu'il n'autoriserait jamais l'usage d'armes nucléaires, a répondu: «Eh bien, cela m'inquiéterait si cette pensée se traduisait en pouvoir ». Houghton avait auparavant déclaré aux médias que le Royaume-Uni « décevait » ses alliés en ne participant pas à des missions de bombardement en Syrie.

Le bureau de Corbyn a envoyé une lettre au secrétaire à la Défense Michael Fallon déclarant: «Il est essentiel dans une démocratie que l'armée reste politiquement neutre à tout moment. En prenant publiquement position dans les controverses politiques actuelles, Sir Nicholas Houghton a clairement violé ce principe constitutionnel ».

Plutôt que de censurer Houghton, le gouvernement se précipita pour le soutenir. Un porte-parole du premier ministre David Cameron a affirmé qu'«en tant que principal conseiller militaire du gouvernement, » il était « raisonnable » de la part de Houghton « de s’exprimer sur la façon dont nous maintenons la crédibilité de l'un des outils les plus importants de notre arsenal ».

Des personnalités du Parti travailliste ont repris cette défense de Houghton: la Secrétaire à la Défense de l'opposition Maria Aigle et Lord West l'ancien chef d'état-major de la marine, ont dit qu'ils démissionneraient si l'opposition de Corbyn au renouvellement du système nucléaire Trident venait à devenir la politique du parti. Lord Hutton de Furness, ancien secrétaire à la Défense travailliste, a insisté dans le Times de Rupert Murdoch pour dire que « Le chef d'état-major de la Défense ne doit pas être bâillonné ou forcé à se taire ».

Houghton savait qu'il serait interrogé sur la position de Corbyn et est allé expressément se faire interviewer sur la BBC pour faire une attaque publique. Ce n'est pas la première fois que de telles déclarations sont faites.

En septembre, le Sunday Times a publié les commentaires d'un « général de haut rang en activité » que si Corbyn devenait premier ministre, il y aurait «la perspective très réelle» d'«une mutinerie». Des éléments au sein de l'armée serait prêts à utiliser « tous les moyens possibles, bons ou mauvais », a déclaré l'officier.

Il a poursuivi ainsi: «Vous verriez une rupture majeure de convention, les généraux de haut rang contesteraient directement et publiquement Corbyn sur des décisions politiques d’importance vitale telles que Trident, le retrait de l'OTAN et tout projet d'émasculer et de réduire la taille des forces armées. »[italiques ajoutées].

Les déclarations de Houghton montrent qu’on a commencé à suivre cette ligne d’action.

De nombreux articles soutenant ou excusant Houghton, certains dans les médias ont été contraints de discuter ouvertement si ses déclarations indiquaient un danger grave de mutinerie dans les forces armées. On notera en particulier l'éditorial du Guardian de lundi qui déclarait: « Il n'a pas eu de coup d'Etat militaire et à peine une mutinerie militaire de quelque conséquence, dans l'histoire moderne et démocratique de ce pays. Voilà pourquoi les remarques du chef d'état-major, le général Sir Nicholas Houghton au sujet de Jeremy Corbyn, doivent être une cause d’inquiétude ».

Le Guardian énumère divers incidents où l'armée a décidé de «choisir quels ordre obéir ou pas», dont le cas de «l'ancien commandant de l'OTAN Sir Walter Walker » qui, dans les années 1970, après les grèves des mineurs de 1972 et de 1974, avait mené un mouvement fasciste dirigé contre le gouvernement travailliste de Harold Wilson, et qui devait préparer de briser une éventuelle grève générale.

L'avertissement du journal, adressé à l'élite dirigeante, est que les illusions dans la démocratie, essentielles à la préservation du capitalisme, sont sapées par les ingérences politiques ouvertes de l'armée.

« De tels événements», conclut l'éditorial, « nourrissent la spéculation que ‘l’establishment’ lancerait toujours un pronunciamiento de style espagnol pour empêcher un gouvernement de gauche de mener à bien son mandat. Intentionnellement ou pas, le général Houghton et le général anonyme qui a récemment menacé d’une mutinerie si le Parti travailliste essayaient de ‘déprécier l’armée’, attisent à nouveau ces flammes».

Il n’y a en effet aucune chance que l'objectif déclaré de Corbyn d'amener au pouvoir un gouvernement travailliste s’opposant à l'austérité et au militarisme réussisse. La réponse de la majorité de la direction du Parti travailliste aux déclarations de Houghton démontre en outre le caractère absolument droitier, anti-classe ouvrière, de ce parti de longue date de l’impérialisme britannique.

Depuis qu'il est devenu chef du parti en septembre, Corbyn subit une attaque en règle de la part du Parti conservateur, du groupe parlementaire travailliste, de son propre cabinet fantôme, des médias, et maintenant du chef d'état-major des forces armées. Rien de ce que Corbyn a fait pour apaiser ses adversaires, y compris l’annonce appuyée d’un vote libre au parlement sur le renouvellement de la « dissuasion » nucléaire Trident et l'intervention en Syrie, n’a calmé le flot des demandes qu'il soit déchu de son poste.

Les déclarations publiques de Houghton et les menaces anonymes de mutinerie doivent être comprises comme des avertissements du danger croissant auquel les travailleurs font face. Ce que le Guardian qualifie de «spéculation» est la réalité des relations politiques et sociales du capitalisme.

«L’impartialité» des forces armées dont Corbyn insiste qu’elle doit être préservée, a toujours été une fiction. Elles sont les «détachements spéciaux d’hommes armés » identifiés par Friedrich Engels comme l'instrument essentiel pour préserver la domination du capital, non seulement contre les menaces externes, mais contre la menace interne posée par toute opposition sociale et politique sérieuse venant de la classe ouvrière .

Dans les conditions d'aujourd'hui, cette fiction ne peut plus être maintenue.

Pendant des décennies, toutes les grandes puissances ont mené une suite sans fin de guerres de conquête coloniale – en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan, en Irak, en Libye et maintenant en Syrie. Depuis le putsch organisé par Washington en Ukraine, l'OTAN suit un cours de collision avec la Russie, tandis qu’à l'Est, les États-Unis tentent de forger une alliance militaire contre la Chine avec le Japon et l'Australie.

Cette explosion de violence impérialiste exige un attaque frontale des droits démocratiques sous forme d'une série de lois « anti-terroristes » sapant les libertés civiles et instaurant la surveillance intensive de quasiment chaque homme, femme et enfant dans le monde. Dans tous les grands pays capitalistes la puissance et l'influence politique de l'armée grandissent à toute vitesse.

Ces développements sont entraînés par la crise systémique du système de profit, qui n’a fait que s’amplifier depuis le krach de 2008 et par la détermination d'une oligarchie financière mondiale d'utiliser la crise pour s’enrichir encore plus. À cette fin, les gouvernements du monde entier, quelle que soit leur désignation officielle, sont chargés par leurs bailleurs de fonds d'imposer des attaques encore plus brutales sur les emplois, le niveau de vie et les droits sociaux de la classe ouvrière.

Avec la croissance de l'opposition sociale s’intensifient aussi les préparatifs de mesures dictatoriales par des figures de l’armée et du renseignement, sans aucune opposition significative des responsables élus ou des médias.

Le recours à l'austérité, au militarisme et à la guerre est incompatible avec la préservation de la démocratie. La classe ouvrière ne peut répondre à la menace de dictature que par la construction d'une nouvelle direction socialiste et internationaliste vouée à la lutte pour le pouvoir politique.

(Article original paru le 11 novembre 2015)