L'impact en Europe du référendum sur l'indépendance de l'Écosse
Par Chris Marsden et Robert Stevens
19 septembre 2014
Le référendum sur l'indépendance de l'Écosse est un tournant historique pour la Grande-Bretagne et l'ensemble de l'Europe. Avec les résultats du scrutin du 18 septembre si incertains, un récent sondage montrant pour la première fois le camp du Oui détenant la majorité a déclenché une crise dans les cercles dirigeants de tout le continent. De nombreux dirigeants politiques et personnalités influentes se sont manifestés pour s'opposer à l'indépendance de l'Écosse et mettre en garde contre ses conséquences désastreuses.
Cette réaction est motivée avant tout par la crainte que la séparation de l'Écosse ne vienne aggraver la crise économique au Royaume-Uni et qu'elle entraîne aussi l'ensemble de l'Europe avec elle. Au milieu de prédictions que la victoire du Oui pourrait conduire à une baisse de la valeur de la livre sterling allant jusqu'à 15 pour cent, près de 17 milliards £ en actions, en obligations et autres actifs financiers britanniques ont été vendus par les investisseurs au cours du mois passé.
Le Times a indiqué que la crainte d'une victoire du Oui a conduit à «la plus grande liquidation d'investissements britanniques depuis l'effondrement de la banque Lehman Brothers à Wall Street».
L'effondrement de Lehman Brothers a déclenché la crise financière mondiale de 2008 et la chute du système capitaliste mondial. Un effondrement de l'économie britannique pourrait être tout aussi dévastateur, en particulier compte tenu de la situation déjà précaire de l'Europe.
Ce mois-ci, la Banque centrale européenne a décidé d'acheter des obligations du secteur privé d'une valeur initiale de 100 milliards €, tout en réduisant les taux d'intérêt à 0,05 pour cent dans une dernière tentative désespérée de relancer l'économie du continent et d'éviter le plongeon dans la déflation. La France connaît déjà une croissance nulle et les économies de l'Allemagne et de l'Italie sont en recul tandis que la possibilité d'une récession «triple» est soulevée.
Pas moins inquiétant pour les élites dirigeantes d'Europe est l'impact d'une scission du Royaume-Uni, qui remonte aux Actes d'Union d'il y a 307 ans, sur la stabilité de leurs États. Si la Grande-Bretagne peut se briser, alors un développement similaire peut bien se produire dans de nombreuses autres parties de l'Europe.
Les événements en Écosse sont suivis avidement par les mouvements séparatistes d'Italie, de Belgique, d'Espagne et d'ailleurs. Jeudi dernier, Barcelone a été la scène d'une manifestation de centaines de milliers de personnes réclamant l'indépendance de la Catalogne. Beaucoup arboraient le drapeau écossais frappé de la croix de Saint-André, voyant dans le référendum juridiquement contraignant de l'Écosse l'occasion de réclamer la reconnaissance par l'Espagne d'un référendum officieux le 9 novembre sur l'indépendance de la Catalogne.
Ailleurs, l'absence d'un mouvement séparatiste similaire à celui de l'Écosse est une piètre consolation pour les élites dirigeantes d'Europe. Les progrès réalisés par le Parti national écossais (Scottish National Party, SNP) et les groupes dans son orbite sont en grande partie le résultat de leur exploitation réussie de l'immense hostilité nourrie à l'endroit de tous les vieux partis de l'establishment qui ont imposé des mesures d'austérité et sont des fauteurs de guerre.
Cette hostilité ne se limite pas uniquement à la coalition des partis conservateur et libéral-démocrate au pouvoir au Royaume-Uni. Le Parti travailliste a été tout aussi incapable de se présenter comme une alternative à ces partis, et encore moins d'offrir une raison à l'Écosse de rester au sein du Royaume-Uni. Ce parti est en effet largement détesté pour son soutien aux guerres illégales en Irak et en Afghanistan, sa promotion avide des panacées du libre marché, son plan de sauvetage des banques en 2008, et les brutales mesures d'austérité qu'il a commencé à imposer avant d'être contraint de quitter le pouvoir en 2010.
Aucun autre parti européen n'est dans une meilleure situation. Tous vont regarder avec une certaine appréhension l'échelle du mécontentement et de l'opposition, dans sa manifestation tout imparfaite qu'elle soit, au système actuel.
Les immenses tensions produites par le référendum écossais révèlent une crise sans précédent du pouvoir, quel que soit le résultat du scrutin de jeudi. Les sondages des derniers jours ont révélé une majorité contre l'indépendance, en raison des craintes quant à l'impact économique de la séparation. Une victoire du Oui signalerait clairement le début d'une crise politique sans précédent. Mais un non de justesse ne fermera pas pour autant la boîte de Pandore qui a été ouverte.
Rien de tout cela ne confère au programme séparatiste du SNP et autres mouvements similaires d'ailleurs dans le monde le moindre caractère progressiste. Bien au contraire, leur apparition est entièrement régressive.
Le nationalisme écossais articule les intérêts d'une fraction de la bourgeoisie, représentée par le SNP, ainsi que d'une foule de parasites de la classe moyenne, enivrés à l'idée de mettre la main sur une plus grande part des richesses de l'Écosse, dont des dizaines de milliards de livres sterling en pétrole et en recettes fiscales, et de conclure des ententes avec les grandes entreprises en leur offrant des taux de taxation encore plus faibles et en intensifiant l'exploitation de la classe ouvrière.
Des éléments rapaces similaires contrôlent la Ligue du Nord séparatiste en Italie, le Vlaams Belang en Belgique, les nationalistes catalans et basques en Espagne, et des formations semblables dans tout le continent.
Les véritables intérêts de classe qui sous-tendent le projet séparatiste sont incompatibles avec les promesses multiples faites par le SNP à mettre en œuvre des politiques sociales progressistes, et de nombreux travailleurs le savent. Dans ces circonstances, un rôle clé dans la propagation du nationalisme est joué par les cheerleaders pour l'indépendance de la pseudo-gauche, dont le Parti socialiste écossais (Scottish Socialist Party, SSP), la campagne de l'indépendance radicale (Radical Independence Campaign) et Tommy Sheridan, ancien dirigeant du SSP.
Ces forces ont été décrites comme un «facteur vital» pour gagner des appuis dans la campagne du Oui, par nul autre que le Financial Times, car elles travaillent à canaliser le mécontentement social et politique des travailleurs derrière le SNP en affirmant qu'en dépit du SNP, l'indépendance sera une rupture avec les politiques de droite imposées par Westminster.
Mais le séparatisme est réactionnaire non pas simplement parce que le SNP sera le parti au pouvoir après l'indépendance, mais aussi à cause de la classe qui dominera. Pour la classe ouvrière en Écosse, comme dans le reste de l'Europe, embrasser le séparatisme serait une catastrophe. Cela ne conduirait qu'à la balkanisation du continent tout entier, avec les travailleurs s'affrontant dans tous les pays et jusque dans les régions les plus petites dans une course fratricide vers l’abîme. Le séparatisme apporte l'éruption d'antagonismes nationaux qui empoisonnent les rapports entre les travailleurs et les alignent derrière des sections rivales de la classe capitaliste.
La fausse gauche fait la promotion du séparatisme dans des conditions où il y a une uniformité frappante dans les attaques subies par les travailleurs dans toute l'Europe, comme partout ailleurs dans le monde, menées par les banques internationales, les sociétés transnationales et les gouvernements qu'elles contrôlent, et où la mondialisation de la vie économique a créé une base et un besoin sans précédent pour l'unification des luttes des travailleurs au-delà des frontières nationales, sur la base d'une perspective internationaliste et socialiste.
Les nationalistes de la pseudo-gauche font le sale boulot des capitalistes. Leurs mensonges quant au potentiel progressiste d'une Écosse indépendante sont offerts en opposition à la lutte pour le socialisme, idéologie qu'ils craignent en privé et à laquelle ils s'opposent, la rejetant publiquement comme une impossibilité.
En fait, la perspective la plus irréaliste de toutes est bien l'idée que la création d'une multitude de petits États encore moins viables offrirait aux travailleurs une façon de progresser.
Le Parti de l'égalité socialiste en Grande-Bretagne appelle à voter «non» sans équivoque au référendum écossais. Les travailleurs écossais, anglais et gallois ne doivent pas se laisser diviser et monter les uns contre les autres. Ils doivent mener une lutte commune contre leur ennemi de classe commun, quel que soit le drapeau qu'il brandit.
La réponse à la dictature de l'oligarchie financière et de ses partis au Royaume-Uni n'est pas la création d'un nouvel État écossais qui sera dominé par les mêmes forces sociales, mais bien la lutte pour un gouvernement ouvrier et une Grande-Bretagne socialiste. Ensemble, avec nos camarades européens et internationaux, nous luttons pour la fin de la domination capitaliste dans tout le continent et la création des États unis socialistes d'Europe.
(Article paru d'abord en anglais le 16 septembre 2014)