La détention de David Miranda et la «guerre contre le terrorisme»
Par Joseph Kishore
21 août 2013
La détention et l’interrogatoire par les autorités britanniques de David Miranda, le compagnon du journaliste du Guardian, Glenn Greenwald, est un acte effrayant d’intimidation politique.
Miranda a été détenu et interrogé neuf heures durant – le maximum prévu par la loi antiterroriste britannique de 2000 (British Terrorism Act). On lui a refusé le droit d’avoir l’assistance d’un avocat et de garder le silence. Des effets personnels ont été confisqués sans être restitués, dont son ordinateur, son téléphone portable, sa caméra et ses clés USB avec les documents divulgués par l’ancien employé de l’Agence nationale de sécurité (NSA), Edward Snowden.
«Ils m’ont obligé à leur donner les mots de passe de mon ordinateur et de mon téléphone portable», a raconté Miranda au Guardian. «Ils ont dit que j’étais obligé de répondre à leurs questions… Ils me menaçaient tout le temps en disant qu’ils me mettraient en prison si je ne coopérais pas.»
Il s’agit là d’actes de gangstérisme politique commis en dehors de tout contrôle juridique. Miranda, un simple citoyen, a été détenu, interrogé, menacé et ses biens ont été confisqués uniquement en raison de ses liens avec Greenwald et la réalisatrice Laura Poitras à qui il avait rendu visite à Berlin. Tous deux, Greenwald et Poitras, ont travaillé avec Snowden pour divulguer des programmes d’espionnage secrets et illégaux des États-Unis et de leurs collaborateurs internationaux, dont le British Government Communications Headquarters (quartier général des communications du gouvernement britannique, GCHQ).
Même si Miranda a été détenu en Grande-Bretagne, l’administration Obama a joué le rôle principal, elle qui mène une campagne internationale de dénigrement et de persécution contre Snowden depuis qu’il s’était exprimé pour la première fois en juin. Lundi, un porte-parole de la Maison-Blanche a dit que les États-Unis avaient reçu un «préavis» des autorités britanniques avant qu’elles n’agissent et que les services secrets américains et britanniques avaient eu des discussions approfondies.
Bien que l’administration ait affirmé ne pas avoir demandé aux Britanniques d’interpeller Miranda, une demande officielle n’était pas nécessaire. La police et les agences d’espionnage des deux gouvernements opèrent sur la même longueur d’onde. Le gouvernement Obama accèdera sans aucun doute à toute information confisquée à Miranda pour l’aider à cibler Snowden et Greenwald, tout comme la NSA et le GCHQ échangent des informations illégalement obtenues sur leurs citoyens respectifs.
Scotland Yard a justifié les agissements de la police britannique en disant que «l’interrogatoire» était «solide sur le plan juridique et procédural».
Personne ne peut sérieusement prétendre que l’appareil de surveillance et de répression mis en place au cours de ces 13 dernières années vise les «terroristes». La détention de Miranda n’est pas un «abus» de la loi antiterroriste britannique (Terrorism Act), elle démontre que l’objectif essentiel de cette loi et des lois identiques aux États-Unis, en Grande-Bretagne et partout dans le monde est l’intimidation et la répression de l’opposition politique au programme réactionnaire de la classe dirigeante. La «guerre contre le terrorisme» est une guerre contre les droits démocratiques des gens.
Snowden a contribué à révéler au grand jour un réseau de programmes d’espionnage qui écoute et enregistre tout appel téléphonique. Ceci inclut le programme XKeyscore de la NSA qui permet aux analystes de passer en revue, sans mandat, toutes les communications – une violation flagrante du Quatrième amendement de la Constitution américaine. Comme la détention de Miranda le prouve, le gouvernement suit très attentivement les déplacements et les activités de ses adversaires politiques et de leurs proches et associés.
Il y a multiplication des attaques de plus en plus ouvertes contre la liberté de la presse visant à intimider tout journaliste authentique qui s’efforce de révéler la vérité aux gens. La divulgation des crimes commis par le gouvernement est qualifiée d’«espionnage» et de «complicité avec l’ennemi» comme l’a montré la condamnation du soldat américain Bradley Manning pour avoir révélé des atrocités de guerre américaines.
La détention de Miranda a eu lieu à juste un peu plus d’une semaine après la conférence de presse d’Obama lors de laquelle il avait exprimé le souhait du gouvernement pour que la population américaine «se sente plus à l’aise» avec les programmes de surveillance d’État policier. Derrière le discours mielleux d’Obama se cache une détermination intransigeante qui vise à maintenir ces programmes et à faire en sorte que ceux qui les démasquent soient réduits au silence.
Dans son attaque contre la dissidence politique et la liberté de la presse, le gouvernement américain jouit du soutien de vastes sections des médias eux-mêmes. Dans son message publié ce week-end sur twitter, le correspondant du magazine Time, Michael Grunwald, un partisan d’Obama et du Parti démocrate, avait écrit «j’ai hâte d’écrire un papier défendant l’attaque de drone qui éliminera Julian Assange». En cela, le journaliste ne faisait qu’exprimer de manière particulièrement ouverte le sentiment qui prévaut dans les médias traditionnels en général.
Les médias à la botte du patronat – comme l’ancien rédacteur en chef du New York Times, Bill Keller, David Gregory de NBC News et Wolf Blitzer de CNN – détestent Snowden, Greenwald, Manning et Assange parce qu’ils ont, pour révéler la vérité à la population des États-Unis et du monde entier, défié la presse dominante qui agit en tant que bras droit de l’État. Les médias américains ont participé au camouflage des crimes commis par le gouvernement et à la victimisation de ceux qui les ont divulgués.
Des figures comme Grunwald feraient bien de se rappeler la poursuite en justice des propagandistes nazis après la Seconde Guerre mondiale. «Dans un complot qui repose sur une fraude comme moyen de preuve», la poursuite dirigée par les États-Unis au tribunal de Nuremberg a souligné que «les colporteurs du groupe conspirateur sont tout aussi coupables et jouent un rôle aussi essentiel que les maîtres planificateurs, même s’ils n’ont peut-être pas contribué de façon substantielle à la formulation de la stratégie de base en se concentrant plutôt à rendre possible l’exécution de cette stratégie.»
La détention de Miranda et les déclarations de Grunwald expriment à la fois la décrépitude de la démocratie et la crainte qui existe au sein de la classe dirigeante. Les divulgations de Snowden nuisent à la crédibilité de la classe dirigeante et à la justification idéologique centrale dont elle s’est servie durant plus d’une décennie: «la guerre contre le terrorisme». Ces divulgations coïncident avec une opposition internationale croissante contre la politique de militarisme et de contre-révolution sociale. Se trouvant dans l’incapacité de convaincre, l’élite patronale et financière réagi par la terreur et l’intimidation.
La défense des droits démocratiques ne peut être confiée à aucune section de l’establishment dirigeant. Elle doit être associée à la mobilisation des travailleurs et des jeunes aux États-Unis et partout dans le monde dans une lutte politique contre le capitalisme, source de la guerre, de l’inégalité sociale et de la dictature.
(Article original paru le 20 août 2013)