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Le scandale Murdoch

Par Chris Marsden et Julie Hyland
3 août 2011

On a dit ces derniers jours à l’opinion publique britannique que le parlement a réaffirmé son autorité sur l'empire médiatique de Rupert Murdoch et a finalement rappelé à l'ordre le multimillionnaire. Certains sont même allés jusqu’à dire que la comparution de Murdoch mardi devant une commission parlementaire aux côtés de son fils James, annonçait un « Printemps britannique. »

Cette référence implicite à ce qu'on appelle le « Printemps arabe » – les soulèvements révolutionnaires de la classe ouvrière qui ont contraint les dictateurs en Tunisie et en Egypte, soutenus par l’Occident, à démissionner – est absurde et fausse. Le spectacle de députés vendus interrogeant respectueusement Murdoch vise à embrouiller et à empêcher un règlement de compte politique avec l’oligarchie de l’entreprise.

Loin de démontrer la vitalité du système politique britannique, la flagornerie des interrogateurs de Murdoch en révèle la décrépitude et la corruption. Le premier ministre David Cameron – en dépit des nombreuses preuves de ses relations compromettantes avec les responsables au plus haut niveau du groupe médiatique britannique de Murdoch, News International – n’a même pas eu à redouter mercredi une motion de censure lors la session d’urgence de la Chambre des communes. S’il restait ne serait-ce qu’un brin de responsabilité au sein de l’establishment britannique, une telle chose serait impossible.

Il est bien connu que les représentants de News International étaient impliqués dans les écoutes illégales des téléphones de plus de 12.000 personnes, soudoyant des policiers et utilisant leurs liens avec le milieu criminel pour faire du chantage et intimider des figures publiques de premier plan. De plus, la mort troublante et inexpliquée lundi du principal lanceur d'alerte, Sean Hoare, a tout de suite été qualifiée de « non suspecte. »

Chaque établissement d’importance et chaque politicien influent est impliqué dans le scandale Murdoch. Mis à part leurs propres relations néfastes avec le groupe médiatique de Murdoch, les hauts responsables de la police métropolitaine, du parquet et des gouvernements successifs ont bloqué pendant au moins six ans des enquêtes menées sur les activités criminelles de News International.

Les affirmations de l’establishment au pouvoir, exprimant choc et indignation, n’est qu’hypocrisie. Tout le monde dans la classe politique connaissait pertinemment le caractère fondamental des opérations de Murdoch et soit l’approuvait soit y participait activement. Pendant trois décennies, Murdoch a fait et défait des dirigeants d'Etat, non seulement en Grande-Bretagne mais aussi aux Etats-Unis, en Australie et au-delà. Des politiciens, toutes tendances confondues, « conservateurs » comme « travaillistes », lui juraient fidélité.

C’est la raison pour laquelle personne n’a été poursuivi jusque-là, et encore moins tenu politiquement responsable dans le scandale de News International.

Les liens de longue date de l’establishment politique avec Murdoch ne se fondaient pas simplement sur une allégeance personnelle. Murdoch a été étroitement lié aux privatisations, à la dérégulation et aux spéculations débridées qui ont engendré l’oligarchie financière parasitaire d’aujourd’hui. Le sensationnalisme creux en matière de couverture des événements par son empire médiatique a joué un rôle non négligeable dans la création d’un climat politique et intellectuel dans lequel cette oligarchie a perpétré depuis les années 1980 ses attaques draconiennes contre les travailleurs et ce sans rencontrer de la part de la classe ouvrière une résistance efficace.

Bien évidemment, Murdoch avaient des adversaires et des rivaux commerciaux au sein de la classe dirigeante même. L’on s’inquiétait depuis longtemps dans les cercles médiatiques et politiques internationaux de l’influence de Murdoch, de son monopole médiatique et de sa capacité à dicter son agenda aux gouvernements, et même à influencer lui-même la composition du gouvernement.

Ces rivalités, associées aux conséquences des manipulations politiques de Murdoch, tel son abandon du parti travailliste sous Gordon Brown en 2009 en faveur des Conservateurs de David Cameron, ont été le déclencheur du conflit actuel.

Le déclenchement soudain de la crise politique concernant la criminalité existant au sein de News International en Grande-Bretagne, montre que des conflits plus profonds au sein de l’élite dirigeante sont en train de faire surface. Il convient de rappeler que juste avant l’éclatement du sentiment d’indignation suscité par les écoutes illégales de News of the World, le dirigeant du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, avait été arrêté et limogé de son poste, sur la base d’allégations douteuses d’agression sexuelle. Comme c’est inévitablement le cas dans de tels scandales, on a affaire à des conflits d’intérêts sur des questions politiques bien plus importantes.

Et donc, le rédacteur du Telegraph, Benedict Brogan, s’est plaint en disant : « Alors que Westminster est obsédé par la saga des écoutes téléphoniques et de ses rebondissement de plus en plus étranges, le monde économique se rapproche de plus en plus du précipice. La zone euro est menacée de désagrégation, les Etats-Unis envisagent un défaut de paiement de leur dette et le système bancaire se rapproche d'un effondrement du système. »

Bien que Brogan implique que la « saga » Murdoch soit une diversion, elle est ancrée dans la crise même qu’il reconnaît. Le krach financier de 2008 a miné l’économie mondiale et ébranlé le prestige politique du marché capitaliste. Alors que les gouvernements réclament des attaques brutales contre les travailleurs – le plan de coupes sociales de 100 milliards de livres sterling de Cameron ou les réductions à hauteur de plusieurs milliers de milliards dans les dépenses sociales est planifié par le gouvernement Obama aux Etats-Unis – ils sont confrontés à un défi de la classe ouvrière.

On a assisté au cours de ces derniers mois non seulement au renversement de dictatures au Moyen-Orient, mais à des protestations de masse contre les coupes sociales en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Europe. Pour la classe dirigeante, la question est de savoir comment le mieux possible contenir, disperser et écraser ce mouvement. Brogan a souligné que certains dans les cercles dirigeants considéraient le scandale des écoutes téléphoniques « comme un ‘test de résistance’ utile pour les défis économiques autrement bien plus exigeants qui se profilent à l’horizon. Ils reconnaissent les points faibles de la machine Downing Street et veulent des changements pour y remédier. Car, si la direction du pays trébuche déjà aussi gravement dans une telle situation, que se passera-t-il lorsque les choses commenceront vraiment à devenir sérieuses ? » Ces sections de la classe dirigeante considèrent Murdoch comme un fardeau ou du moins comme une figure dont l’influence va trop loin.

Il existe un parallèle historique avec le scandale politique peut-être le plus célèbre de l’histoire moderne et concernant l’influence d’un seul homme sur l’élite dirigeante. L’influence exercée sur le tsar et sa famille par le mystique russe Grigori Raspoutine et qui avait donné lieu à des intrigues politiques entre factions opposées au sein de l’élite russe. Accusé d’être un agent influencé par l’étranger et exerçant son emprise sur la tsarine d’origine allemande, il fut assassiné en décembre 1916 par des nobles conservateurs. Quelques mois plus tard, durant la révolution de février 1917, le tsar fut destitué et un gouvernement bourgeois provisionnel fut constitué. Celui-ci tenta, mais en vain, de réprimer le soulèvement révolutionnaire qui conduisit en octobre 1917, sous la direction du parti bolchévique, au renversement du capitalisme russe par la classe ouvrière.

Les commentaires de Brogan révèlent le mensonge selon lequel l’establishment politique se bat pour assurer un nouvel élan à la démocratie. En fait, le scandale des écoutes téléphoniques a dévoilé l’étroitesse extrême de la base sociale du régime capitaliste et la criminalité de l’ensemble de l’élite patronale et politique. La bourgeoisie sent que les travailleurs rejetteront avec colère les exigences de coupes sociales fondées sur « un sacrifice commun » et des affirmations disant que « nous sommes tous ensemble dans le même bateau » alors même que l'on voit des hommes politiques achetés par une News Corporation. Il est donc nécessaire de procéder à certains ajustements.

A ce titre, l’intervention de la classe dirigeante dans le scandale des écoutes téléphoniques vise avant tout à mettre l’Etat en meilleure position pour le moment où il décidera qu'il est temps de « régler son compte » à la classe ouvrière. L’affaire Murdoch des écoutes téléphoniques n’est pas le prélude à une renaissance de la démocratie capitaliste. Elle est plutôt annonciatrice de nouvelles explosions de la lutte des classes.

(Article original paru le 22 juillet 2011)