Des millions de personnes bravent la répression policière pour voter dans le référendum catalan
Par Alejandro López et Alex Lantier
2 octobre 2017
Des manifestations de masse ont submergé la Catalogne hier, la population s'étant mobilisée contre une répression brutale et systématique menée par la police nationale espagnole pour bloquer le référendum sur l'indépendance catalane. Des masses de gens autour du monde ont regardé, horrifiés, des policiers qui attaquaient des manifestants pacifiques aux bureaux de vote, y compris des enfants et des gens âgés.
Le gouvernement du premier ministre Mariano Rajoy (Parti populaire, PP) avait envoyé 16.000 policiers attaquer les bureaux de vote, confisquer les urnes, et attaquer les électeurs. Il y a eu au moins 844 blessés, mais l'opération de police n'a pas pu venir à bout d'une résistance populaire de masse. Selon les autorités catalanes, environ 90 pour cent des 2.315 stations de vote préparées pour le référendum étaient toujours ouvertes en fin de journée.
Hier matin, un hélicoptère et environ 100 Gardes civiles ont fait une descente à Sant Julià de Ramis, où allait voter le premier ministre régional catalan Carles Puigdemont, et attqué le bureau de vote du village. Des centaines d'électeurs ont bloqué les portes du centre sportif local qui servait de bureau de vote, scandant « Nous voterons ! » Mais la police a utilisé un marteau pour casser le verre, pénétrer dans le bâtiment, et tabasser les électeurs.
La police a attaqué les électeurs dans les écoles et autres bureaux de vote de la capitale régionale, Barcelone. Des vidéos montrent des policiers qui donnent des coups de pied aux électeurs ou qui traînaient des femmes par leurs cheveux. A l'Escola Infant Jesús, la police a attaqué Maria José Molina, âgée de 64 ans, dont la photo avec la tête ensanglantée s'est vite propagée sur Internet.
Molina a dit à La Vanguardia de Barcelone qu'elle était à côté de son mari, à plusieurs mètres des portes, quand la police l'a saisie et l'a emportée. « Je suis légère », a-t-elle dit, avant d'ajouter que des policiers l'avaient jetée contre le pavé « visage d'abord ».
En arrivant dans les villes de la région, la police s'est vite trouvée face à de larges foules hostiles qui les huaient. A Girona, la police a essayé de saisir des bulletins de vote à l'Escola Verd de Girona, alors qu'une foule qui scandait « On veut voter, on veut voter » bloquait l'entrée principale. La police a ensuite attaqué la foule, qui a ensuite scandé « Assassins, assassins ».
L'opposition à la répression s'étend à aussi aux zones en Catalogne hostiles à l'indépendance. A L'Hospitalet de Llobregat, la 2e ville de la région – où vivent de nombreux travailleurs immigrés espagnols arrivés dans les années 1960 – la police a confronté des manifestants qui scandaient en espagnol, « Allez-vous en, forces d'occupation » et « On veut voter. »
La police a aussi attaqué des fonctionnaires catalans, dont les pompiers, qui se sont interposés entre la police et les électeurs à de nombreux points, et la police catalane, les Mossos d'Esquadra.
Après le déchaînement de la police espagnole en Catalogne hier, le conflit entre Madrid et Barcelone continue à monter. Puigdemont a déclaré victoire et appelé à la sécession hier soir, et les responsables espagnols à Madrid ont lancé une défense éhontée de leur offensive contre la population catalane, en exigeant qu'elle se plie à leur diktat.
Traitant le référendum de « mobilisation illégale mal organisée logistiquement », Rajoy a défendu sa brutalisation de la population catalane depuis le Palais de Moncloa : « L'Etat a réagi avec fermeté et sérénité ... On a fait ce qu'on avait à faire, je préside le gouvernement et nous avons assumé nos responsabilités. »
Il a sommé le gouvernement catalan d'abandonner le référendum. « Je leur demande de mettre fin à leur irresponsabilité, d'avouer que ce qui n'était jamais légal est à présent manifestement impossible, et que continuer cette farce ne mène nulle part. ... Mettez-y fin. Ça ne mènera à rien de bon. »
Tard hier soir, à Barcelone, Puigdemont a répondu en déclarant que l'Etat avait « écrit aujourd'hui une page honteuse de l'histoire de ses relations avec la Catalogne. » Il a ajouté, « Les citoyens catalans ont remporté le droit d'avoir un Etat indépendant constitué en République. ... Donc, mon gouvernement transmettra dans les jours à venir les résultats électoraux au Parlement, le siège et l'expression de la souveraineté de notre peuple, afin qu'il puisse agir comme le spécifie la Loi sur le référendum. »
C'est-à-dire que la Catalogne déclarerait son indépendance de l'Espagne. Selon les resposables catalans, 2,26 millions de personnes ont voté dans le référendum. Il y avait 2,02 millions (89 pour cent) de votes pour le « oui » et 176.000 votes (8 pour cent) pour le « non », une participation de 42 pour cent des 5,34 millions d'électeurs en Catalogne.
Puigdemont a fait appel à la bureaucratie de l'Union européenne à Bruxelles, déclarant que l'Espagne avait « violé ses principes fondamentaux » et que la question catalane « n'est plus une question intérieure » de l'Espagne.
Cette répression brutale, après des semaines de menaces et d'opérations policières par Madrid en Catalogne, démasque non seulement le PP, mais toute l'élite dirigeante espagnole ainsi que ses alliés dans l'Otan. Alors que des milliers de policiers déferlaient sur la Catalogne, confisquaient les urnes, et arrêtaient des responsables catalans, des chefs d'État donc les présidents américain et français, Donald Trump et Emmanuel Macron, ont eu des rencontres cordiales avec Rajoy et appelé avec lui à l'unité espagnole.
Hier soir, le ministère des Affaires Etrangères britannique a lavé la répression en Catalogne. Son porte-parole a dit, « Le référendum est une question du gouvernement et du peuple espagnols. On veut voir le respect de la loi et de la constitution espagnoles et le maintien de l'ordre légal. »
Mais la répression lancée par Madrid n'était pas une action légale, mais une attaque visant à imposer son diktat sur des millions de gens innocents par la terreur policière, à une échelle inouïe depuis la fin du régime fasciste du dictateur Francisco Franco, en 1978. Il a provoqué un vote que Puigdemont et les séparatistes catalans vont citer pour avancer une politique sécessionniste dans des conditions explosives et extrêmement incertaines.
Quant à Washington et aux grandes puissances européennes, ils reprennent le rôle qu'ils ont joué à l'époque de Franco : légitimer un régime espagnol de droite et répressif qui est un allié militaire estimé et violemment hostile envers la classe ouvrière.
Cette répression a aussi totalement exposé la banqueroute des deux principaux partis d'opposition au parlement espagnol, le Parti socialiste (PSOE) et Podemos. Sans surprise, le PSOE – un instrument de l'appareil d'Etat, refondé en tant que parti explicitement antimarxiste en 1979 – a applaudi la répression menée par Rajoy sans ambages.
Le secrétaire général du PSOE, Pedro Sánchez, a déclaré : « Je veux exprimer le soutien entier du PSOE pour la loi espagnole, ses règles et ses institutions, le soutien du PSOE pour l'intégrité territoriale de ce pays qui est à présent en danger. Nous vivons un moment où l'intérêt général doit primer sur celui des partis ... C'est un moment de raison et de lucidité. »
Quant à Podemos, alors que des hordes de gendarmes agressaient les masses en Catalogne, il lançait des appels impuissants au PSOE à abandonner son soutien au gouvernement minoritaire du PP et à former un gouvernement de coalition avec Podemos. Dès les premières attaques policières, Podemos envoyait déjà des messages au PSOE. Le stratège du parti, Íñigo Errejón, a demandé sur Twitter, « Pourquoi le PSOE est-il si silencieux », alors qu'Irène Montero, porte-parole de Podemos au parlement, disait : « Le PSOE doit être plus démocratique. »
Le secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, a dit à la presse : « Le PSOE ne peut pas continuer à ignorer ce qui se passe. Ils ont commis une erreur sérieuse et défendant la stratégie du PP. Mieux vaut tard que jamais, espérons qu'ils corrigeront l'erreur et qu'ils nous soutiendront pour dégager le PP. »
Malgré la faillite du PSOE et de Podemos, le gouvernement minoritaire du PP tient aussi à un fil. Le Parti nationaliste basque (PNV), dont le soutien a permis de faire adopter le budget cette année, a critiqué le PP. Samedi, il a organisé un rassemblement à Bilbao en défense du référendum catalan.