Québec : Une loi digne d’un État policier est votée pour réprimer la grève étudiante
Par Keith Jones
23 mai 2012
Vendredi dernier, l’Assemblée nationale du Québec a adopté une loi spéciale qui impose des restrictions draconiennes sur le droit de manifester et criminalise la grève étudiante, qui dure depuis 14 semaines et qui s’oppose à la hausse des frais de scolarité universitaires de plus de 80 pour cent.
Promulguée en moins de 24 heures, la loi 78 du gouvernement libéral du Québec comprend des mesures dignes d’un État policier :
Les étudiants en grève et leurs partisans n’ont pas le droit d’établir un piquet de grève dans un rayon de 50 mètres des édifices universitaires et collégiaux.
Les enseignants sont forcés d’assister le gouvernement dans sa suppression de la grève. La loi 78 les force à remplir entièrement leurs tâches, en allant à l’encontre du boycottage de leurs cours démocratiquement décidé, et à ne pas accommoder les étudiants en grève.
Les associations étudiantes et les syndicats qui représentent les enseignants et les autres employés des universités et des cégeps doivent « prendre les moyens appropriés pour amener ses membres à se conformer » à la loi, c’est-à-dire agir en tant qu’auxiliaires du gouvernement dans la suppression de la grève.
Les manifestations de 50 personnes ou plus, peu importe l’enjeu, sont illégales, sauf si les organisateurs de la manifestation fournissent d’avance à la police le trajet prévu et la durée de la manifestation et s’ils se soumettent à tout changement exigé par la police. Les organisateurs sont forcés par la loi de faire respecter le trajet établi par la police.
Les gens reconnus coupables d’avoir violé ces conditions pourraient se voir imposer d’énormes amendes.
L’élite dirigeante du Canada a accueilli avec enthousiasme la loi 78, rejetant de revers de la main les inquiétudes concernant l’assaut sur la liberté d’expression et le droit d’association. Le quotidien le plus influant de la province, La Presse, a appuyé la loi spéciale en la présentant comme une arme nécessaire pour tuer « le serpent de la violence et du désordre ». Au côté d’un éditorial appuyant la loi 78, le Globe and Mail, le journal de référence du Canada, a publié un commentaire intitulé « Les manifestants des droits de scolarité sont les Grecs du Canada ».
La loi est le couronnement d’une campagne de violence d’État contre la grève étudiante. Les policiers ont systématiquement provoqué la violence en ayant recours aux gaz lacrymogènes, à la matraque, aux grenades assourdissantes et aux balles de caoutchouc pour disperser les étudiants et leurs partisans.
Lors du débat en chambre sur la loi 78, le ministre des Ressources naturelles Clément Gignac a comparé la grève étudiante à une « insurrection ». Plus tôt la semaine dernière, le ministre des Finances Raymond Bachand a accusé les « marxistes » d’être responsables des « tactiques d’intimidation », parlant des piquets de grève, qui ont frustré le gouvernement dans ses tentatives de briser la grève.
La classe dirigeante réagit avec fureur à la grève, car elle voit que celle-ci est un défi implicite aux mesures d’austérité défendues par tous les gouvernements et tous les partis de la politique officielle canadienne.
Elle craint surtout que la grève étudiante ne serve de catalyseur à un mouvement de masse de la classe ouvrière contre ses politiques, qui visent à rejeter le fardeau de la crise capitaliste sur les travailleurs.
Les événements au Québec illustrent un processus mondial. Les gouvernements capitalistes de par le monde réagissent par la répression étatique à la résistance croissante des travailleurs à leur programme de guerre de classe qui vise la baisse des salaires, des suppressions d’emploi et le démantèlement de services sociaux. Ils s’attaquent aux droits démocratiques et criminalisent l’opposition de la classe ouvrière.
Au cours de la dernière année, le gouvernement fédéral conservateur du Canada a eu recours à maintes reprises aux lois spéciales pour briser ou empêcher des grèves, comme à Air Canada et Postes Canada, et pour priver les travailleurs de leurs droits de négociation collective.
En août dernier, en réaction aux émeutes provoquées par le meurtre d’un jeune homme par la police, le gouvernement britannique a ordonné aux policiers d’envahir les quartiers pauvres à travers le pays et a indiqué aux tribunaux de laisser tomber les jugements en bonne et due forme pour imposer des sentences exemplaires.
Le gouvernement espagnol a mobilisé l’armée pour briser une grève des contrôleurs aériens et le gouvernement français a déclenché une opération policière massive à l’échelle du pays contre les travailleurs en grève des raffineries de pétrole.
Lorsqu’il est devenu clair que les gouvernements de la Grèce et de l’Italie n’allaient pouvoir imposer les prodigieuses coupes exigées par les marchés financiers internationaux en raison de l’opposition populaire, ils ont été remplacés par des gouvernements « technocratiques » non élus et les mesures d’austérité ont été imposées en totalité.
Se déroulant peu après les élections en France et en Grèce dans lesquelles les électeurs ont exprimé leur opposition aux gouvernements d’austérité, le sommet de l’OTAN ce week-end à Chicago a été l’occasion de mettre en oeuvre une autre gigantesque opération de sécurité d’État. Le but est d’intimider les opposants de la grande entreprise et de la réaction sociale et d’habituer la population à la destruction des libertés civiles.
Comme dans les années 1930, la bourgeoisie réagit à l’effondrement mondial du capitalisme en ayant recours à des méthodes dictatoriales de gouvernance, au moment même où elle parle de démocratie et de droits humains pour justifier ses guerres impérialistes en Afghanistan, en Libye, en Syrie et dans d’autres pays.
Deux conclusions cruciales doivent être tirées : la classe ouvrière fait face à une lutte pour le pouvoir politique contre l’ordre social capitaliste et la défense des droits démocratiques nécessite la mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière.
(Article original paru le 21 mai 2012)