Répression policière contre la grève étudiante de 2012:
Le Parti québécois lance une commission à huis clos pour blanchir la police
Par Laurent Lafrance
28 mai 2013
Après la sortie d'un rapport qui documente la répression massive employée contre la grève étudiante québécoise de 2012 (nombre record d'arrestations, actes de brutalité policière, pluie d'injonctions interdisant les piquets de grève, loi spéciale interdisant les manifestations), le gouvernement péquiste de Pauline Marois a lancé une commission pour blanchir la police et tout l'appareil d'État capitaliste.
Selon le ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron, la démarche vient en réponse aux quelque 200 plaintes reçues par le commissaire à la déontologie concernant la brutalité policière de l’an dernier. Toutefois, Bergeron a déclaré que la commission, qui se tient à huis clos et qui n’a aucun pouvoir de contrainte, ne cherche pas des «coupables», mais vise à «tirer des leçons» pour «prévenir une telle crise sociale à l'avenir».
Loin de vouloir enquêter sur la brutalité policière, la commission servira en fait de couverture politique aux mesures d’austérité imposées par le PQ depuis son arrivée au pouvoir en septembre dernier, et à son maintien d'un climat de répression par sa défense vigoureuse du règlement montréalais P6 – un calque du projet de loi 78 qui est régulièrement invoqué par la police pour disperser les manifestations.
Sous la façade d’une supposée impartialité, le gouvernement prépare le terrain pour contrer toute opposition à ses politiques d’austérité et justifier de nouvelles mesures répressives de l’État. Sur le site internet du PQ, il est noté que la commission examinera entres autres les «impacts économiques» des manifestations, leur «effet sur le sentiment de sécurité de la population» et «l'utilisation des médias sociaux dans l'organisation des manifestations».
Le PQ a une longue expérience dans la mise en œuvre de sommets et de commissions qui, sous le couvert d’un soi-disant «consensus national», servent à imposer le programme de la grande entreprise. Le sommet sur l’éducation qui a pris place en mars dernier – une promesse électorale du PQ lors des élections de septembre dernier – s'est conclu par une hausse de 3 pour cent et l’indexation permanente des frais de scolarité.
Trois importants syndicats policiers ont indiqué qu’ils boycotteront la commission du PQ, tout comme le Parti libéral du Québec (PLQ). Le PLQ, ainsi que le troisième parti d’opposition, la Coalition avenir Québec (CAQ), ont critiqué la commission essentiellement pour son choix partisan des trois membres qui la dirigeront, soit l'ancien ministre péquiste Serge Ménard, l'ex-juge Bernard Grenier et l'ancienne présidente de la Confédération des syndicats nationaux, Claudette Carbonneau.
Au fond, ce n’est pas tant le choix des membres – tous des défenseurs expérimentés de l'establishment – qui dérange l’opposition. (En 2001, lors du Sommet des Amériques à Québec, Serge Ménard, alors ministre de la Sécurité publique avait félicité les policiers pour ne pas avoir «cédé à la provocation des manifestants» et pour avoir utilisé des bombes fumigènes et des gaz lacrymogènes pour disperser la foule).
En continuant de dénoncer la supposée violence des étudiants grévistes de 2012, les libéraux veulent justifier les mesures anti-démocratiques qu'ils ont adoptées pour criminaliser non seulement la protestation étudiante, mais toute forme de contestation sociale. Ils veulent aussi maintenir la pression sur le PQ pour qu'il impose des politiques encore plus à droite en démantelant ce qui reste des programmes sociaux et en minant davantage des droits démocratiques élémentaires comme le droit de manifester.
Le porte-parole de l'opposition officielle en matière de sécurité publique, le libéral Robert Poëti a dit: «J'aimerais savoir de la part du ministre s'il va préparer une commission équivalente pour enquêter sur l'implication des groupuscules, des anarchistes, des syndicats étudiants et des centrales syndicales dans les épisodes répétés de désobéissance civile».
Pour rassurer ses critiques, le ministre Bergeron a déclaré : «Je demeure persuadé que la très grande majorité des policières et des policiers du Québec ont agi avec tout le professionnalisme requis dans les circonstances».
Le choix de la bureaucrate syndicale Claudette Carbonneau a été vivement critiqué de la droite par l’opposition pour sa soi-disant partisanerie à l’égard des étudiants, ce qui est complètement faux. Le PQ utilise plutôt ses liens avec la bureaucratie pour mieux imposer son programme d’austérité.
Tout au long de la grève, les syndicats ont semé l’illusion qu’ils soutenaient les étudiants alors qu’ils ont tout fait pour isoler leur lutte. Lorsque la grève menaçait de s’étendre à la classe ouvrière suite à l’imposition de la loi 78 – par les libéraux alors au pouvoir – les syndicats ont lancé le slogan «après la rue, les urnes». Ils ont ensuite mené une campagne dirigée uniquement contre les libéraux, frayant ainsi la voie du pouvoir au Parti québécois avec lequel la bureaucratie entretient des liens privilégiés.
Depuis son élection, le PQ a sabré en santé, en éducation, dans les universités, dans les garderies, à Hydro-Québec et dans l’ensemble des programmes sociaux. Il s’agit des plus importantes coupures de la province depuis les quinze dernières années.
La commission a été annoncée suite à un rapport publié par la Ligue des droits et libertés, l’Association des juristes progressistes et l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) – l’association étudiante qui a dirigé la grève militante – qui apporte des témoignages troublants de victimes de violence policière lors de la grève étudiante de 2012.
Dans un communiqué récemment publié, la Ligue des droits et libertés dit être «outrée de la réponse à la demande d'enquête qu'elle adresse depuis plusieurs mois au gouvernement Marois», car le ministre de la Sécurité publique a «carrément détourné l'objet de la demande d'enquête qui devrait porter sur les abus policiers commis lors du printemps étudiant». La Ligue rappelle qu'il y a eu plus de «3500 personnes arrêtées, intimidées par les policiers, brutalisées, détenues illégalement, sans compter le grand nombre de personnes privées de leur droit de manifester lors d'arrestations préventives totalement illégales».
Alors que le PQ lançait sa commission, les élus de la ville de Montréal votaient pour maintenir l’entièreté du règlement P6, qui est calqué sur le projet de loi 78 et a été adopté par Montréal lors de la grève étudiante. Des règlements similaires ont été adoptés par de nombreuses municipalités du Québec.
La loi 78 (devenue la loi 12) avait été imposée par le gouvernement libéral de Jean Charest pour briser la grève étudiante. Elle faisait en sorte que toute protestation — peu importe la cause — de plus de 50 personnes ou plus devenait illégale à moins que les organisateurs n’aient soumis aux autorités, au moins 8 heures à l’avance, l’itinéraire et la durée de la marche en se conformant à toutes les modifications prescrites par la police. Les syndicats ont dénoncé la loi, mais s'y sont rapidement soumis et ont appelé les professeurs à aider le gouvernement à l'imposer en remplissant toutes leurs fonctions normales et en pénalisant les étudiants qui continueraient à boycotter les cours.
Une fois au pouvoir grâce au soutien de la bureaucratie syndicale et des associations étudiantes, le PQ a abrogé la loi 12 et annulé la hausse des frais de scolarité dans le but de stabiliser la situation politique et d’éteindre les dernières braises du mouvement de contestation. Toutefois, le PQ a rapidement indexé les frais de scolarité tout en appuyant vigoureusement le règlement P6.
Lors d'un point de presse, la première ministre Marois a défendu le règlement P6, qui exige qu'un itinéraire soit fourni d'avance à la police pour qu'une manifestation soit jugée légale. «J'invite les groupes qui veulent manifester, et moi je suis très respectueuse de ce droit, à présenter le parcours», a déclaré Marois.
Son ministre responsable de Montréal, Jean-François Lisée, a également affirmé que le règlement doit être maintenu. «C'est absolument raisonnable», a-t-il déclaré. «Une manifestation, ce n'est pas spontané, c'est organisé, c'est appelé à une heure dite: donc, qu'ils donnent l'itinéraire, tout simplement, pour que ça se passe dans le calme.»
Selon le règlement P6, le port d’un masque est interdit lors des manifestations et l'obligation de donner l’itinéraire à la police est maintenue. Le fait qu’une seule personne soit masquée peut être suffisant pour permettre aux policiers de déclarer une manifestation illégale. L’amende pour une première infraction peut s’élever à 1000 dollars, 2000 dollars pour une première récidive et 3000 dollars pour toute autre récidive.
Les policiers de Montréal sont déjà intervenus à maintes reprises en vertu du règlement P6 pour déclarer illégale une série de protestations en opposition à cette même loi, puis arrêter des centaines de manifestants.
Anarchopanda, un professeur collégial de philosophie ayant participé à de nombreuses manifestations étudiantes au printemps, déguisé en mascotte de panda «pacifiste», a récemment reçu trois amendes de 637 dollars chacune pour port de masque.
À Longueuil, une ville de la banlieue de Montréal, sept personnes ont été arrêtées alors qu’elles manifestaient contre le règlement P6.
Dans une scène presque surréaliste, six policiers en voiture et en vélo sont récemment intervenus pour mettre un terme à une manifestation de 80 parents de Montréal qui faisaient de la sensibilisation pour la sécurité de leurs enfants aux abords de l’école.
Comme dans tous les pays, l’élite dirigeante québécoise et canadienne utilise des méthodes de plus en plus répressives et antidémocratiques pour répondre à l’opposition des travailleurs à l’austérité et aux inégalités sociales grandissantes.