En lançant la force G5 Sahel, la France intensifie sa guerre en Afrique
Par Kumaran Ira
18 novembre 2017
Déjà dévasté par l’intervention impérialiste en Libye en 2011 et au Mali en 2013, le Sahel est menacé d'une nouvelle escalade militaire, alors que les grandes puissances et notamment la France intensifient leur intervention dans cette région stratégique riche en matières premières.
La nouvelle force régionale organisée par la France, le G5 Sahel – qui regroupe le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad – a lancé sa première opération Haw Bi («Vache noire») du 27 octobre au 11 novembre dans la zone frontalière entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Cette force opère en coordination avec les troupes françaises et la MINUSMA, mission de maintien de la paix de l'ONU au Mali (12.000 soldats). Ses patrouilles étaient dirigées contre des combattants islamistes ou touaregs locaux hostiles à Paris et au pouvoir central malien à Bamako.
«C’est une opération en forme de test», affirme le commandant de la Force, le général malien Didier Dacko. Selon l'armée française, cette opération de «contrôle de zone» a réuni 350 soldats du Burkina, 200 soldats nigériens et 200 militaires maliens.
Depuis son élection, le Président Emmanuel Macron promet d’intensifier la guerre lancée par son prédécesseur dans l'ancien « pré carré » colonial français, sur fond de profondes tensions géostratégiques entre l'Europe, les Etats-Unis et la Chine. Le 2 juillet, Macron a participé à un sommet extraordinaire des chefs d’État du G5-Sahel à Bamako. Le sommet a lancé la nouvelle force, qui comprend environ 5.000 soldats fournis par les pays de l'alliance.
Macron a confirmé que la France restera en Afrique et gardera ses 4.000 soldats déployés dans le cadre de l’opération Barkhane au Mali malgré le lancement de la force G5. Il a dit que la France resterait engagée au Mali «aussi longtemps qu’il le faudra» dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il n'a donné aucune indication de quand Paris pourrait retirer ses troupes.
«Je suis venu à Bamako aujourd'hui et à Gao le mois dernier pour vous assurer que la France restera engagée aussi longtemps qu'il le faudra», a dit Macron lors d'un discours devant la communauté française à Bamako. «A travers notre engagement, notre objectif de long terme est d'accompagner, d'épauler les forces nationales et régionales», a-t-il ajouté.
Paris confronte toutefois une difficulté: sa marge de manœuvre budgétaire est étroite. Le G5 a estimé que le fonctionnement de cette force coûteraient 423 millions d’euros la première année. Macron n'a annoncé qu'une aide matérielle et logistique française équivalente à 8 millions d’euros d’ici la fin de l’année, l'Union européenne a promis 50 millions, et chaque pays du G5 s'engage à une contribution de 10 millions d’euros. La France recherche donc des financements auprès de ses alliés impérialistes, notamment l'Allemagne et les États-Unis.
Dans l'analyse, les capitales impérialistes comptent imposer les coûts de cette escalade néo-coloniale aux travailleurs, ce que Macron souligne en augmentant l'effort de défense tout en éliminant l'impôt sur la fortune. L'austérité et les milliards d'euros en réductions de dépenses sociales essentielles en Europe servent à alimenter ces nouvelles opérations militaires en Afrique. En même temps, Macron somme les pays du G5, qui étaient déjà parmi les plus pauvres au monde avant d'être dévastés par les guerres de cette décennie, de lui fournir en quantité de la chair à canon.
L'idée que ces sacrifices en hommes et en argent sont nécessaires pour lutter contre le terrorisme est un mensonge politique éhonté.
La crise au Sahel résulte directement de la guerre libyenne, lancée par l’OTAN pour renverser le régime de Kadhafi avec l'aide de milices islamistes en 2011. Après la chute de Kadhafi, des Touaregs qui avaient combattu aux côtés des soldats de Kadhafi sont rentrés au Nord Mali et ont épaulé les groupes touaregs locaux, dont le Mouvement national de Libération d'Azawad (MNLA), contre l'armée malienne dans le Nord du pays. Ceci a provoqué une crise majeure dans la capitale malienne, Bamako; un coup d’État a renversé le Président Amadou Toumani Touré en Mars 2012.
Au début, Paris a tenté d'évincer le gouvernement militaire du capitaine Amadou Sanogo, qui s'est vu obligé de céder le pouvoir à un gouvernement intérimaire. Mais finalement, Paris a décidé de soutenir la junte de Sanogo en lançant sa guerre au Mali en janvier 2013, présentée toutefois en tant que guerre pour protéger la démocratie contre l'islamisme.
Depuis 2013, la guerre française au Mali n’a pour objectif ni la lutte contre le terrorisme ni la mise en place de la démocratie. Sur fond de rivalités internationales de plus en plus aiguës, Paris prépare de nouvelles guerres en Afrique pour y protéger ses intérêts impérialistes, notamment les vastes mines d'uranium du Sahel qui alimentent les centrales nucléaires françaises.
Cette succession de guerres a dévasté les pays du G5. Selon l’ONU, près de 5 millions de personnes ont dû fuir leurs foyers et 24 millions de personnes ont besoin d'aide humanitaire. Même les responsables maliens maintenus au pouvoir par l'intervention française critiquent à présent la guerre en Libye, qu'ils rendent responsables du chaos qui sévit dans la région. Le ministre des Affaires étrangères du Mali, Abdoulaye Diop, a traité la guerre «d'erreur stratégique» dont les retombées n'ont pas été «bien gérées».
Alors que les troupes américaines interviennent également au Niger et dans la région, les différends montent entre les puissances impérialistes et aussi avec la Chine dont l'influence politique en Afrique monte en parallèle avec son influence commerciale. Les États-Unis – hostiles à l'exigence française d'un fonctionnement des opérations en Afrique sous l'égide de l'ONU et réticents à financer l'armée française – émettent de sérieuses réserves quant au G5.
Washington refuse notamment de financer le G5 par l'intermédiaire de l'ONU, alors que l’administration Trump vise à réduire les subventions versées à l'ONU par les Etats-Unis et préfère subventionner directement les pays membres du G5. Washington a annoncé une aide de 51 millions d’euros aux pays de cette force et a déclaré que ces fonds n’iraient pas à l’ONU.
L’aide américaine doit «renforcer nos partenaires régionaux dans leur combat pour assurer la sécurité et la stabilité face au groupe djihadiste État islamique et aux autres réseaux terroristes», a estimé le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson. «C’est un combat que nous devons gagner, et cet argent va jouer un rôle-clé pour y parvenir», a-t-il ajouté.
L'ambassadrice américaine à l'ONU, Nikki Haley, a plus vertement critiqué la stratégie de Paris. «Ils ne peuvent pas nous expliquer leur but, ou comment ils vont procéder», a-t-elle déclaré sur CNN. «Si ensuite ils reviennent et nous montrent une stratégie, et si c'est quelque chose dont le général Mattis et le général Dunford pensent que ça va dans le bon sens, on sera d'accord. ... Mais pour le moment ils ne nous montrent pas ça, alors pour nous, ça n'a pas de sens.»
Sur fond de tensions franco-américaines, le régime stalinien chinois soutient, du moins en surface, la nouvelle force mise en place par l'impérialisme français, afin de développer son influence. Wu Haitao, le vice-représentant permanent de la Chine auprès de l’ONU, a déclaré qu'il «faudrait soutenir cette alliance tout en tenant compte du rôle dirigeant des forces régionales et de la souveraineté des pays de l'alliance». Beijing a déjà établi son propre fonds d'aide pour le Sahel.