Ankara attise le nationalisme turc sur le blocage de responsables turcs par les autorités néerlandaises
Par Halil Celik
15 mars 2017
L’interdiction provocatrice du gouvernement néerlandais qui empêche les officiels turcs de parler publiquement aux Pays-Bas est une aubaine pour les forces politiques les plus à droite en Turquie.
Le but affiché des interdictions est d’empêcher les représentants turcs de faire campagne pour un « oui » dans le référendum du 16 avril proposé par le président turc Recep Tayyip Erdogan sur un amendement constitutionnel qui lui donnerait de vastes pouvoirs sur toutes les branches du gouvernement. Les sondages montrent actuellement qu’une étroite majorité de 52 % de l’électorat rejette le référendum réactionnaire d’Erdogan, qui transformerait effectivement la Turquie en dictature présidentielle.
Les Pays-Bas et d’autres gouvernements européens ont imposé des interdictions après que le gouvernement turc a organisé des rassemblements dans des pays à travers l’Europe, encourageant les Turcs vivant en Europe à voter « oui » au référendum. Quelque 5 millions de Turcs vivent en Europe, dont 1,4 million d’électeurs éligibles rien qu’en en Allemagne. Ces électeurs pourraient déterminer le résultat du référendum.
Maintenant, le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP) d’Erdogan signale l’hystérie anti-musulmans attisée dans toute l’Europe pour promouvoir un vote « oui », en présentant le référendum comme la cible des haines contre les musulmans et les turcs.
Hier, après la provocation du gouvernement néerlandais qui a empêché deux ministres turcs de s’exprimer à des rassemblements à Rotterdam pendant le week-end, Ankara a envoyé des notes diplomatiques pour protester contre les incidents. Selon le ministère des Affaires étrangères, la première note d’Ankara aux Pays-Bas a dénoncé les mauvais traitements infligés à la ministre de la Famille Fatma Betul Sayan Kaya et aux diplomates turcs. La deuxième note portait sur « les mauvais traitements de la communauté turque et des citoyens qui ont exercé leur droit à la manifestation pacifique à Rotterdam ».
S’exprimant lors de la cérémonie des Récompenses de bienfaisance internationale à Istanbul dimanche, le président turc Erdogan a qualifié les interdictions dans plusieurs pays européens de « signes du fascisme, du racisme, et de l’islamophobie croissants. » Sur son compte Twitter, le ministre turc de l’UE, Omer Celik, a critiqué les autorités néerlandaises pour avoir pratiqué un « fascisme complet ».
Outre les tentatives de présenter l’AKP comme un champion de la démocratie contre la xénophobie et le racisme, Erdogan et ses sbires ont également fait tout leur possible pour identifier la campagne du « non » avec les interdictions réactionnaires des gouvernements européens.
S’exprimant sur la chaîne de télévision turque Kanal 24, le ministre turc de la Justice, Bekir Bozdag, a qualifié l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et d’autres pays européens d’opposants au changement constitutionnel proposé en Turquie et a déclaré qu’ils étaient « du côté du non au référendum ».
Ces déclarations étaient une autre tentative du gouvernement turc et du Parti du mouvement nationaliste (MHP) fascisant de diaboliser les forces politiques appelant à un « non ».
Ils avaient prétendu précédemment que la campagne du « non » était une émanation du Parti démocratique populaire pro-kurde (HDP) et du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) interdits. L’AKP et le MHP ont dénoncé le HDP comme l’extension légale du groupe séparatiste kurde interdit, une revendication visant à dénigrer toute personne votant contre le système présidentiel comme aidant ou encourageant le terrorisme.
Depuis que les puissances européennes ont commencé à interdire aux responsables de l’AKP de parler en Europe, les porte-parole de l’AKP dans les médias n’ont pas tardé à présenter le référendum du gouvernement Erdogan comme la victime d’une campagne européenne anti-turque. Le gouvernement turc, affirme Ilknur Cevik dans un article du quotidien pro-AKP Daily Sabah, est le défenseur des « valeurs sacrées et suprêmes » qui ont fait du continent une plaque tournante de la civilisation dans l’histoire moderne.
Cevik a souligné le coup tenté le 15 juillet de l’année dernière, soutenu par Washington et Berlin, visant à renverser le gouvernement de l’AKP et à assassiner Erdogan. Dans son article intitulé « L’Europe captive de la jalousie et du racisme » Cevik a déclaré qu’il était « clair que la coalition des pays dirigés par l’Allemagne est extrêmement mécontente du fait que la Turquie devienne une étoile montante sous la direction du président Recep Tayyip Erdogan, et ont tout essayé pour l’entraver, y compris en soutenant un coup militaire, mais ils ont échoué. »
Faisant appel au nationalisme turc, il a souligné que l’interdiction pour les ministres turcs de s’exprimer aux Pays-Bas et ailleurs en Europe était un soutien au vote du « non » au prochain référendum en Turquie.
Le Parti fascisant du mouvement nationaliste (MHP), principal allié du gouvernement d’Erdogan dans la campagne pour un vote « oui » au référendum constitutionnel, ainsi que dans son intervention militaire en Syrie, a également apporté son soutien à l’AKP.
Le 12 mars, le vice-président du MHP Semih Yalcin a déclaré que la Turquie devrait prendre des mesures plus sérieuses contre les Pays-Bas et d’autres pays européens. « Nous n’avons pas de soucis à ce sujet. Le MHP s’associe aux mesures qui seront prises et qui ont été prévues. Nous le déclarons ouvertement. Nos amis vont montrer leur propre position dans les pays européens », a-t-il ajouté.
Les tirades des responsables du gouvernement turc et leurs porte-parole dans les médias sont réactionnaires et reposent sur un mensonge politique fondamental. Les puissances européennes imposent des interdictions chauvines et islamophobes aux fonctionnaires turcs dans le cadre d’un programme plus large de militarisme, de contre-révolution sociale et de promotion du nationalisme d’extrême droite visant en dernière analyse la classe ouvrière européenne et internationale.
Le référendum d’Erdogan n’est cependant pas dirigé contre le nationalisme, l’austérité ou la guerre. Il vise plutôt à concentrer les pleins pouvoirs aux mains d’Erdogan, afin qu’il puisse continuer sa participation militaire à l’écartèlement impérialiste de la Syrie mené par les États-Unis et ses actions pour écraser le HDP, le PKK et toute autre source d’opposition politique en Turquie même.
Le principal avantage d’Erdogan, alors qu’il tente de passer en force ses amendements constitutionnels, c’est la faillite de ses opposants bourgeois, Kemal Kilicdaroglu, président du Parti populaire républicain pro-Union européenne (UE), qui soutient le « non » au référendum, a réagi aux interdictions européennes en s’adaptant à la rhétorique nationaliste de l’AKP.
Kilicdaroglu a affirmé de façon absurde que les interdictions européennes « n’ont rien à voir avec le référendum et les votes “oui” ou “non” ». Il a poursuivi : « C’est une question nationale. Il est du devoir de chaque parti politique, peu importe si vous êtes de droite ou de gauche, de défendre les droits de la Turquie. Nous sommes prêts à faire notre devoir.
« Maintenant, je lance un appel clair au gouvernement », a-t-il déclaré lors d’un rassemblement du 12 mars dans la province méridionale d’Adana. « S’ils ne permettent pas au ministre turc d’entrer aux Pays-Bas ou ils ne peuvent pas se rendre à l’ambassade, veuillez suspendre nos relations avec les Pays-Bas. Nous apporterons tout soutien ».
La rhétorique nationaliste de la PCH va de pair avec son soutien de longue date à l’UE et à son alliance militaire avec l’impérialisme américain.
Les puissances de l’OTAN voient la défaite possible d’Erdogan dans le référendum comme une occasion de remplacer le gouvernement de l’AKP par un autre plus pro-UE. Ce serait un événement totalement réactionnaire, qui ne défendrait pas, mais plutôt menacerait, la démocratie en Turquie. Washington et les principales puissances de l’UE ont soutenu quatre coups d’État militaires réussis en Turquie, en 1960, 1971, 1980 et 1997, et ont été scandalisés par l’échec de la tentative de coup d’État du 15 juillet.
Pour l’instant, sur fond de colère populaire croissante en Turquie et à travers l’Europe contre leur politique de contre-révolution sociale et de militarisme, l’encouragement réactionnaire de l’UE du nationalisme renforce la main d’Erdogan en Turquie.
(Article paru en anglais le 14 mars 2017)