Débat présidentiel : Macron et le Pen répandent le militarisme et la xénophobie
Par Alexandre Lantier et Johannes Stern
4 mai 2017
Le débat télévisé de mercredi entre l'ex-banquier Emmanuel Macron et la dirigeante du Front national (FN) Marine Le Pen a été un moment important dans la dégenerescence des présidentielles. Un ex-ministre du gouvernement PS et une néo-fasciste se sont insultés et disputés lors d'un débat bruyant pendant lequel les modérateurs, les journalistes Nathalie Saint-Cricq et Christophe Jakubyszyn, ont été réduits au silence, stupéfaits par ce qui se produisait.
Au courant de 150 minutes pendant lesquelles ils se sont traités de menteurs et de criminels sans expliquer quoi que ce soit de neuf sur leurs positions politiques, les candidats ont montré qu'ils sont insensibles et hostiles à la montée du mécontentement social et politique dans la population.
Macron a insisté qu'il utiliserait la loi travail pour travailler avec les appareils syndicaux et imposer des ordonnances pour casser le Code du travail et imposer la hausse des cadences pour améliorer la compétitivité des entreprises. Macron, qui veut rétablir le service militaire, s'est vanté de porter « un esprit de conquête français ; la France a toujours réussi dans le monde, sa langue se parle dans tous les continents ».
Le Pen, après avoir brièvement traité Macron de représentant du PS et de l'élite dirigeante, a fait appel à la xénophobie. Elle a dénoncé les travailleurs étrangers et exprimé son espoir qu'en quittant l'euro et en rétablissant le franc, la France pourrait sérieusement endommager l'économie et les exportations allemandes.
Ce débat dégradé est un symptôme d'une profonde putréfaction du système politique français. Les candidats des deux partis qui ont gouverné la France depuis un demi-siècle, le PS et Les Républicains, ont été éliminés au premier tour ; les deux partis sont profondément divisés et discrédités par des décennies d'austérité et de guerre.
Comme l'a expliqué le Parti de l'égalité socialiste (PES) dans son appel à un boycott actif du second tour, le fait que Macron et le Pen ont été les vainqueurs du premier tour souligne le conflit sans merci qui s'annonce entre le prochain président et les travailleurs. La tâche essentielle et de développer l'opposition des travailleurs et des jeunes aux deux candidats et de les mobiliser en lutte contre le candidat qui remportera les élections dimanche.
Macron et le Pen prônent tous deux la guerre et la dictature. Ni l'un ni l'autre n'a mentionné le fait que la France est sous un état d'urgence imposé par le PS qui suspend les droits démocratiques, ou que les menaces de l'Otan contre la Syrie et la Corée du nord pourraient provoquer des guerres avec la Russie ou la Chine. L'élite dirigeante française défend ces politiques, et ni Saint-Cricq ni Jakubyszyn n'a jugé bon de les mentionner.
Les deux candidats proposent de renforcer des forces de l'ordre et se sont critiqués l'un l'autre pour n'avoir pas combattu le terrorisme. Quand Le Pen a attaqué Macron, qu'elle a traité de complice de l'islamisme et du laxisme judiciaire, Macron a réagi en déclarant qu'avec le rétablissement des contrôles aux frontières, le PS avait permis à la police d'y arrêter 60.000 personnes.
Sur la politique étrangère, les deux se sont attaqués pour avoir subordonné la France à d'autres puissances et évoqué une stratégie plus indépendante pour l'impérialisme français. Le Pen a insisté que la France ne devait pas se soumettre à Washington ou à Berlin. Macron a pour sa part accusé Le Pen d'avoir accepté le diktat de Poutine et appelé à renforcer les capacités militaires françaises afin de pouvoir mener des guerres au Sahel, en Syrie, et en Irak.
Le fait même que ce débat a eu lieu souligne le virage à droite de l'élite dirigeante au courant des 15 dernières années. En 2002, la première fois qu'un candidat PS a été éliminé au premier tour, et le président de droite Jacques Chirac a affronté au second tour le dirigeant FN de l'époque Jean-Marie Le Pen, ceci a provoqué non seulement des manifestations de masse de millions de gens, mais une profonde inquiétude dans la classe dirigeante.
Craignant la réaction des masses et voulant donc cultiver certaines références gaullistes à la Résistance contre l'occupation, Chirac a refusé de participer au débat traditionnel avec Jean-Marie Le Pen, au motif qu'il ne débattrait pas avec un fasciste.
Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) a lancé l'appel à un boycott actif des élections de 2002 afin de mobiliser les travailleurs et les préparer à une lutte politique contre le prochain gouvernement. Cet appel a été rejeté par les organisations petite-bourgeoises – la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, aujourd'hui le NPA), Lutte ouvrière (LO), et le Parti des travailleurs (PT, aujourd'hui le POID) – qui se sont alignés sur la campgne du PS pour Chirac.
Ceci a complété leur intégration dans l'élite politique française et permis au FN de se donner pour le seul parti d'opposition en France, avec des conséquences dévastatrices.
Depuis, la classe politique s'est déplacée si loin vers la droite qu'il n'était même pas question pour Macron de refuser le débat avec Le Pen. La classe capitaliste a répudié toute prétention d'un attachement aux droits démocratiques, alors qu'à travers l'Europe les milieux dirigeants tentent de ré-évaluer et de réhabiliter le fascisme.
Pendant le débat, Macron a même déclaré qu'il se s'intéressait pas à la question de l'histoire du FN, dont l'héritage remonte directement aux forces collaborationnistes qui ont opprimé la France pendant l'Occupation nazie. Ceci reflète la profonde crise économique et politique qui s'est développée en Europe au 21e siècle, et en particulier depuis le krach de 2008.
Les gouvernements français ont adopté les politiques que l'on associait traditionnellement avec l'extrême droite à une époque précédente : l'Etat sécuritaire, la répudiation des acquis sociaux du 20e siècle, et la guerre impérialiste. Hollande a utilisé l'islamophobie et le populisme d'extrême-droite du FN pour stabiliser son gouvernement PS profondément impopulaire. Il a invité Le Pen à l'Elysée deux fois en 2015 et repris à son compte de larges sections du programme du FN afin de légitimer les néo-fascistes.
Toutes les expériences politiques depuis 2002, y compris le débat réactionnaire hier soir, soulignent qu'il est impossible de stopper la poussée du capitalisme vers la dictature et le néo-fascisme en s'alignant sur une ou autre fraction de la classe dirigeante.