Les militants de la France insoumise rejettent un vote Macron au second tour
Par Alexandre Lantier
3 mai 2017
Les membres Internet de la France insoumise (FI) ont rejeté massivement hier les appels de l'élite dirigeante à voter pour le banquier Emmanuel Macron au second tour. C'est aussi un désaveu implicite du candidat malheureux de la FI, Jean-Luc Mélenchon, qui a souligné sa sympathie politique pour Macron, allant même jusqu'à proposer de devenir son premier ministre.
Dans la consultation organisée par la FI, seulement 34,83 pour cent des militants ont choisi de s'exprimer pour un vote Macron, le favori du PS. Le vote nul est arrivé en tête (36,12 pour cent), et le choix de l'abstention a recueilli 29,05 pour cent des voix. La FI avait indiqué qu'un vote pour la candidate frontiste Marine Le Pen n'était pas une option dans la consultation, à laquelle environ 200.000 des 450.000 militants de la FI ont participé.
Ce vote souligne l'importance politique de l'appel du Parti de l'égalité socialiste (PES) à un boycott actif du second tour, ainsi que le rôle néfaste joué par Mélenchon pour bloquer le développement de l'opposition des travailleurs au prochain président. Le PES insiste que les électeurs et militants de FI ne peuvent accorder aucune confiance à Mélenchon. Il faut organiser des luttes et des manifestations, indépendamment de Mélenchon, et se préparer à des luttes révolutionnaires contre le prochain président.
Vendredi, Mélenchon a déclaré qu'il irait voter mais sans dire ce qu'il ferait dans l'isoloir ni donner de perspective ou de consigne de vote, que ce soit pour ses électeurs ou pour les membres de la FI. Il s'est aligné sur une campagne politico-médiatique qui réunit le PS et LR, ainsi que les principaux journaux et médias télévisés, pour insister que Macron est un « moindre mal » que Le Pen.
Cette campagne est une fraude politique, car Macron n'est pas un moindre mal que Le Pen. La candidate néo-fasciste est sans doute un danger mortel pour les travailleurs. Mais Macron l'est également, tout autant que Le Pen. Il dit vouloir maintenir l'état d'urgence imposé par le PS, qui servirait à écraser l'opposition des travailleurs à la remilitarisation de la France et de l'Union européenne, avec notamment la réintroduction du service militaire, et à une série de mesures anti-ouvrières qu'il imposerait par décret grâce à la loi Travail.
Ce qui se profile est une tentative par toute la classe dirigeante française d'imposer dans la durée un régime autoritaire, afin de se préparer à la guerre et saccager les acquis sociaux des travailleurs européens, remportés au courant de générations de lutte au 20e siècle.
Ce programme provoque une profonde opposition des travailleurs et des jeunes, et le PES a lancé l'appel à un boycott actif et aux luttes ouvrières pour préparer une mobilisation révolutionnaire des travailleurs contre un système capitaliste en perdition.
Une large majorité des forces que Mélenchon a recueillies sur Internet pour promouvoir sa candidature – qui a remporté de nombreux centres ouvriers et urbains dont Marseille, Toulouse, et la Seine St Denis en région parisienne – est hostile à Macron. Ils ne veulent donner leurs voix ni à la candidate du FN, ni à un candidat militariste partisan d'une extrême austérité planifiée avec Berlin et l'Union européenne. Comme la large majorité (69 pour cent) des Français, ils comprennent que, quel que soit le gagnant du second tour, ce sera un ennemi acharné des travailleurs.
Le rôle de Mélenchon, par contre, est de semer le maximum d'illusions et de bloquer une prise de conscience des risques de guerre et de dictature auxquels sont confrontés les travailleurs et les jeunes en France et à l'international. Il se tait sur le danger que Macron, l'allié de Berlin et du Parti démocrate à Washington, pourrait participer à une guerre en Syrie qui entraînerait l'Otan dans une guerre avec la Russie. Il ne dit rien non plus sur le conflit qui oppose Washington à la Corée du nord, et derrière elle à la Chine.
Alors que le soutien pour vote Macron est minoritaire au sein de la FI, il sert à enfermer cette opposition aux deux candidats de l'élite dirigeante dans le carcan de la perspective d'une alliance législative et gouvernementale avec Macron. C'est la perspective que Mélenchon a élaborée à demi-mot dans une entrevue à TF1 dimanche soir, pendant laquelle il a tenté de conseiller d'Emmanuel Macron et a même offert de devenir son premier ministre.
Il a commencé en insistant que le progamme militariste et autoritaire de Le Pen est d'une nature fondamentalement différente et plus violente que celui de Macron. « Je dis à tous ceux qui m'écoutent : ne faites pas la terrible erreur de mettre un bulletin de vote pour le Front national. Car vous pousseriez le pays à un embrasement général dont personne ne voit le bout, parce qu'il nous mettrait du jour au lendemain dans une espèce de guerre », a-t-il déclaré.
Il s'est ensuite porté volontaire pour le poste de premier ministre sous Macron. Se disant « prêt à gouverner ce pays si nous conquérons la majorité » aux législatives en juin, il a déclaré qu' « Aux élections législatives, la France insoumise est ses alliés sont candidats au pouvoir, à gouverner le pays ».
Interrogé s'il pourrait devenir « premier ministre dans le cadre d'une cohabitation avec Emmanuel Macron si c'est lui qui l'emporte », Mélenchon a répondu : « Il faudra bien qu'il s'y fasse. ... Moi, écoutez, je veux quand même lui donner un conseil avant de vous quitter, parce qu'il faut bien aussi que je rende un petit service dans cette campagne. Au lieu de tordre le bras de mes amis et de les maltraiter, pourquoi par exemple ne ferait-il pas un geste » ?
L'annonce par Mélenchon qu'il participerait à un gouvernement où le contrôle de la politique étrangère et militaire reviendrait à Macron démasque le caractère de ses promesses sociales. Macron compte mener une cure d'austérité brutale, tout en dépensant des dizaines de milliards d'euros pour rétablir le service militaire, moderniser la force de frappe nucléaire, et renforcer les forces armées. Un premier ministre qui gouvernerait sous un président pareil n'aurait aucune des ressources nécessaires pour mener à bien même une petite fraction des promesses de Mélenchon.
Plus largement, cette proposition démasque les tentatives de Mélenchon de critiquer certaines des guerres lancées par l'Otan, notamment celles qui risquent de déclencher une guerre avec la Russie, et d'afficher des vélléités d'indépendance en politique étrangère vis-à-vis Washington et Berlin. Ce sont des stratégies visant à capter l'opposition à la guerre qui existe parmi les travailleurs et les jeunes, sans offrir d'alternative révolutionnaire au libéralisme et à l'impérialisme.
Après avoir déclaré qu'il n'a « rien de commun avec Les Républicains, rien de commun avec le Parti socialiste », Mélenchon a passé une grande partie de son entrevue à lancer des appels de pied en direction de Macron, le candidat adoubé par ces deux partis.
Il a même offert à Macron des conseils sur comment amadouer les membres de la FI : « Et je vais dire à monsieur Macron qu'il a eu tort de mépriser la consultation que j'ai organisée. Car à peine était-elle lancée qu'au lieu d'essayer de les convaincre, il a essayé de les contraindre sous la menace, d'abord en m'insultant – ça n'aide pas trop pour gagner mes électeurs – et deuxièmement en les faisant tous passer pour je ne sais quelle bande d'insconscients ».
Cette entrevue souligne que la vaste majorité des électeurs de Mélenchon et des militants de la FI sont beaucoup plus à gauche que lui et cherchent en fait une alternative à la politique qu'il représente. Comme le reste de la classe ouvrière, ils ne trouveront cette alternative qu'en la proposition d'un boycott actif et la perspective d'une lutte internationaliste et révolutionnaire pour le socialisme qu'avance le PES.