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Une semaine après la « libération » de Mossoul, on découvre encore l’horreur du siège américain

Par Bill Van Auken
18 juillet 2017

Seulement, une semaine après que le Premier ministre irakien, Haider al-Abadi, a proclamé la « libération » de Mossoul, la deuxième plus grande ville d’Irak, l’ampleur de la destruction provoquée pendant un siège de neuf mois soutenu par les États-Unis devient de plus en plus claire. Des reportages toujours plus nombreux font état de punitions collectives contre les survivants.

Abadi a présidé samedi un défilé de victoire à Bagdad où des éléments des forces de sécurité ont passé devant le Premier ministre et d’autres fonctionnaires dans la zone verte fortement fortifiée de la capitale irakienne. Le fait que le défilé n’a pas été annoncé publiquement en raison de problèmes de sécurité, les médias ne l’apprenant que par la suite et la population de la ville en étant exclue, donne une idée de l’état du pays.

La preuve du nombre de morts infligé à la population civile de Mossoul pendant le siège continue de monter. Il s’agit en grande partie des résultats de frappes aériennes et des bombardements d’artillerie menés par les États-Unis contre des quartiers bondés, en particulier dans la vieille ville de l’ouest de Mossoul.

Les estimations les plus basses ont mis le nombre de civils tués à plus de 7000. Le groupe de surveillance basé à Londres Airwars a établi avec certitude la mort de 5805 civils entre février et juin de cette année. Il y a sans doute beaucoup plus de décès qui n’ont pas été signalés, sans parler des personnes tuées au cours des quatre mois précédant cette période, ainsi que de ceux qui sont morts lors des assauts intenses menés dans la région de la ville au cours des trois dernières semaines de combats.

Les responsables de Mossoul rapportent que les travailleurs de la protection civile ont déjà sorti quelque 2000 cadavres des décombres créés par des bombes américaines d’entre 225 et 910 kilos ainsi que par des bombardements d’artillerie lourde et des frappes par des hélicoptères d’attaque.

Il est clair que ni le gouvernement irakien ni le Pentagone n’ont intérêt à ce que toute la lumière soit faite sur l’ampleur du carnage qui s’est déchaîné sur la ville.

Selon un reportage publié au Washington Post samedi, la tâche lugubre de récupérer les morts des décombres de Mossoul a été reléguée à une « unité de défense civile de 25 hommes avec un bulldozer, un chariot élévateur et un seul véhicule pour transporter les cadavres ». Le Post rapporte que l’unité a « trouvé des centaines de personnes étouffées sous les ruines de leurs maisons » après avoir été aplaties par des attaques aériennes américaines. La plupart des victimes seraient des femmes et des enfants.

Le chef de l’unité de défense civile, le lieutenant-colonel Rabia Ibrahim Hassan, a déclaré au Post qu’il avait demandé au gouvernement d’avoir plus d’équipement et de ressources, mais n’a reçu aucune réponse.

Alors que de vastes ressources ont été dépensées par le Pentagone pour organiser le siège de Mossoul et pour fournir les armes et les munitions pour détruire la ville, il n’est pas du tout clair que Washington ou Bagdad ont un plan visant à mobiliser des ressources comparables pour la reconstruire. Un fonctionnaire du gouvernement irakien estimait prudemment que le coût de la reconstruction de Mossoul dépasserait 50 milliards de dollars (43,5 milliards d’euros).

En mai dernier, le régime de Bagdad a été obligé à négocier un prêt de réserve de 4,7 milliards d’euros avec le Fonds monétaire international, qui exigeait des mesures aiguës d’austérité. L’économie du pays s’est contractée de 10,3 pour cent en 2016 en raison de la chute des prix du pétrole et des destructions dues à la guerre.

L’ampleur des pertes civiles, la destruction massive causée par les bombes, les missiles, les obus américains, ainsi que le phosphore blanc que l’armée américaine aurait utilisée (une arme que les conventions internationales interdisent dans des zones peuplées), donnent à ces crimes de guerre américains des proportions historiques.

Ce crime continue, car les survivants du massacre de Mossoul font face à des punitions collectives aux mains de forces soutenues par les États-Unis. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le siège de neuf mois a obligé 1 048 044 personnes à fuir leurs maisons. Vendredi dernier, selon l’OIM, 825 000 personnes sont toujours considérées comme « déplacées » par l’offensive.

Le retour de la majorité de ces réfugiés de guerre déplacés à l’intérieur du pays est impossible. Beaucoup n’ont plus de maisons pour y revenir à la suite des attaques aériennes américaines. La plus grande partie de la ville n’a pas accès à l’eau et à l’électricité, la nourriture est rare et les écoles et les hôpitaux ont été détruits.

Pendant ce temps, les décombres de la ville regorgent de munitions non explosées. On estime qu’au moins 10 pour cent des explosifs largués ou tirés sur Mossoul par la « coalition » dirigée par les États-Unis n’ont pas détoné, ce qui signifie qu’il y a des milliers de bombes et d’obus qui n’attendent que d’être déclenchés, en plus des pièges laissés par l’État islamique. Les experts ont prévenu que cela pourrait prendre une décennie pour débarrasser la ville des explosifs.

Les hommes, les femmes et les enfants qui ont échappé à la destruction de Mossoul ont été logés dans des camps de tentes, souvent sous la forme de quasi-prisonniers. Les femmes et les enfants soupçonnés d’être membres de la famille des combattants de l’État islamique tués dans le siège sont envoyés dans des « camps de réhabilitation » désolés.

Quant aux jeunes hommes trouvés dans et autour de Mossoul, il y a des informations de plus en plus nombreuses sur des exécutions sommaires, des tortures et autres abus aux mains des forces de sécurité irakiennes et des milices chiites alliées. Une vidéo publiée sur le compte Twitter de Mosul Eye, créé par un historien indépendant à Mossoul qui rassemble des documents sur la destruction de la ville, montre les membres des forces de sécurité irakiennes qui traînent les hommes au bord d’un parapet de dix mètres où on les pousse dans le vide tout en les tirant dessus avec les armes automatiques. D’autres vidéos inquiétantes montrent une bande de soldats battant un adolescent à mort et un membre des forces de sécurité poignardant un prisonnier à plusieurs reprises dans le visage et le cou.

Le Guardian britannique rapporte que les cadavres non identifiés sont rejetés « avec une sinistre régularité sur les rivages du Tigre en aval de Mossoul », avec les corps « fortement décomposés, la plupart sont ligotés avec les yeux bandés, certains sont mutilés ». Les groupes de défense des droits de l’homme ont accusé les forces de sécurité irakiennes de ces meurtres. Ces derniers travaillent en étroite collaboration avec les « conseillers » des forces spéciales des États-Unis.

Les mêmes médias américains et occidentaux qui ont dénoncé sans fin le siège d’Alep de l’année dernière par le gouvernement syrien soutenu par la Russie en tant que crime de guerre ont, pour la plupart, choisi d’ignorer les crimes de plus grande ampleur menés contre les habitants de Mossoul.

Dans le premier cas, les médias ont été mobilisés pour défendre les milices islamistes qui tenaient l’est d’Alep parce qu’elles se battaient dans le cadre de la guerre orchestrée par la CIA pour le changement de régime en Syrie. Dans la seconde, la destruction de Mossoul a été qualifiée de « victoire » et même de « libération », car des combattants islamistes sunnites semblables avaient contesté le régime soutenu par les États-Unis à Bagdad. Rien ne pourrait exposer plus clairement la duplicité et l’hypocrisie de la politique étrangère américaine dans la région et le fonctionnement des médias bourgeois en tant que bras de propagande obéissant du militarisme américain.

(Article paru d’abord en anglais le 17 juillet 2017)