Mélenchon nie la responsabilité de la France dans la rafle du Vél' d'Hiv
Par Alexandre Lantier
31 juillet 2017
La décision répugnante du chef de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, de nier la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs vers les camps de la mort pendant l'Occupation est un avertissement politique. Le mouvement d'opposition à Macron qu'il veut lancer, alliant LFI aux associations et aux appareils syndicaux, serait nationaliste et hostile à la vérité historique et à la classe ouvrière.
L'election de Macron marque sans aucun doute une nouvelle étape de la lutte des classes. Comme en Grèce, la bourgeoise travaille avec l'Union européenne (UE) pour détruire les acquis sociaux et démocratiques issus des luttes du 20e siècle. En militarisant l'Europe, en pérennisant l'état d'urgence, et en détruisant uniláteralement la législation du travail par ordonnances, Macron tente d'installer un régime ouvertement autoritaire et anti-ouvrier. Mélenchon lui-même dit que Macron vise à répudier les acquis de la Libération et des grèves générales de 1936 et 1968.
Cette offensive provoquera une large opposition parmi les travailleurs en France et à travers l'Europe. Mais pour développer une vraie lutte révolutionnaire contre le capitalisme, l'austérité et la guerre, et unifier les luttes ouvrières en France et à l'international, il faut rejeter l'optique de Mélenchon. Il ressemble de plus en plus son allié grec, Alexis Tsipras, le chef du gouvernement austéritaire qui repose sur l'alliance entre Syriza (la « Coalition de la gauche radicale ») et les Grecs indépendants, d'extrême-droite. Mélenchon critique l'UE d'un point de vue pro-impérialiste et populiste, compatible avec la droite nationaliste. Ceci ne produira que des désastres.
Dans une note sur son blog intitulé « Ça ne s'invente pas », Mélenchon s'en prend à Macron pour avoir évoqué la responsabilité de la France dans la rafle du Vél' d'Hiv lors d'une réunion avec le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, le 16 juillet à Paris. Selon Mélenchon, « dire que la France, en tant que peuple, en tant que nation est responsable de ce crime c’est admettre une définition essentialiste de notre pays totalement inacceptable. »
L'histoire du régime collaborationniste érigé par la bourgeoisie française après l'invasion nazie en 1940, et notamment de la rafle du Vél' d'Hiv, est connue. C'est bien la police et les autorités françaises et les militants du Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot qui, les 16 et 17 juillet 1942, ont arrêté 13.000 hommes, femmes et enfants juifs, pour les interner au Vélodrome d'Hiver à Paris ou dans un réseau de camps en France. Finalement, ils ont été déportés vers les camps de la mort en Pologne. Plus de 75.000 Juifs ont été déportés depuis la France sous l'Occupation. Seuls 3.000 sont revenus.
Depuis les déclarations présidentielles du gaulliste Jacques Chirac en 1995 et de François Hollande du PS en 2012, qui ont tous deux reconnu la responsabilité de la France dans la rafle, l'argument présenté par Mélenchon était jusqu'ici associé aux seuls néo-fascistes.
Quand la Marine Le Pen a nié la responsabilité de la France dans la rafle du Vél d'Hiv, le 9 avril, pendant les présidentielles, cela a provoqué une levée de boucliers dans la presse. « La France n’est pas responsable du Vél’ d’Hiv. S’il y a des responsables, c’est ceux qui étaient au pouvoir à l’époque, ce n’est pas la France. La France a été malmenée dans les esprits depuis des années », avait dit Le Pen. Le Monde a réagi en dénonçant Le Pen pour avoir franchi « une ligne rouge », et Mélenchon a dit que la remarque de Le Pen était « stupide ».
A présent, Mélenchon franchit la ligne rouge et reprend à son compte l'argument qu'il avait traité de stupide il y a trois mois à peine. Il tente de faire passer sa position pour une critique des remarques réactionnaires de Macron lors de sa réunion avec Nétanyahou, où Macron a déclaré que l'opposition au sionisme est une « forme réinventée de l'antisémitisme. »
Mélenchon écrit, « Lier l’antisionisme et l’antisémitisme est une thèse très ancienne des milieux communautaristes. Mais c’est la première fois que cette thèse est rendue officielle par le président de notre République. Ce n’est pas un petit sujet que de lier une opinion politique à un délit puni par la loi en France. ... Après cela, déclarer que la France est responsable de la rafle du Vél’ d’Hiv est là encore un franchissement de seuil d’une intensité maximale. »
Le commentaire de Macron liant antisémitisme et antisionisme est une menace sérieuse à la liberté d'opinion. En assimilant les critiques de la politique aggressive de l'Etat d'Israël contre ses Etats voisins, contre les Palestiniens, et contre les travailleurs à de l'antisémitisme, Macron laisse entendre que critiquer des guerres au Moyen Orient pourrait devenir un délit. La menace est d'autant plus sérieuse qu'il donne actuellement d'immense pouvoirs répressifs à l'Etat.
Mais Mélenchon ne vise pas à avertir les travailleurs des menaces que représentent les guerres et l'état d'urgence pour les droits démocratiques. En fait, il a soutenu ces politiques à divers moments. Le Front de gauche, dont il était un dirigeant, a voté l'état d'urgence à l'Assemblée lors de sa première imposition, en novembre 2015. Et Mélenchon insiste dans sa note que la France doit « assumer ses décisions » et financer les guerres de Sarkozy et de Hollande, comme l'a exigé le chef d'état-major démissionnaire, le général Pierre de Villiers.
Loin d'attaquer la politique antidémocratique de Macron, Mélenchon tente ici d'inciter des haines nationalistes contre Macron pour avoir mentionné la responsabilité de la France pour la rafle, en maniant un argument réducteur et faux. Comme Le Pen, il prétend qu'évoquer la responsabilité de la France dans la rafle équivaut à dénoncer chaque Français, de tous les temps, en tant qu'antisémite criminel. Il s'emporte : « Il n’est pas au pouvoir de Monsieur Macron d’assigner tous les Français à une identité de bourreau qui n’est pas la leur ! »
C'est une interprétation absurde et fausse de la déclaration que la France est responsable de la rafle. De nombreux Français, loin d'être des « bourreaux », ont caché des Juifs sous l'Occupation. L'émergence plus tard, en 1943-1944, de la Résistance en tant que mouvement de masse, basé principalement dans la classe ouvrière, témoigne de l'opposition que les nazis, Vichy et les déportations ont suscitée.
Mais la responsabilité de la France est bel est bien engagée dans la rafle, et cela non seulement à cause du rôle des autorités de l'époque. Le soutien que Vichy a aussi obtenu auprès de couches considérables de la population, ainsi que d'auprès de mouvements et de personnalités politiques dont certains ont joui d'une influence énorme bien après la fin de la guerre, nous interpelle encore aujourd'hui.
Si le régime de Vichy a duré, ce n'est pas seulement à cause de l'aide qu'il a reçue de l'occupant nazi. C'est surtout parce qu'il a pu s'appuyer sur des mouvements politiques, notamment l'Action française, le mouvement antisémite et petit-bourgeois dirigé par Charles Maurras, qui disposaient d'une large audience. Les chefs successifs du Commissariat général aux questions juives (CGQJ) de Vichy, Xavier Vallat et Louis Darquier de Pellepoix, y étaient tous les deux liés.
Et l'homme qui allait fonder le PS après la grève générale de Mai-juin 1968, dominer ce qui a passé pendant un demi-siècle pour la « gauche » en France, et devenir le mentor de Mélenchon, François Mitterrand, a commencé en politique à Vichy. Il y a connu René Bousquet, le chef de la police du régime collaborationniste, qui a dirigé la rafle du Vél' d'Hiv. Mitterrand a fait oublier ce passé en se recyclant vers la social-démocratie après la guerre, par anticommunisme et par opportunisme. Toutefois, un scandale a éclaté à propos de son passé pendant sa présidence ; finalement, on a su que Mitterrand et Bousquet maintenaient encore aux années 1980 une amitié secrète.
Pour nier la responsabilité de la France dans les rafles, et aussi pour cacher le lien étroit entre les organisateurs de rafle et sa propre carrière, Mélenchon minimise l'importance et la portée de la collaboration, mélangeant cynisme et falsification de l'Histoire. Il n'ose pas nier le rôle des responsables et des forces de l'ordre de Vichy dans la rafle. Mais il en parle superficiellement, comme s'il n'y avait aucun rapport avec la responsabilité de la France, ou avec la politique actuelle.
Il écrit, « En effet, nul ne peut contester que des Français ont été personnellement responsables du crime comme ce fut le cas, notamment, dans la police qui opéra la rafle sans exprimer la moindre protestation ni acte de résistance, mais aussi de la part de toutes les autorités de tous ordres qui se rendirent complices, soit activement, soit par leur silence, soit parce qu’elles avaient renoncé à s’y opposer de quelque façon que ce soit. »
Mélenchon reprend en modifiant légèrement les sophismes selon lesquels la France de Vichy n'était pas la France proposés par Mitterrand et par de Charles de Gaulle, le chef des principales fractions bourgeoises de la Résistance. Ce dernier déclarait crûment que « La France a résisté ».
« La France n’est rien d’autre que sa République », déclare à présent Mélenchon. « À cette époque, la République avait été abolie par la révolution nationale du maréchal Pétain. Dans cette vision de l’Histoire, la France, à cette époque, était à Londres avec le général De Gaulle et partout (où) des Français combattaient l’occupant nazi. ... Je mets en garde : méconnaître les fondamentaux de l’identité républicaine du pays expose ceux qui la molestent ou la violentent à de puissants et irréversibles retours de bâton venant du plus profond du sentiment commun des Français. »
Ceci est une falsification de l'Histoire. Ce n'est pas la révolution nationale qui a aboli la République en 1940. La République s'est auto-dissoute par un vote de l'Assemblée nationale, élue le 3 mai 1936 mais réunie le 10 juillet 1940 à Vichy, qui a accordé les pleins pouvoirs au maréchal Philippe Pétain. La plupart des députés social-démocrates et des députés Radicaux bourgeois, c'est-à-dire des partisans anticommunistes du Front populaire, ont voté pour Pétain.
Le mot « république » a cessé d'apparaître dans les actes officiels, et l'Etat sous Pétain s'est entendu avec l'occupant pour mener sa politique de « Révolution nationale ». Un des principaux éléments de la Révolution nationale était la persécution puis la déportation des Juifs vers les camps de la mort, menées par le CGQJ, la police et, plus tard, la Milice.
Après de tels crimes, seule la politique nationaliste et contre-révolutionnaire des partis staliniens et de la bureaucratie soviétique a pu sauver le régime capitaliste dans l'Europe de l'ouest, en bloquant les luttes révolutionnaires des travailleurs, en France et à travers l'Europe à la Libération. Cela a empêché la mise en accusation et le jugement de la vaste majorité des collaborationnistes qui avaient participé à la Shoah en France. Des vichystes tels que Mitterrand ou Bousquet ont pu se recycler dans les affaires et la politique, et jouer des rôles de premier plan..
C'était confirmation de la lutte historique menée par Léon Trotsky, le dirigeant de la révolution d'octobre et opposant révolutionnaire du stalinisme et du Front populaire. Sa lutte pour fonder la Quatrième Internationale partait d'une orientation vers le prolétariat international en tant que force révolutionnaire, et la lutte pour établir son indépendance politique vis-à-vis de la bourgeoisie, de la bureaucratie soviétique, et des influences petite-bourgeoises et nationalistes. Il représentera à jamais l'alternative marxiste et révolutionnaire aux crimes du stalinisme au 20e siècle.
Qui sont ces Français qui, selon Mélenchon, se sentent outrés au plus profond d'eux-mêmes par la vérité sur le rôle de l'Etat et de l'antisémitisme politique dans la Shoah ? Il y a bien sûr les dirigeants de l'extrême-droite, c'est-à-dire ceux qui défendent la mémoire des collaborationnistes. Mais il y a aussi ceux qui, comme Mélenchon, se sont intéressés d'abord au trotskysme, par désillusion avec la politique contre-révolutionnaire du PCF pendant la guerre d'Algérie ou la grève générale de Mai-juin 1968, avant de capituler au PS et à Mitterrand.
Mélenchon a d'abord rejoint l'Organisation communiste internationaliste (OCI) de Pierre Lambert, alors que l'OCI complétait sa rupture avec le trotskysme et le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), en 1971. L'OCI avait adopté la position démoralisée et fausse que le révisionnisme avait détruit le trotskysme et le CIQI, qu'il fallait reconstruire par un regroupement de forces petite-bourgeoises. Sa perspective nationaliste et procapitaliste était de former une Union de la Gauche avec le PS et le PCF, et de prendre le pouvoir à l'intérieur de la France, par les urnes.
A présent, il est évident que cette perspective, la fondation politique du régime capitaliste en France depuis presque un demi-siècle à présent, a fait faillite. Le PCF s'est effondré, discrédité par sa collaboration avec des gouvernements PS anti-ouvriers et par la restauration stalinienne du capitalisme en Union soviétique. Et à présent, le PS se désagrège après la présidence de Hollande, pour laisser la place à une offensive contre-révolutionnaire de son ancien ministre de l'Economie, Macron.
La classe ouvrière, par contre, passe par les premiers stades d'une large radicalisation internationale. Ainsi, des millions de travailleurs et de jeunes aux Etats-Unis ont voté pour un candidat, Bernie Sanders, qui se disait « socialiste ». De même, 20 pour cent des électeurs en France ont voté pour Mélenchon pour exprimer leur colère contre les frappes de Trump en Syrie et la politique d'austérité et anti-immigré de l'UE. Toutefois, Mélenchon ne réagit pas en essayant de développer une perspective révolutionnaire pour la classe ouvrière en Europe.
Alors qu'il tente de coordonner les activités des vieux réseaux du PS – associations, partis petit-bourgeois tels que le Nouveau parti anticapitaliste, et appareils syndicaux – Mélenchon fait directement appel à l'extrême-droite, dont il reprend en partie les conceptions. Son but n'est pas de gagner à une lutte pour le socialisme les ouvriers déçus par le PS et le PCF qui votent à présent par dégoût pour le FN, une perspective qu'avance seulement le Parti de l'égalité socialiste (PES). Il tente de canaliser l'opposition sociale vers une perspective nationaliste et réactionnaire.
Les avertissements les plus sérieux sont nécessaires quant à l'évolution de Mélenchon et du noyau central de LFI. Déjà, en 2014, Mélenchon adoptait des positions populistes dans son livre, L'ère du peuple, pour exiger un « dépassement » de la révolution socialiste et de la classe ouvrière. A l'époque, il s'était déjà lié d'amitié avec le stratège politique de droite et admirateur de Maurras, Patrick Buisson, dont il avait assisté à la remise de la Légion d'Honneur, et avait serré la main de Marine Le Pen au Parlement européen devant les caméras.
Le déni par Mélenchon du rôle de la France dans les rafles marque une étape supplémentaire dans sa dégénerescence politique. Il représente un certain type de démagogie nationaliste « de gauche » qui a en France une histoire longue et réactionnaire. Jacques Doriot – passé, par le biais du reniement du marxisme, du Parti communiste au fascisme et à fondation du PPF – n'en fournit qu'un exemple particulièrement notoire. Un relent nationaliste nauséabond émane du chef de La France insoumise.