En lançant son mouvement contre Macron, Mélenchon applaudit l'armée
Par Alexandre Lantier
24 juillet 2017
La crise qui a éclaté entre Macron et le chef d'état-major démissionnaire, le général Pierre de Villiers, a démasqué le caractère de classe de La France insoumise (LFI). Peu après le lancement de son mouvement contre la politique d'austérité drastique de Macron, le 12 juillet, le chef de LFI, Jean-Luc Mélenchon, s'est rangé derrière les exigences budgétaires de l'armée formulées par de Villiers avant sa démission.
Ceci souligne une réalité politique essentielle : le mouvement d'opposition à Macron proposé par Mélenchon est un mouvement pro-guerre, qui subordonnera donc les intérêts de la classe ouvrière aux intérêts géostratégiques de l'impérialisme français. On ne peut défendre les niveaux de vie des travailleurs en se pliant aux exigences des généraux. Une explosion de luttes de la classe ouvrière se prépare, mais l'opposition des travailleurs à Macron s'exprimera et ne pourra s'exprimer que par des luttes menées indépendamment des appareils mobilisés par Mélenchon.
Celui-ci est un partisan de la guerre. Devant les médias, il a dénoncé Macron pour avoir commis « une erreur énorme » en proposant 850 millions d'euros de coupes budgétaires pour l'armée. Il a aussi applaudi l'intervention de Villiers à l'Assemblée pour dénoncer ces coupes : « Si son devoir est de servir, son devoir est aussi de dire la réalité de la situation. Le chef de l'État a créé une situation très malsaine entre les armées et la Nation, et je le déplore. »
Sur son blog, il a exigé un soutien budgétaire sans faille aux guerres de la France : « Quoi que l’on pense de la valeur de la dépense militaire, quoi que l’on pense des conflits dans lesquels nos forces armées sont engagées, le devoir du pays reste d’assumer ses décisions. On ne peut ouvrir quatre fronts sans savoir qu’il faudra les financer. Refuser de le faire au moment où des hommes et des femmes sont engagés dans le combat est de nature à disloquer tout le système en lui donnant la preuve que ses chefs eux-mêmes ne croient pas à la valeur de ce qu’ils ont décidé. »
Les arguments de Mélenchon sont réactionnaires et faux. Il n'est pas du « devoir » des Français d'assumer des guerres néo-coloniales décidées dans leur dos, par de petites cabales au sein de l'Otan et d'une succession de gouvernements français anti-ouvriers.
Les conflits menés par les armées françaises, au Moyen-Orient où elles agissent en supplétifs du Pentagone ou en Afrique où elles tentent de maintenir l'hégémonie du capital français sur l'ancien « pré carré » colonial, sont des guerres impérialistes. Les occupations d'Afghanistan et d'Irak, les guerres en Syrie et en Libye ou au Mali, ont été des désastres sanglants. Elles laissent derrière elles des millions de morts, des dizaines de millions de réfugiés, et des sociétés enfoncées dans des guerres civiles qui font toujours des dizaines de milliers de victimes.
L'affirmation de Mélenchon selon laquelle il faut à tout prix empêcher l'armée de se « disloquer », en maintenant le prestige et le financement faramineux de ces guerres criminelles, démontre qu'il se situe du côté de l'ordre contre les intérêts des travailleurs en France et autour du monde. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le mouvement que Mélenchon propose de lancer contre la contre-révolution sociale préparée par Macron.
L'agenda politique dans le mois depuis les législatives a confirmé que l'Union européenne (UE) et Macron préparent une confrontation historique avec les travailleurs. Une loi l'habilitation permet à Macron de ré-écrire le droit du travail par ordonnances, afin d'introduire les politiques menées par le SPD contre les travailleurs allemands avec la loi Hartz IV il y a une décennie. La transposition de l'état d'urgence dans le droit commun doit éliminer tout contrôle juridique de la répression policière contre l'opposition sociale que cette offensive ne manquera pas de provoquer.
Le pas géant que fait Macron en direction d'un Etat policier en France confirme la ligne politique avancée par le Parti de l'égalité socialiste (PES) lors des élections présidentielles. Le PES avait rejeté les illusions qu'on pourrait lutter pour défendre les droits démocratiques en votant Macron contre Le Pen, et appelé à un boycott actif par la classe ouvrière du second tour. Le PES expliquait que seulement une ligne politiquement indépendante des partis liés à Macron et au PS pourrait préparer les luttes explosives qui s’annoncent entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Les 4 millions de votes blancs ou nuls aux présidentielles et l'abstention massive de 57 pour cent au second tour des législatives ont indiqué le vaste potentiel de soutien pour cette perspective.
Mélenchon quant à lui prolonge la politique qu'il a mené au second tour des présidentielles : il tente de canaliser l'opposition des masses à Macron et à Le Pen, qui s'était reportée peu avant l'élection sur un vote LFI, vers une perspective parlementaire utopique. Même après un vote majoritaire des membres de LFI pour un vote blanc ou nul au second tour des présidentielles, Mélenchon n'a pas appelé au boycott. Il a refusé de donner une consigne de vote, puis proposé à ses soutiens de faire élire une majorité LFI à l'Assemblée afin qu'il devienne le premier ministre de Macron.
Après cette lamentable abdication des responsabilités que lui conféraient le score de 20 pour cent pour LFI au premier tour des présidentielles, LFI n'a obtenu qu'une quinzaine de députés à l'Assemblée. Le 12 juillet, entouré de ces députés LFI ceints d'écharpes tricolores, Place de la République à Paris, Mélenchon a appelé ses électeurs à lancer un mouvement social. Ce mouvement aurait vocation à grossir l'influence de la petite minorité LFI parmi les 577 députés de l'Assemblée, la seule représentation politique légitime du mouvement de masse selon Mélenchon.
Il a dit : « En août, il y aura la caravane nationale. Et au mois de septembre, bien sûr, nous allons donner le coup de main aux syndicats, s'ils le demandent. Mais nous aurons nos propres marches qui auront lieu ... Il faut que vous vous prépariez à agir en interaction avec vos parlementaires, qu’il y ait une osmose entre le mouvement de masse et la représentation politique que nous sommes. »
Il a mis l'accent sur les ordonnances qui permettront aux syndicats et aux patrons de négocier des accords d'entreprise qui dérogent au Code du Travail et aux accords de branche : « Vous le comprenez, ce qui était la particularité de la lutte de classe en France et du résultat de l'action ouvrière syndicale et des grandes conquêtes, d'abord du début du siècle lorsqu'a été créé le Code du Travail, puis de 1936, puis de la Libération, puis de Mai 1968, puis de Mai 1981 ... tout cela, d'un trait de plume, sera supprimé ... Tout sera renversé en faveur d'accords micro-locaux. »
Il n'y a aucun doute que derrière Macron, le capital financier français et international prépare une attaque historique contre la classe ouvrière dont l'ampleur est à la mesure de la crise internationale. L'hégémonie de l'impérialisme américain, la puissance unipolaire après la dissolution de l'URSS par la bureaucratie stalinienne, s'effondre, tout comme l'UE, discréditée par sa politique d'austérité destructrice et irrationnelle. Et la France, manquant de compétitivité, subit un décrochage industriel et économique auquel la bourgeoisie propose de réagir par des mesures dictatoriales.
Que propose Mélenchon ? Il veut utiliser la population, mobilisée dans un mouvement artificiel, comme force d'appoint pour une petite minorité impuissante à l'Assemblée qui sympathise avec l'armée. Il agira aussi de pair avec les appareils syndicaux qui, eux, comptent organiser quelques mobilisations sans perspective, tout en négociant le « chèque syndical » et autres subventions ou pots-de-vin pseudo-légaux que leur offrira Macron dans ses ordonnances.
Cette stratégie est un non-sens qui ne pourra servir qu'à démobiliser les masses. Sa caractéristique centrale, comme l'indique le soutien de Mélenchon pour l'armée, est son nationalisme et son parlementarisme, qui font que cette stratégie ne sera et ne pourra être qu'une entrave au développement des luttes qui émergeront dans la classe ouvrière dans les mois et années à venir.
Les attaques de Macron ne sont que la transposition en France des attaques menées à l'échelle européenne par l'UE. Formulée en coopération avec le Parti social-démocrate allemand (SPD), la loi travail sur laquelle se base Macron vise les mêmes résultats que l'austérité imposée par l'UE en Grèce. Il s'agit de détruire tout ce que la classe ouvrière a acquis au courant des luttes de classes en Europe au 20e siècle.
Ces attaques ne manqueront pas de provoquer des luttes explosives à caractère révolutionnaire à travers l'Europe. Comme la grève générale française 1936, la Libération en 1944, ou la grève générale 1968, les véritables luttes de la classe ouvrière émergeront indépendemment des appareils syndicaux et déborderont vite les frontières du pays où elles auront commencé. Dans ces luttes, les alliés objectifs des travailleurs en France seront les travailleurs du reste de l'Europe et du monde.
La stratégie proposée par Mélenchon est réactionnaire ; elle coupe les travailleurs français de leurs frères et sœurs de classe internationaux et bloque une lutte pour le pouvoir. Elle n'a aucune chance de succès dans l'état, vu la petite minorité que contrôle LFI à l'Assemblée. Mais même en Grèce, quand l'allié Syriza de Mélenchon a remporté l'élection de 2015, son nationalisme et son refus de faire appel au soutien des travailleurs à travers l'Europe a condamné Syriza à l'impuissance. Syriza a fini par capituler à la pression des banques et de l'UE, dirigée par Berlin.
La conclusion tirée par Mélenchon dans son tract anti-allemand, Le Hareng de Bismarck, est que Paris doit aller au clash avec Berlin et s'apprêter au besoin à un affrontement militaire. « On est tranquilles », écrit-il. « Mais on a le droit de se poser des questions. Tout de même nous avons été envahis trois fois en moins d'un siècle. Et puis l'Allemagne est déjà devenue le troisième fournisseur d'armes du monde en moins de 20 ans ».
Si Mélenchon défend de Villiers contre Macron, c'est en grande partie qu'il s'oppose à l'alliance industrielle franco-allemande en matière de défense proposée par Macron et Merkel la semaine dernière. Il applaudit de Villiers pour s'être insurgé contre ce projet, que Mélenchon dénonce en tant que menace à la capacité de la France de se défendre contre l'Allemagne en mainenant une capacité de défense autonome vis-à-vis Berlin.
Sur son blog, il écrit : « Quand ... le président annonce un improbable plan de rapprochement militaire avec l’Allemagne, l’amertume gagne ! ... On a déjà vendu la moitié de l’entreprise qui produit les chars Leclerc à une famille de milliardaires allemands. On pensait que l’air du bradage généralisé qui a été la caractéristique de la présidence de Monsieur Hollande en matière de défense était enfin terminé. Apparemment il n’en est rien. Les armées qui utilisent dorénavant le fusil allemand voleraient demain dans des avions dans la production échapperaient aussi au contrôle du pays ! »
Ces remarques réactionnaires ne vont pas sans rappeler les postures de dirigeants bourgeois français des années 1930 qui ont promis de lutter contre Hitler, avant de capituler honteusement en 1940 à l'invasion nazie. Elles servent avant tout à diviser la classe ouvrière européenne et à envenimer les tensions inter-impérialistes au sein du capitalisme européen, qui ont fait exploser deux fois au siècle dernier des guerres mondiales.
La faillite politique de Mélenchon est le reflet de l'effondrement généralisé de la périphérie du PS et de l'establishment social-démocrate européen, transformé en mouvement austéritaire et militariste. Le spectre d'une explosion révolutionnaire hante l'Europe. La tâche que se donne le PES, en coordination avec les autres sections du Comité international de la Quatrième Internationale à travers l'Europe, est de fournir une direction politique qui pourra unifier ces luttes par-delà des frontières nationales dans une lutte révolutionnaire pour renverser le capitalisme et créer les Etats socialistes unis d'Europe.