L‘Assemblée nationale vote la loi d‘habilitation de Macron
Par Francis Dubois
17 juillet 2017
Après une brève discussion de quelques jours, l’Assemblée nationale a voté le 13 juin le projet de loi d‘habilitation présenté par le gouvernement Macron le 10 juillet. L’Assemblée permet ainsi au gouvernement d‘imposer par ordonnances son renforcement drastique de la loi Travail, en ignorant le parlement. Ce vote, note la presse, « marque le début du quinquennat ».
La loi travail avait été imposée en juillet 2016 par le gouvernement Hollande à l‘aide de l’Article 49-3, passant lui aussi outre au parlement.
La mesure a été approuvée par 270 voix de la majorité LRM, des Républicains, du groupe dit « constructif » (Républicains pro-Macron) et de l‘UDI, avec 50 voix contre parmi lesquelles celles de LFI (La France insoumise) de Mélenchon et les staliniens du PCF.
Durant la campagne électorale, Macron avait fait de la modification de la loi El Khomri une des mesures-phares de son futur gouvernement. Dès sa formation, celui-ci avait impliqué les syndicats dans ses décisions. Ceux-ci n’avaient pas remis en question le principe de gouverner par ordonnances.
En gouvernant par ordonnances, le gouvernement cherche surtout à éviter une discussion de sa politique dans la classe ouvrière et la jeunesse qui mènerait à une opposition politique de masse contre lui. Les ordonnances permises par cette loi ne font qu’indiquer les grands traits des changements apportés à la loi travail. Leur véritable contenu peuvent être des mesures bien plus drastiques encore que celles décrites jusque là et sera déterminé dans les prochaines semaines, la discussion avec les syndicats se poursuivant.
L’Assemblée nationale a donné un chèque en blanc au gouvernement pour modifier la loi travail comme bon lui semble ; après le vote, plus aucun amendement n’est possible. Le gouvernement a six mois pour préciser ses mesures.
Le fait que les premières lois importantes du gouvernement Macron soient passées par ordonnances crée un précédent pour le reste du quinquennat. Le dernier gouvernement français à les utiliser fut celui d’Alain Juppé, qui imposa une partie de ses attaques contre les retraites et la sécurité sociale par de telles ordonnances en décembre 1995, après que les syndicats aient conduit les grèves de masse dans une impasse.
Parmi les mesures envisagées jusque là par le gouvernement, il y a l’imposition définitive de l’« inversion de la hiérarchie des normes », c’est-à-dire de la prépondérance des accords d’entreprise sur les conventions de branche et le code du travail. Cela donnera toute latitude à l’employeur pour flexibiliser et précariser l’emploi, exerçant un chantage permanent par la menace de l’emploi au cas où les travailleurs refuseraient des conditions pires que celles garanties par les branches et la législation du travail.
Une autre mesure est le « contrat de projet » qui est en fait un contrat d’intérimaire limité à la durée, déterminée par l’entreprise, d’une « mission » particulière sur le mode des contrats de chantier qui finissent avec la fin d’un chantier. Un tel contrat est destiné à remplacer le CDD (Contrat à durée déterminé), trop peu « flexible » du point de vue du patronat. Il remplacera aussi invariablement les CDI (Contrat à durée indéterminée) et signifiera pour les travailleurs une augmentation énorme de la précarité.
Le compte pénibilité sera jeté aux orties. Il permettait encore à certaines catégories de travailleurs au travail physiquement pénible et/ou dangereux, sous certaines conditions, de partir en retraite avant l’âge légalement requis, une mesure d’ailleurs systématiquement sabotée par le patronat qui en demandait la suppression. Le gouvernement Philippe a supprimé la moitié de ces conditions, lui enlevant le peu d’efficacité qu’il avait et scellant sa disparition.
Les ordonnances concernent aussi une baisse du plafonnement des indemnités accordée aux travailleurs en cas de licenciements « abusifs » contestés devant les prud’hommes. Ce que le gouvernement envisage est une baisse de moitié de l’indemnité maximum qui pouvait avoir un effet dissuasif pour le patron. Une forte réduction enlèverait toute efficacité aux prud’hommes et encouragerait fortement les employeurs à licencier.
Dans un geste destiné directement à encourager les fonds d’investissement à investir en France, on veut permettre les licenciements économiques au seul vu de difficultés d’une entreprise au niveau national ou européen au lieu de les prendre en compte globalement, comme jusque-là. Il suffira alors à toute société internationale de créer des difficultés artificielles dans ses entreprises en France pour justifier des licenciements. Cette mesure avait été retirée de la loi travail face aux manifestations l’an dernier.
L’intention du gouvernement Macron est de renforcer radicalement la déréglementation déjà massive introduite par la loi El Khomri du marché du travail, rendant les travailleurs entièrement « flexibles » pour les besoins du patronat et créant les conditions qui encourageront les fonds d’investissement contrôlés par les oligarchies financières dans le monde, y compris en France, qui recherchent le plus haut retour sur investissement possible, à investir en France. Il ouvre la porte à une extension massive de l’exploitation de la classe ouvrière dans le pays.
Dans ce processus, les bureaucraties syndicales jouent un rôle majeur. C’est pourquoi, les ordonnances prévoient de donner plus de pouvoirs et d’argent aux syndicats au niveau de l’entreprise pour imposer la destruction des acquis sociaux. Le gouvernement Macron envisage l’introduction d’un « chèque syndical ». Dans ses mots il s’agit de renforcer « la possibilité pour le salarié d'apporter au syndicat de son choix des ressources financées en tout ou partie par l'employeur ». Cela scellera la transformation des syndicats en organes de l’État et du patronat.
Sous le prétexte peu crédible de lutter contre « les discriminations syndicales », le gouvernement veut donner aux syndicats le statut de privilégiés par rapport aux autres travailleurs. Il préconise le « renforcement de la formation (des représentants syndicaux), la promotion de la reconversion professionnelle des salariés exerçant des responsabilités syndicales ou un mandat électif de représentation, l'encouragement à l'évolution des conditions d'exercice de l'engagement syndical ou encore la reconnaissance (du mandat électif) dans le déroulement de carrières et les compétences acquises en raison de cet engagement ».
Au vu de l’imposition de telles conditions par ordonnances qui remettent en question des décennies d’acquis sociaux obtenus par les travailleurs sur des décennies de luttes, on comprend pourquoi l’aristocratie financière a besoin de l’état d’urgence et pourquoi Macron veut le rendre permanent en l’inscrivant dans le droit commun.
Une mesure imposée au départ au prétexte de lutte contre le terrorisme, justifiée par les attentats d’éléments armés et financés par les services secrets occidentaux pour mener leurs opérations de changement de régime en Libye et en Syrie, est utilisée pour la répression de l’opposition sociale aux attaques de l’oligarchie française.
L’abstention massive à l’élection législative (51,3 % au premier et 57,4 % au deuxième tour) enlève toute légitimité à ce parlement, à la majorité de LRM, qui finalement n’a été elu que par 16 % de l’électorat francais et au gouvernement Macron.