Avec un état d’urgence permanent, Macron prévoit un régime autoritaire en France
Par Kumaran Ira
10 juin 2017
Après que le gouvernement du nouveau président Emmanuel Macron a annoncé la semaine dernière son intention de prolonger l’état d’urgence jusqu’en novembre, les reportages des médias ont confirmé hier que Macron a l’intention d’adopter une loi rendant l’état d’urgence permanent. Cela signifierait la suspension indéfinie des droits démocratiques fondamentaux en France, la fin effective de tout contrôle de la police par les tribunaux et une tentative de la classe dirigeante de transformer la France en dictature.
Une loi « pour renforcer la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure » a été approuvée mercredi par le Conseil de défense. Une copie en a été fournie au Monde, qui a rapporté son contenu hier : « Selon le texte, que Le Monde a pu consulter, les mesures les plus sévères du régime d’exception créé en 1955 pendant la guerre d’Algérie, notamment les assignations à résidence, la fermeture de certains lieux, l’interdiction de manifester et les perquisitions administratives de jour et de nuit vont se retrouver dans le droit commun avec quelques modifications marginales. »
Le pouvoir judiciaire serait réduit à l’impuissance, et la police et les services de renseignement auraient des pouvoirs hors contrôle, a expliqué Le Monde : « Toutes ces mesures resteront l’apanage du ministère de l’intérieur et des préfets, sans l’intervention d’un juge judiciaire. »
Une autre mesure, intitulée « surveillance et autres obligations individuelles », énonce des sanctions pouvant être appliquées à « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ». Cela permettrait également au ministère de l’intérieur, qui aurait rédigé la loi, d’obliger des gens à porter un dispositif de marquage électronique. Fait remarquable, cette mesure a été réintroduite dans la loi, même après qu’elle a été jugé inconstitutionnelle suite à son imposition sous l’état d’urgence en décembre 2015.
La tentative de Macron de rendre permanentes les dispositions de l’état d’urgence est une mesure illégitime fondée sur des mensonges politiques. Elle vise à détruire les droits démocratiques fondamentaux inscrits dans la constitution française, y compris le droit de grève et de manifestation, suite aux expériences amères de la classe ouvrière avec les dictatures fascistes au 20e siècle. Sans ces droits, l’état armé de puissants pouvoirs policiers peut rapidement se transformer en un régime criminel employant la terreur policière contre les masses ouvrières.
Jusqu’à présent, l’état d’urgence a été imposé après les attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris comme une mesure temporaire, mais constamment renouvelée. Les médias et le précédent gouvernement du Parti socialiste (PS) l’ont justifié en s’appuyant sur l’affirmation selon laquelle c’était le seul moyen d’aider la police à faire face à la menace existentielle pour la France des attaques par des réseaux terroristes islamistes agissant en France. Cette affirmation est un mensonge réactionnaire.
Ces réseaux terroristes sont étroitement surveillés par les vastes services de renseignement de la France et utilisés comme outils de la politique étrangère française et des autres puissances de l’OTAN. C’est pourquoi tous les organisateurs d’attentats terroristes majeurs en France étaient connus, sans exception, des services de renseignement, y compris les frères Kouachi qui ont mené l’attaque de Charlie Hebdo et Abdelhamid Abaaoud, qui a dirigé les attaques du 13 novembre 2015. On leur à permis de voyager librement et de préparer leurs attaques, car ces réseaux sont des agents des renseignements fonctionnant sous la protection de l’État.
Bien que des milliers de personnes soient actives en France et en Europe dans les réseaux islamistes qui recrutent des combattants pour la guerre syrienne, seule une poignée d’entre eux été détenue sous l’état d’urgence pour des motifs liés au terrorisme. Alors qu’ils continuaient à opérer et à recevoir des armes et de l’aide de l’OTAN en Syrie, ils ont été utilisés comme prétexte pour forcer le passage d’attaques drastiques contre des droits démocratiques qui auraient été inimaginables auparavant.
Hier, la mesure de Macron a été dénoncée amèrement par des juristes et des organisations représentant les pouvoirs judiciaires. « C’est une transfusion inacceptable de l’état d’urgence dans le droit commun », a déclaré le professeur Paul Cassia à l’AFP. Il a prévenu que les peines « particulièrement attentatoires aux libertés » pourraient être décidées « sur un simple soupçon ».
Les deux principaux syndicats de magistrats de France ont condamné le projet de loi. L’Union Syndicale des Magistrats (USM) l’a qualifié de « scandaleux » et l’Union de la magistrature (UM) a déclaré qu’il s’agissait d’un « véritable monstre juridique ».
Les efforts de Macron pour construire une dictature en France doivent être considérés comme un avertissement par les travailleurs. Macron sait bien que ses plans pour une austérité sociale profonde, un renforcement militaire coûteux coordonné avec Berlin, et le retour du service militaire sont profondément impopulaires et seront rapidement la cible d’une opposition de masse. Son objectif n’est pas les terroristes islamistes, mais la classe ouvrière, qui se voit face à une confrontation avec le gouvernement Macron avec des implications révolutionnaires.
Fait significatif, à la veille de l’approbation du gouvernement Macron du projet de loi pour un état d’urgence permanent, le Premier ministre Édouard Philippe a dévoilé les mesures explosives qu’il entend utiliser pour déréglementer le Code du travail français. Ces mesures doivent être imposées par ordonnance présidentielle, sans vote dans l’une ou l’autre chambre du Parlement, après qu’une loi d’habilitation a été votée donnant au président les pleins pouvoirs sur les dépenses sociales.
Ce régime essentiellement dictatorial vise directement la classe ouvrière. Au nom de la promotion de la compétitivité des entreprises françaises, il vise à éliminer les obstacles existants à la capacité des entreprises d’embaucher et de licencier comme bon leur semble. Philippe a qualifié les coupes d'« indispensables et urgentes ». Les coupes prévues devraient également inclure de nouvelles attaques contre les retraites et l’assurance chômage.
En supprimant les indemnités pour licenciement abusif et en autorisant les entreprises et les syndicats à négocier des conventions d’entreprises qui ne respectent pas les accords de branche et le Code du travail national, le projet de loi réintroduit toutes les mesures retirées de la Loi travail l’année dernière au milieu des manifestations de masse. Même sans ces mesures, 70 % de la population étaient contre cette Loi. Maintenant, Macron a l’intention de piétiner l’opinion publique, réintroduire de force toutes les mesures les plus impopulaires et les utiliser pour attaquer les droits sociaux obtenus au XXe siècle par les luttes de plusieurs générations.
Le gouvernement prévoit également de limiter l’opposition des syndicats en les achetant : il veut résoudre le problème de l’illégalité de leur financement par l’État et les employeurs en rendant le légal. Macron prévoit d’installer un prétendu « chèque syndical », une somme d’argent fournie par l’entreprise aux travailleurs, mais que les travailleurs sont tenus de remettre à un syndicat de leur choix. Alors que l’argent transite supposément par les mains des travailleurs, il ne vient pas de la classe ouvrière, mais de la direction de l’entreprise, qui entends dicter leur politique aux syndicats.
Cette politique constitue un réquisitoire politique de la politique de Jean-Luc Mélenchon, chef de file du mouvement de la France insoumise (FI). Jeudi, il a critiqué ces mesures comme un « coup d’état social » et a approuvé l’affirmation selon laquelle la loi signifiait un « retour au XIXe siècle » pour les travailleurs. Il a ajouté que sa formation était « la seule dans une opposition humaniste et républicaine » à Macron.
En fait, les plans du gouvernement Macron révèlent les tentatives répétées de Mélenchon de semer des illusions sur Macron. Après avoir proposé d’être le Premier ministre de Macron pour lui prêter « la main avisée d’un sage qui connaît de quel côté est le bonheur du peuple », il a également déclaré qu’il rencontrerait les ministres du gouvernement Macron pour discuter de leur projet de loi. Avec ces propositions démagogiques, Mélenchon proposait un soutien politique à Macron comme celui-ci prépare le cadre d’une dictature capitaliste en France.
(Article paru en anglais le 9 juin 2017)