L'abstention marque la victoire de Macron au premier tour des législatives
Par Alexandre Lantier
12 juin 2017
Une abstention historique a prédominé lors du premier tour des législatives françaises hier, qui a donné un large avantage à La République En Marche (LREM), le parti d'Emmanuel Macron. 51,2 pour cent des électeurs se sont abstenus, un taux record depuis le début de la Cinquième République en 1958. C'est la première fois qu'une minorité des électeurs participe aux législatives.
Les jeunes et les travailleurs ont massivement boudé l'élection. Alors que les retraités ont participé à plus de 70 pour cent au scrutin, la participation des électeurs de moins de 30 ans s'établirait autour de 30 pour cent. Des sondages réalisés peu avant l'élection signalaient également que 56 pour cent des catégories populaires, réunissant ouvriers et employés, comptaient s'abstenir.
C'est un premier jugement négatif des Français sur la campagne médiatique en faveur du programme contre-révolutionnaire de Macron, avec notamment la pérennisation de l'état d'urgence, des attaques profondes contre le droit du travail, et l'imposition du service militaire universel.
Tout indique actuellement que ces législatives – dont l'enjeu était de déterminer, selon l'expression du Monde, si Macron disposerait des « pleins pouvoirs » pour imposer son programme – produiront une majorité écrasante LREM à l'Assemblée. Toutefois, même si l'automatisme des institutions accorde à Macron un pouvoir législatif incontesté, sa majorité ne disposera d'aucune légitimité pour approuver les lois que Macron tentera d'imposer, étant élue par une minorité de la population.
LREM a obtenu 32 pour cent des voix, contre 21 pour cent pour Les Républicains (LR) ; 13,9 pour cent pour le Front national ; 10,9 pour cent pour La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon ; 13,3 pour cent pour le PS ; et 3,3 pour cent pour le Parti communiste français (PCF). Les candidats de Lutte ouvrière (LO) et du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) réunis n'auraient obtenu qu'à peine 0,08 pour cent des voix.
Le fonctionnement des élections – il faut obtenir un nombre de votes supérieur à 12,5 pour cent du nombre d'électeurs inscrits pour avancer au second tour, que remporte le candidat avec le plus de voix – fait toutefois que LREM peut espérer obtenir une très large majorité à l'Assemblée.
Même si elle n'a recueilli que les voix de moins de 16 pour cent des électeurs inscrits, LREM disposerait, selon les premières projections à partir du vote d'hier soir, d'une majorité écrasante d'entre 400 et 450 sièges sur 577 à l'Assemblée. LR aurait entre 70 et 110 sièges, le PS entre 20 et 30, la coalition LFI-PCF entre 8 et 18, et le FN entre 7 et 12.
Les résultats de LREM soulignent le caractère hétérogène, donc fragile de son électorat, formé à partir de vagues promesses de réformes et de modernisation. Ainsi, à Paris, LREM a remporté le très bourgeois 16e arrondissement ainsi que les quartiers populaires du 19e arrondissement.
Parmi l'élite politique et médiatique, de nombreuses voix se sont élevées pour s'inquiéter que l'abstention signifiait une absence de légitimité démocratique qui aurait des conséquences sérieuses quand Macron essaiera ensuite d'imposer ses mesures à la population.
« Notre démocratie ne peut se permettre d'être malade », a déclaré le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, avant d'ajouter : « Il n'est ni sain, ni souhaitable qu'un président ayant réuni 24 pour cent des voix au premier tour et gagné le second tour par le seul rejet du Front national, bénéficie du monopole de la représentation démocratique ».
« Point noir, très noir même : l'image de cette future Assemblée nationale ne sera qu'une caricature de la France politique », expliquait France Info hier soir. « Et ce n'est pas un signe de bonne santé dans la démocratie. »
Le gouvernement Macron s'est trouvé forcé de lancer un appel aux électeurs de participer plus largement au second tour des législatives. « Vous avez été moins nombreux à vous exprimer » qu'aux présidentielles, a déclaré le premier ministre, Edouard Philippe, qui a ajouté qu'il se devait « d'insister sur la nécessité d'aller voter dimanche prochain ».
Les législatives sont marquées d'une contradiction éclatante. Une large opposition existe au programme d'austérité, de militarisation et de répression que Macron développe avec Berlin et avec l'Union européenne (UE). Toutefois, LREM – fondée l'année dernière par Macron, qui était ministre de l'Economie du gouvernement PS profondément impopulaire de François Hollande – a pu se construire sur quelques mois en tant que principal parti bourgeois en France et phagocyter de larges fractions du PS et de LR.
C'est lié surtout au rôle réactionnaire de Mélenchon, de LFI, et du NPA, qui ont fourni un soutien tacite à Macron, même s'il était très clair que Macron intensifierait le virage à droite mené par Hollande. Quand Macron et Le Pen ont pu avancer au second tour, Mélenchon et le NPA ont tout fait pour indiquer que – sans appeler à voter Macron – ils étaient tacitement favorables à une victoire de Macron.
Le NPA a dit « comprendre » un vote Macron contre Le Pen, et Mélenchon a ensuite offert de servir de premier ministre sous Macron, voire de conseiller des ministres de Macron sur les projets de loi qu'ils présenteraient à l'Assemblée.
Ils ont rejeté l'alternative offerte par le Parti de l'égalité socialiste (PES), la section française du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI). Le PES s'est opposé aux prétensions de Macron d'être un défenseur de la démocratie contre Le Pen et a appelé à un boycott actif du second tour des présidentielles. Le PES a expliqué qu'il voulait armer les travailleurs avec une perspective politiquement indépendante pour lutter contre l'assaut qui serait lancé contre les travailleurs, que ce soit Macron ou Le Pen qui l'emporterait.
L'abdication totale de Mélenchon et du NPA de toute responsabilité d'offrir une perspective pour s'opposer à Macron va de pair avec l'effondrement de tous les partis qui se sont fait passer pour la « gauche » française depuis presque un demi-siècle—depuis la dernière expérience révolutionnaire majeure de la classe ouvrière en France, la grève générale de Mai-Juin 1968.
Le PS, le parti hégémonique peu après sa fondation en 1971. Il avait 331 députés à l'Assemblée après les élections de 2012, mais après la présidence de Hollande, il est en passe d'être réduit à une infime minorité à l'Assemblée. Il paie le prix d'avoir mené des politiques impopulaires d'austérité et de guerre chaque fois qu'il a été au pouvoir. De nombreux responsables PS essaient de se recycler en rejoignant à présent LREM.
De nombreux députés PS et Verts influents sont éliminés : Cambadélis, le candidat PS à la présidence Benoît Hamon, l'ex-ministre de l'Intérieur PS Matthias Fekl, l'ex-ministre de la Justice PS Elizabeth Guigou et l'ancienne dirigeante des Verts, Cécile Duflot.
L'appareil sclérotique du PCF, qui s'est effondré après sa formation d'une alliance avec le PS dans les années 1970 et surtout après la dissolution par la bureaucratie stalinienne de l'URSS en 1991, ne fait avancer qu'une vingtaine de candidats au second tour. Il est menacé de la perte de son groupe parlementaire, qui nécessite au moins 15 députés, et donc d'un perte de ressources financières qui pourrait s'avérer dévastatrice, voire fatale.
Dans la mesure où ces forces ont bloqué une mobilisation politiquement indépendante des travailleurs contre Macron, ceci lui a permis de prendre une position dominante dans l'appareil d'Etat et préparer de profondes attaques contre les travailleurs. Il confrontera toutefois une opposition explosive parmi les travailleurs, alors que l'abstention a privé l'Assemblée de toute prétension à une légitimité démocratique pour imposer son programme réactionnaire.