L'élite dirigeante française attise l'hystérie sécuritaire avant le premier tour
Par Johannes Stern et Alexandre Lantier
20 avril 2017
Des milliers de soldats et de gendarmes entouraient les meetings électoraux hier, alors que le gouvernement PS prépare une opération militaire majeure pour le premier tour des présidentielles françaises dimanche. Face à la montée de l'opposition populaire à la guerre et à la police, l'élite dirigeante veut prolonger et intensifier la militarisation du pays sous l'état d'urgence.
Mardi, le ministre de l'Intérieur Matthias Fekl a annoncé que 50.000 hommes, des policiers et des militaires, seraient mobilisés autour des bureaux de vote dimanche. « A quelques jours maintenant, d’une échéance électorale majeure pour notre pays, je veux rappeler que tout est mis en oeuvre pour assurer la sécurité de ce rendez-vous majeur pour notre démocratie et notre République », a-t-il dit.
Le ministère de l'Intérieur mène une offensive concertée avec tous les candidats présidentiels afin de justifier la tenue des élections sous les mitraillettes des gendarmes, pour terroriser la population et pourrir l'atmosphère politique. L'offensive est centrée sur l'annonce de l'arrestation mardi, sous des circonstances qui sont toujours obscures, de deux hommes qui seraient des militants islamistes.
La police les a arrêtés en déclarant qu'ils préparaient des attentats, et qu'elle détenait des preuves qu'une de leurs cibles était le candidat de droite François Fillon. La police a également affirmé que les deux hommes avaient l'intention de mener des attentats pour influencer l'élection et qu'ils avaient rassemblé des armes et trois kilos d'explosifs dans un appartement à Marseille à cette fin.
« Les deux hommes radicalisés, nés respectivement en 1987 et 1993, de nationalité française, avaient l’intention de commettre à très court terme, c’est à dire dans les tous prochains jours, un attentat sur le sol français », a déclaré Fekl.
Mercredi, on a su que les autorités judiciaires avaient lancé une investigation de Mahiedine Merabet, 29 ans, le 5 avril, après avoir reçu un avertissement des services britanniques qu'il essayait de contacter l'Etat islamique (EI). Selon le procureur François Molins, Merabet et l'autre détenu, Clément Baur, étaient connus du renseignement français depuis 2016 et 2015. Les deux hommes avaient partagé une cellule de prison en 2013 et en 2015, suite à des arrestations pour trafic de drogue. Ils étaient tous deux fichés « S ».
Les circonstances de leur arrestation sont extraordinaires. La police les avaient identifiés et avaient discuté d'eux avec les principaux candidats présidentiels presque une semaine avant de les arrêter.
Le ministère de l'Intérieur a averti Fillon de la menace qu'ils lui auraient posée le jeudi 13 avril et présenté leurs fichiers de police à son équipe de campagne. Un conseiller de Fillon a dit au Figaro : « Ce sont des fiches tirées du logiciel de police Sarbacane qui ont été diffusées. L'une date du 10 avril, l'autre du 13 avril. L'information que ces deux individus fonctionnaient ensemble est tombée le 14 avril ».
Selon Le Figaro, le gouvernement PS a contacté tous les candidats à propos des deux hommes presque au même moment, la semaine dernière. La candidate néo-fasciste Marine Le Pen a confirmé au Figaro : « Leurs photos ont été communiquées à mon service de sécurité dès jeudi ».
Hier, les médias ont lancé une propagande massive autour des arrestations, exigeant que le danger du terrorisme islamiste soit au centre du débat électoral. Cette propagande est mensongère, car ce sujet a été rabattu sans cesse lors de la campagne, et cela sans mentionner le fait essentiel : les djihadistes ont été armés et instrumentalisés par la CIA et l'Otan dans une guerre visant à renverser le régime syrien. Dans l'analyse finale, ils fonctionnent non pas en ennemis mais en tant que mandataires réactionnaires de l'impérialisme français et de ses alliés au sein de l'Otan.
Toutefois, les médias hier ont tiré à boulets rouges sur l'islamisme. BFMTV a demandé à ses commentateurs d'expliquer comment les arrestations grossiraient l'importance de la discussion du terrorisme dans la campagne électorale.
Dans son éditorial hier, Le Figaro déclarait que ces événements allaient « sans doute remettre la lutte contre le djihadisme au cœur de cette fin de campagne. Sujet capital, mais trop peu abordé ».
L'intervention du renseignement dans l'élection autour de ces arrestations est à la fois extraordinaire et profondément antidémocratique. Sur la seule parole du ministère de l'Intérieur et de membres non identifiés du renseignement, les médias exigent que toute la campagne électorale soit réorganisée autour de leur poussée pour octroyer des pouvoirs encore plus vastes aux forces de sécurité.
Les médias ne posent aucune des questions que soulèvent ces arrestations. Pourquoi ces hommes n'ont-ils pas été arrêtés immédiatement, une fois que la police a conclu qu'ils voulaient assassiner des candidats présidentiels ? De quel droit les services de renseignement pourraient-ils prétendre déterminer le contenu de la campagne électorale, surtout quand ils n'ont fourni aucune information concrète sur les attentats qu'ils auraient déjoués ?
Dans l'analyse finale, la réaction hystérique des médias et de l'élite dirigeante aux arrestations de Merabet et de Baur ne peut être comprise que dans le contexte de la profonde crise de la campagne présidentielle en France et de la montée du danger de guerre.
Après les frappes agressives et unilatérales de Trump contre la Syrie le 7 avril, une opposition considérable à la guerre s'est développée en France et en Europe, notamment parmi les jeunes. Jean-Luc Mélenchon de La France Insoumise a pu bénéficier de ce sentiment pour monter dans les sondages et pour s'établir en tant que présidentiable potentiel. Cette déstabilisation de l'élection a provoqué une vague d'appréhension dans les médias français et internationaux.
A peine quelques jours plus tard, les services français commençaient à s'intéresser à Merabet et à Baur, non pas pour les arrêter immédiatement, mais pour discuter d'eux avec tous les candidats et coordonner leur réaction politique.
Les candidats présidentiels soutiennent tous la promotion de l'armée et des pouvoirs d'Etat policier accordés aux services de sécurité. Une fois que la police avait décidé d'arrêter les deux hommes et d'en parler au grand jour, les candidats ont tous rejoint l'hystérie sécuritaire des médias. Mélenchon y a participé à sa façon, comme tous les autres candidats, ce qui souligne qu'il n'offre aucune alternative réelle aux autres partis bourgeois.
Dans une communiqué mardi, Le Pen a dénoncé « une multiplication dévastatrice des attentats et des menaces d'attentats », visant « notre démocratie ». Elle a menacé de mettre la France « en ordre ».
Emmanuel Macron d'En Marche, le candidat adoubé par la majorité du gouvernement PS sortant, a réagi de manière similaire, mais en exigeant une escalade militariste même plus importante. Il a appelé à « des actions fortes visant l'ensemble des sujets : l'action militaire en Irak et en Syrie ; le renforcement marqué des moyens de renseignement intérieur ; l'association nécessaire des groupes de l'Internet à la lutte contre le terrorisme et le renforcement de l'esprit civique de la nation ». Il a également exigé que les réseaux sociaux et d'autres entreprises renforcent la censure sur Internet.
Macron et Fillon tous deux ont promis, comme Le Pen, que s'ils étaient élus, ils intensifieraient les mesures de sécurité déjà draconniennes qu'impose l'état d'urgence. Fillon a publié un communiqué pour déclarer qu'il ne reculerait pas « d'un centimètre carré » de ses positions suite aux attentats.
Mélenchon a quant à lui déclaré que Fillon, Le Pen, et Macron auraient tous pu être des cibles des deux hommes à Marseille et pour s'unir avec les candidats auxquels il s'oppose, en principe, dans les élections : « Je veux solennellement dire à M.Fillon, Mme Le Pen et M.Macron que je leur envoie ma solidarité personnelle la plus totale ».
« Redoublons entre nous de polémiques respectueuses (...) pour montrer que rien ne viendra au bout de notre démocratie et que les criminels ne peuvent rien contre elle », a-t-il proposé mardi soir.