Mélenchon monte dans les sondages après les frappes de Trump en Syrie
Par Alexandre Lantier
11 avril 2017
Les frappes de Trump la semaine dernière ont chamboulé les présidentielles françaises, l'actualité internationale étant à nouveau intervenue pour modifier les rapports de force entre les candidats.
Une campagne politique et médiatique autour d'éventuels emplois fictifs a abattu l'ancien favori de droite, François Fillon en janvier, quand il a proposé un axe Paris-Berlin-Moscou contre les USA. Pendant un temps, la néo-fasciste Marine Le Pen et Emmanuel Macron, l'ex-banquier et ministre de l'Economie sous le PS qu'appuie Berlin à cause de son programme d'austérité et de retour au service militaire, ont dominé l'élection. A présent, après les frappes de Trump en Syrie, Le Pen et Macron chutent dans les sondages.
Jean-Luc Mélenchon, l'ex-ministre PS qui dirige la campagne «France insoumise», grimpe dans les sondages, de 12 à 18 pour cent et aurait dépassé Fillon dans les sondages. Le candidat PS, Benoît Hamon, a déclaré qu'il soutiendra Mélenchon au second tour. Si ses électeurs (9-10 pour cent) votaient tous pour Mélenchon, il arriverait sans problème au second tour, pour affronter soit Macron soit Le Pen.
Mélenchon monte dans les sondages avant tout à cause de ses critiques de la guerre et de l'islamophobie rampante qu'a favorisée l'état d'urgence imposé par le PS, ainsi que la montée du FN. Il a organisé un meeting de campagne à Marseille, qui aurait réuni 70.000 personnes, où il a critiqué la guerre et l'oppression des réfugiés.
A Marseille, il a attaqué Trump et les gouvernements européens, y compris celui du président François Hollande, qui ont défendu les frappes en Syrie: «Je suis le candidat de la paix»!
«Souvenez-vous de ces jours quand vous irez voter, (de) ces gens qui sont allés derrière lui acclamer l'intervention de Trump, qui n'a encore une fois aucun fondement, aucune légitimité internationale, qui aura été le fait d'une seule personne et qui pourrait vous entraîner dans la guerre», a-t-il dit. «Réfléchissez-y: si vous voulez la paix, ne vous trompez pas de bulletin de vote. Et si vous en choisissez un pour la guerre, ne vous étonnez pas si elle finit par arriver».
Il a aussi évoqué les morts de milliers de réfugiés qui fuient les guerres au Moyen-Orient, noyés en Méditerranée, à cause des politiques cruelles et réactionnaires de l'Union européenne (UE). «Ah la bonne mer, comment est-il possible que tu sois devenu ce cimetière où 30.000 ont disparu dans les eaux»?, a-t-il dit, avant de respecter une minute de silence pour les morts et de dire: «Écoutez vous autres, écoutez, c'est le silence de la mort».
Sur ceux qui attisent les haines anti-immigré, Mélenchon a dit que c'est «à nous de dire que l'émigration est toujours un exil forcé, une souffrance».
La montée du soutien pour Mélenchon est une expression d'une large opposition aux politiques de guerre, d'austérité, et d'hystérie sécuritaire. L'émergence de ces sentiments réfute l'idée que la montée du FN est le produit du mouvement continu d'une population française raciste vers la droite. En fait, de puissants sentiments de gauche et de caractère essentiellement socialiste existent, surtout parmi les travailleurs, mais ils ont été étouffés tout au long de la présidence de Hollande.
Cinq ans de guerre et d'austérité sous Hollande, et 17 mois de l'état d'urgence, ont produit une crise sociale et politique explosive. Selon un sondage l'année dernière, deux-tiers des Français considèrent que la lutte des classes est une réalité quotidienne. Malgré l'incitation officielle sans relâche de l'islamophobie sous l'état d'urgence imposé après les attentats islamistes à Paris en 2015, il y a une puissante opposition au nationalisme.
Après les manifestations de masse contre la loi travail l'année dernière, des manifestations contre la police ont déferlé en 2017, contre le viol de Théo à Aulnay-sous-Bois ou le meurtre de Liu Shaoyo à Paris.
Ce serait une erreur énorme de ne pas reconnaître l'importance des profondes tensions de classe en France et en Europe, ou du mouvement vers la gauche de masses de gens.
Cependant, il faut avant tout faire la mise en garde la plus sévère: la candidature de Mélenchon ne servira pas à avancer les intérêts politiques ou sociaux des travailleurs. Pendant de longues décennies, à l'intérieur ainsi qu'à l'extérieur du PS, il a déçu les espérances qu'il tente à présent d'exploiter – en manipulant et en trahissant l'opposition à la guerre du Golfe en 1991 et à la préparation de l'euro. Il défend le capitalisme, a appelé à voter Hollande, et a proposé d'être son premier ministre.
Il ne sera ni anti-guerre ni pro-immigré. Son populisme anti-marxiste qui rejette le socialisme, un rôle politiquement indépendant pour la classe ouvrière, et même la distinction entre la gauche et la droite, s'est avéré être un instrument réactionnaire des classes possédantes. Au pouvoir, ce serait un ennemi acharné des travailleurs.
Son allié grec, le gouvernement Syriza («Coalition de la gauche radicale») du premier ministre Alexis Tsipras, a remporté l'élection de janvier 2015 en promettant de mettre fin à l'austérité dictée par l'UE à la Grèce. Il a totalement trahi ses promesses électorales, après s'être allié aux Grecs indépendants d'extrême-droite. Il a reconduit le Mémorandum d'austérité avec l'UE quelques semaines à peine après son élection et a imposé de profondes coupes sociales en 2015, foulant aux pieds son propre référendum, où 60 pour cent des Grecs ont voté «non», contre l'austérité.
Son allié espagnol, Podemos, recrute de larges sections du corps d'officiers de l'armée espagnole et a obtenu de nombreuses responsabilités dans les administrations locales et municipales, et celles-ci ont soigneusement remboursé les prêts des banques tout en écrasant les grèves.
Mélenchon tente de se fait passer pour un candidat de paix et d'humanisme, mais il veut rétablir le service militaire universel, et il compte sur le soutien du Front de gauche, qui a voté l'état d'urgence à l'Assemblée nationale en novembre 2015. Le contenu de sa proposition de relancer le service militaire – à présent que les frappes de Syrie font planer la menace d'une guerre entre l'OTAN et la Russie, principal allié de la Syrie – est clair. Il veut préparer pour ce que Macron a appelé une «époque» de guerres majeures.
Les larmes qu'il verse face aux réfugiés noyés en Méditerranée sont particulièrement hypocrites, car il a soutenu en 2011 les débuts des guerres contre la Libye et la Syrie qui ont forcé des millions de gens à fuir leur foyers pour tenter de gagner l'Europe. Le Front de gauche a aussi joué un rôle central dans l'incitation de l'islamophobie, en avançant des lois contre le voile et la burka.
Mélenchon lui-même est nationaliste. Il ne peut rien contre la poussée du capitalisme vers la guerre, qui ressort du système dépassé des Etats-nations, de la profonde contradiction entre la division du monde en Etats nationaux et le caractère international de la production.
A Marseille, il a proposé de réagir au danger d'une guerre en organisant une «conférence de la sécurité en Europe» qui traiterait «de tous les problèmes surgissant ou ayant surgi entre l'Atlantique et l'Oural». Selon lui, ceci «permettrait que la menace épouvantable qui se dessine soit repoussée par les lumières de la raison et de la discussion (...) Nous autres, Français, nous aurions à dire que nous ne voulons d'aucune guerre, ni petite, ni moyenne, ni grande sur le vieux continent».
Mais sur quoi Trump, le président russe Vladimir Poutine, et les dirigeants européens pourraient-ils tomber d'accord s'ils se réunissaient ainsi? Le Parti démocrate aux USA et ses alliés européens ont forcé Trump à faire volte-face, à abandonner ses espoirs d'une meilleure relation avec la Russie, et à lancer des frappes en Syrie. Ceci souligne le caractère irréductible de ces conflits, qui émergent des antagonismes matériels et stratégiques des grandes puissances capitalistes.
L'événement décisif, toutefois, n'est pas la montée de Mélenchon mais celle de l'opposition ouvrière en France et à travers le monde, à la guerre et aux déprédations du capitalisme. La question essentielle est la construction d'un mouvement antiguerre et d'une direction marxiste révolutionnaire dans le prolétariat international, par une analyse et une lutte contre l'antimarxisme petit-bourgeois de Mélenchon.