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Sommet à Paris : l'UE crée des camps de détention pour les migrants africains

Par Alexandre Lantier
31 août 2017

Lundi, les chefs d'État de l'Allemagne, de la France, de l'Italie, de l'Espagne, du Niger et du Tchad, ainsi que le Premier ministre fantoche de la Libye, Fayez el-Sarraj, ont assisté à un sommet sur l'immigration organisé par Emmanuel Macron à Paris.

L'objectif du sommet lui donnait un caractère politiquement criminel. Il s’agissait de refuser le droit d'asile à des centaines de milliers de réfugiés et de bloquer leur voyage à travers la Libye et la Méditerranée vers l'Europe. L'Europe compte utiliser les forces armées des régimes africains pour retenir les réfugiés et les renvoyer vers les pays qu'ils avaient fuis, les gardant ainsi en Afrique pour dissuader de nouvelles migrations.

La conférence tentait de gérer les conséquences désastreuses de la guerre de l'OTAN en 2011 en Libye, qui a détruit le régime du colonel Muammar Kadhafi et déclenché une guerre civile sanglante qui fait rage à ce jour. Elle tentait aussi de contenir des tensions croissantes entre les puissances européennes au sujet de quelle faction armée soutenir en Libye.

La semaine dernière, l'ONU a publié un rapport dévastateur soulignant le sort horrible de nombreux réfugiés piégés dans la guerre civile libyenne et accusant les forces sur lesquelles l'UE compte pour réprimer les réfugiés.

Le rapport déclare : « Les migrants sont soumis par des contrebandiers, des trafiquants, des membres de groupes armés et des forces de sécurité à d'extrêmes violences, à des tortures et autres sévices, au travail forcé, à des atteintes arbitraires aux libertés, au viol, et à d'autres violences et crimes sexuels. Le 11 avril 2017, l'Organisation internationale des migrants a dénoncé les marchés d'esclaves en Libye, où l'on vend des migrants sub-sahariens et des femmes comme esclaves sexuels. »

L'ONU cite des rapports de la Mission d'appui de l'ONU en Libye (UNSMIL) et dépeint les conditions horribles qui existent dans les camps de détention en Libye. Elle a constaté que les victimes des diverses milices qui gouvernent la Libye post-Kadhafi « avaient peu de voies de recours, en raison d'un état général d'anarchie et de la faiblesse des institutions judiciaires ».

Elle ajoute : « UNSMIL a visité des centres de détention du Département de la lutte contre la migration illégale à Gharyan, Tripoli, Misrata et Surman, où des milliers de migrants ont été détenus arbitrairement pendant des périodes prolongées sans pouvoir contester la légalité de leur détention. L'UNSMIL avait documenté des cas de torture, de sévices, de viol et d'autres formes de violence sexuelle. Les centres de détention sont surpeuplés et les détenus, souvent mal nourris, vivent dans des conditions d'hygiène déplorable avec un accès limité ou sans accès aux soins médicaux. »

L'ONU a aussi documenté la brutalité des milices soutenues par l'UE en Libye, qui capturent les réfugiés pour les renvoyer dans ces camps de détention : « L'UNSMIL a reçu de nombreux rapports d'interceptions dangereuses, potentiellement mortelles par des hommes armés qui seraient des Garde-côtes libyens. L'UNSMIL ré-examine son soutien à la Garde côtière libyenne conformément à la politique de l'ONU vis-à-vis des droits de l'homme ».

Lundi soir, la conférence a adopté une résolution appelant l'UE à envoyer des migrants « particulièrement vulnérables » de Libye en Europe tout en s’appuyant sur les forces armées du Niger et du Tchad et sur les diverses milices en Libye pour empêcher les réfugiés d'atteindre la Méditerranée. La conférence a aussi proposé à l'UE d'équiper la Garde côtière libyenne pour ses missions anti-réfugiés.

Macron a dit vouloir « identifier » les migrants qui sont de véritables réfugiés au Niger et au Tchad, avant qu'ils n’atteignent la Libye, afin de renvoyer dès que possible le nombre maximal de réfugiés chez eux. Il a attribué les difficultés des réfugiés en Afrique aux contrebandiers : « Certains groupes de trafiquants qui trafiquent en armes, en vies humaines et en drogue et des groupes liés au terrorisme ont transformé le désert d’Afrique et la Méditerranée en cimetières. Ces mêmes personnes sont profondément liées au terrorisme ».

Ce sont là des mensonges politiques qui font passer le refus brutal par l'UE du droit d'asile aux réfugiés, fondé sur la répression armée, pour une politique « humanitaire ». Ce sont les puissances de l'OTAN et non pas les contrebandiers et les réfugiés, qui sont les principaux responsables de la guerre civile en Libye, qui ont bombardé la Libye et armé diverses milices islamistes. Comme dans les guerres impérialistes en Afghanistan, en Irak et en Syrie, le pays s'est rapidement disloqué.

Les guerres au Moyen-Orient et en Afrique ont provoqué la plus grande crise de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale. Plus de 60 millions de personnes ont dû fuir leurs foyers. La réaction des puissances impérialistes n'est pas d'arrêter la guerre, de résoudre les conflits ou de mettre fin à la pauvreté qui forcent des dizaines de millions à s'exiler. Elles visent plutôt à travailler plus étroitement avec les dictatures militaires et les milices irrégulières pour empêcher cette vague sans précédent de migrants d'atteindre l'Europe.

Malgré leurs critiques du président américain Donald Trump qui veut construire un mur pour bloquer l'immigration mexicaine vers les États-Unis, la politique des pouvoirs européens à l'égard des réfugiés africains est tout aussi impitoyable et brutale. Alors que des milliers de réfugiés tentent la traversée de la Méditerranée, l'UE cherche à limiter les opérations de sauvetage, espérant que la nouvelle des noyades en mer dissuadera les autres migrants d'essayer d'atteindre l'Europe.

Les opérations de sauvetage encouragent la migration, expliquait un diplomate britannique ; elles « créent un ‘facteur d'attraction involontaire’ entraînant davantage de morts tragiques et inutiles ». La solution était d'éliminer le « facteur d'attraction » engendré par les secours et de décourager les migrations en permettant aux réfugiés de se noyer. Depuis lors, des milliers de réfugiés innocents se sont noyés en Méditerranée — 2.400 depuis janvier 2017.

La déclaration de l'UE selon laquelle elle apportera des migrants « particulièrement vulnérables » en Europe est un autre geste cynique. Tout réfugié en Libye est vulnérable en raison de la guerre civile qui sévit dans le pays. La promesse d'accueillir ceux qui sont « particulièrement vulnérables » ne fait qu'autoriser l'UE à choisir les réfugiés auxquels elle veut bien accorder l'asile.

A la conférence, les responsables européens ont rejeté les arguments des chefs d'État africains selon lesquels les migrations se poursuivraient tant que d'importantes régions d'Afrique seraient pauvres.

« Le problème est la pauvreté », a avoué la cheffe de la diplomatie de l'UE, Federica Mogherini, mais elle a exclu de lancer « un nouveau plan Marshall » qui consacrerait des crédits substantiels à la création d’emplois en Afrique. Les responsables européens envisagent de dépenser 6 millions d'euros pour lutter contre la pauvreté et 50 millions d'euros à long terme. Ce sont des sommes dérisoires dans une région pauvre où vivent des centaines de millions de personnes.

Le sommet reflète non seulement la politique militariste et anti-réfugiés de l'UE, mais les rivalités entre les puissances européennes. Toutes veulent dicter l'ordre du jour et annoncer les projets les plus ambitieux pour limiter l'immigration en Europe. La chancelière allemande Angela Merkel, qui cherche la réélection, a annoncé hier un accord avec la sanglante dictature militaire égyptienne du général Abdel Fattah al-Sissi pour limiter les migrations vers l'Europe.

Macron a dû abandonner son projet de construire des centres de détention français en Libye, présenté en juillet sur fond de fortes tensions avec l'Italie, l'ancienne puissance coloniale en Libye. Paris et Rome soutenaient des forces armées rivales en Libye, celles dirigées par le général Khalifa Haftar et les milices de Misrata, respectivement.

(Article paru d’abord en anglais le 29 août 2017)