L’Union européenne menace de déporter sommairement des masses de réfugiés
Par Alex Lantier
5 mars 2016
Jeudi 3 mars, le président du Conseil européen Donald Tusk a averti sans détour que l’Union européenne (UE) entendait fermer hermétiquement ses frontières et expulser sommairement des masses de réfugiés désespérés fuyant les guerres impérialistes qui ravagent le Moyen-Orient.
Parlant à Athènes après une rencontre avec le premier ministre grec Alexis Tsipras, Tusk a déclaré: « Je veux faire appel à tous les migrants économiques illégaux potentiels, d’où que vous veniez. Ne venez pas en Europe. Ne risquez pas votre vie et votre argent. Cela ne sert à rien. La Grèce ou tout autre pays européen ne sera plus un pays de transit. »
Tusk s’est ensuite rendu en Turquie. Lors d’une conférence de presse conjointe avec le premier ministre Ahmet Davutoglu à Ankara, il a appelé à la mise en place d’un système de déportations sommaires de masse des réfugiés de l’Europe. « Nous sommes d’accord que les flux de réfugiés restent bien trop élevés », a déclaré Tusk. « Pour beaucoup en Europe, la méthode la plus prometteuse semble être un mécanisme rapide et à grande échelle pour réexpédier les migrants irréguliers arrivant en Grèce. »
L’attaque des réfugiés comme « irréguliers » ou « migrants économiques illégaux » par Tusk est une calomnie portée contre des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants innocents fuyant des conflits sanglants alimentés par les États-Unis et les puissances européennes. De telles attaques doivent permettre à l’UE d’aller très loin à droite, d’adopter des politiques précédemment associées aux partis néo-fascistes. Les droits démocratiques fondamentaux comme le droit d’asile doivent être piétinés et les déportations extrajudiciaires sur la base de l’origine raciale ou nationale doivent devenir la politique de l’UE.
Le flux des réfugiés depuis la Syrie et l’Irak déchirés par la guerre continue d’augmenter; 131.724 sont arrivés en Grèce dans les seuls deux premiers mois de 2016. C’est plus que le nombre ayant fui en Europe au cours des six premiers mois de 2015. Dans de telles conditions, l’hostilité de toutes les fractions de la bourgeoisie européenne aux réfugiés apparaît au grand jour.
Tusk a fait ses commentaires un jour seulement après que le chef de l’OTAN, le général Philip Breedlove, a accusé les réfugiés d’être des ennemis de l’OTAN au service de la Russie et de la Syrie, qui « militarisent délibérément la migration pour tenter de submerger les structures européennes et de briser la détermination européenne. »
Aucune invention n’est trop grotesque pour les puissances de l’UE. Une conférence organisée par l’Autriche et neuf pays des Balkans s’est mise d’accord pour désigner tous les réfugiés fuyant l’Afghanistan, pays ravagé par la guerre civile et l’occupation militaire de l’OTAN, comme des « migrants économiques ».
La chancelière allemande Angela Merkel, qui au début de la crise des réfugiés, a faussement tenté de s’aligner sur la sympathie populaire pour les réfugiés en déclarant que Berlin accueillerait un grand nombre d’entre eux, a signalé mardi son accord avec une ligne dure contre les immigrés.
« Un réfugié n’a pas le droit de dire: ‘Je veux obtenir l’asile dans un pays particulier de l’Union européenne,’ » a-t-elle déclaré. Le soutien de Berlin au traité de Schengen de libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Europe repose sur l’interdiction par la Grèce aux réfugiés d’entrer en Europe; elle a souligné : « Quand je dis que nous devons revenir au système Schengen, cela signifie alors bien sûr que la Grèce doit protéger les frontières. »
Des dizaines de milliers de réfugiés cherchant à atteindre l’Allemagne sont maintenant pris au piège en Grèce, car l’Autriche et les pays des Balkans refusent de laisser passer leurs frontières à plus d’une poignée de réfugiés chaque jour. Les autorités grecques ont estimé que le nombre de réfugiés essayant d’atteindre l’Europe centrale, mais pris au piège en Grèce, pourrait bientôt atteindre 70.000.
Des milliers de réfugiés sont arrivés à la frontière gréco-macédonienne depuis que la police macédonienne a brutalement réprimé les migrants qui tentaient de traverser la frontière, le 29 février. Environ 12.000 à 15.000 immigrés sont donc bloqués dans un camp près de la frontière, à Idomeni.
« C’est un camp de fortune. Le camp de transit est déjà au maximum de sa capacité, alors les gens mettent en place leurs tentes partout où ils peuvent, » a rapporté Hoda Abdel-Hamid d’Al Jazeera depuis Idomeni. « Ils vont dans les bois pour allumer des feux quand la température chute de façon spectaculaire... Les gens sont chaque jour de plus en plus frustrés, ils sont de plus en plus fatigués. »
Un fossé de classe sépare la réaction chauvine des élites dirigeantes européennes à la crise des réfugiés des sentiments de la masse des travailleurs. À Athènes, les travailleurs font le don de nourriture et de jouets et les chômeurs donnent leur temps dans les soupes populaires.
Mais les conflits et les rancœurs ethniques continuent de se développer à l’intérieur de l’UE; chaque gouvernement national cherche à empêcher autant de réfugiés que possible d’entrer sur son territoire et tente d’en envoyer le plus possible à d’autres pays.
Le gouvernement SYRIZA (« Coalition de la gauche radicale ») de la Grèce, qui l’an dernier a imposé un programme d’austérité sauvage aux travailleurs grecs à la demande de l’UE, joue à nouveau un rôle réactionnaire.
Des responsables grecs forcent les réfugiés bloqués à la frontière macédonienne à faire demi-tour vers le sud et les camps à Athènes. La couverture médiatique des camps a été stoppée depuis que le gouvernement a déployé l’armée pour les construire et surveiller les réfugiés qui y sont déjà coincés.
Après que la Grèce a pris la mesure sans précédent de rappeler son ambassadeur en Autriche pour protester contre le rôle joué par Vienne pour empêcher les réfugiés de quitter la Grèce, des divisions éclatent à présent au sujet d’un plan de déploiement sous leadership allemand de navires de guerre pour arrêter le flux des réfugiés traversant la mer Égée depuis la Turquie en direction de la Grèce.
Ce déploiement, qui menace de couper l’accès russe à la Méditerranée, a été annoncé début février dans le cadre d’un renforcement militaire plus large de l’OTAN visant la Russie à propos des crises syrienne et ukrainienne. C’était quelques semaines seulement après qu’un navire de pêche turc a presque percuté un navire de guerre russe dans la mer Égée.
S’il visait la Russie, le déploiement s’est toutefois heurté à l’escalade des divisions entre puissances de l’OTAN. La semaine dernière, les responsables de l’OTAN étaient toujours en train de déterminer les paramètres du déploiement naval, au milieu de conflits territoriaux acerbes entre la Grèce et la Turquie. Après des violations de l’espace aérien grec par des avions de guerre turcs, au cours desquelles les avions grecs et turcs se sont livrés à des simulacres de combats aériens, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a annoncé, « les forces grecques et turques n’opéreront pas dans l’espace aérien ou les eaux territoriales les unes des autres. »
Mercredi, l’AFP a cité plusieurs sources diplomatiques anonymes qui indiquaient que les autorités turques avaient bloqué le déploiement dans la mer Égée. Une source a dit que « les Turcs avaient refusé » de permettre aux navires de l’OTAN de pénétrer dans leurs eaux territoriales tant que le commandant allemand de l’opération, le contre-amiral Jorg Klein, « ne s’était pas rendu à Ankara afin de déterminer la zone où [les navires de guerre de l’OTAN] pourraient se déployer. »
La source a encore attaqué la Turquie pour « montrer peu ou pas d’intérêt » à reprendre les migrants ramassés en mer par des navires de guerre de l’OTAN alors qu’ils tentent la traversée vers la Grèce.
Des sources gouvernementales turques et allemandes ont démenti le rapport de l’AFP.
(Article paru d’abord en anglais le 4 mars 2016)