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Les électeurs suisses rejettent l’initiative xénophobe contre les réfugiés

Par Marianne Arens
2 mars 2016

L’« initiative [xénophobe] de mise en œuvre » du parti populiste d’extrême-droite Union démocratique du centre (UDC – en suisse Schweizerische Volkspartei, SVP) a été repoussée dimanche par une majorité très nette de 58,9 pour cent des électeurs. Le taux de participation a été exceptionnellement élevé par rapport à la normale suisse, avec 63,4 pour cent, le taux le plus élevé depuis 24 ans lorsque les électeurs avaient rejeté l’adhésion à l’Espace économique européen.

La défaite sans équivoque de l’initiative n’a pas seulement surpris l’UDC mais aussi les partis traditionnels et les médias. Au cours de ces sept dernières années, l’UDC était sortie trois fois vainqueur des référendums sur des initiatives xénophobes. En 2009, 57 pour cent avaient soutenu l’interdiction des minarets ; en 2010, 53 pour cent avaient voté pour « le renvoi d’étrangers criminels » ; et en 2014, 50,3 pour cent avaient voté pour l’initiative « Contre l’immigration de masse. »

L’automne dernier, des sondages d’opinion indiquaient que « initiative de mise en œuvre », qui durcit davantage l’« initiative sur le renvoi » de 2010, recueillerait plus de 60 pour cent d’avis favorables. Ce sont en particulier la campagne menée à l’échelle de l’UE contre les réfugiés et l’hystérie autour des événements survenus la nuit de Nouvel An à Cologne qui semblaient favoriser les mouvements populistes de droite.

Tous les autres partis se sont opposés à l’initiative par crainte que la Suisse ne soit isolée en entraînant des effets préjudiciables pour l’économie suisse. Cependant, comme ce fut déjà le cas lors d’initiatives précédentes de l’UDC, ils n’ont témoigné aucune opposition sérieuse à la campagne coûteuse et agressive menée par le parti qui est dirigé par l’entrepreneur milliardaire, Christoph Blocher.

Mais, un retour de bâton se développa alors au sein de la population et qui ne relevait pas du contrôle et de l’influence des partis traditionnels. Le racisme pur et dur et l’injustice de l’initiative avaient apparemment touché une corde sensible. Une fois accepté, le référendum signifiait que des étrangers seraient déportés après avoir commis deux infractions mineures sans qu’il soit nécessaire de procéder à une enquête complémentaire et sans laisser de marge d’appréciation. Ceci s’appliquerait aussi à ceux que l’on appelle les « secondos », la seconde génération d’immigrants nés en Suisse, mais ne disposant pas de passeport.

De plus en plus de jeunes gens, des étudiants, des employés et des ouvriers ont réagi pour condamner l’initiative et réclamer son rejet. Plus de 50 000 signatures ont été rassemblées en très peu de temps grâce à l’Internet et bien plus d’un million de francs suisses a été collecté pour la campagne du référendum. Le journal 20 Minuten s’est étonné : « Ces dernières semaines, il ne s’est guère passé de jour sans qu’un nouveau groupe ne dénonce l’UDC. »

Le Tages-Anzeiger de Zurich a écrit : « Les sondages d’opinion font état de 66 pour cent de votes “oui”. Tout semblait être dit. Et puis, le débat a été relancé. Il a changé parce qu’un adversaire inattendu (pour l’UDC) est apparu : la population […] Des milliers de citoyens se sont opposés à l’UDC : des avocats, des professeurs, des artistes, de jeunes libéraux. Et, non des moindres, l’opposition était constituée de l’ossature sociale de la Suisse : les spécialistes bien formés. [Fauchleuten] ».

Même Spiegel Online a remarqué : « Puis il se produisit un phénomène jamais vu auparavant : un puissant mouvement se forma à partir de la société civile […] La contre-campagne n’a pas été initiée par l’establishment politique mais par les citoyens ordinaires et les jeunes étudiants. Subitement l’UDC, qui aime normalement dire qu’elle représente le peuple, s’est vue confrontée à un massif mouvement populaire. »

Le scrutin a alors donné une image claire. À l’exception de quelques petits cantons ruraux au centre de la Suisse et du Tessin, tous les cantons ont voté « non ». Dans les villes où se trouve une forte proportion de travailleurs et d’étrangers, le taux de participation et le nombre de votes négatifs a été plus élevé que la moyenne. Dans la ville de Bâle par exemple, plus de 70 pour cent ont rejeté l’initiative, pour un taux de participation de 67 pour cent. A Genève et dans le canton de Zurich, 65 pour cent ont voté contre.

Le rejet clair et net de l’initiative de l’UDC n’empêchera cependant pas le virage à droite de la politique officielle. Depuis l’Initiative sur le renvoi en 2010, tous les partis traditionnels siégeant au parlement, dont le Parti social-démocrate (SP), ont pour l’essentiel mis en œuvre la politique de l’UDC en acceptant de modifier en mars 2015 le Code pénal. Cet amendement, qui ne s’écarte que légèrement de la toute dernière initiative de l’UDC, entrera maintenant en vigueur à sa place.

Conformément à la nouvelle loi, les « étrangers criminels » doivent aussi être rapidement déportés s’ils sont condamnés pour des délits tels « un vol en lien avec une effraction du domicile, » « un abus de l’assurance-maladie ou de l’aide sociale » ou « le mariage forcé. » Un autre délit est « le trouble de l’ordre public », ce qui dans certaines circonstances pourrait s’appliquer à la participation à une grève.

La principale différence avec l’initiative de l’UDC est que la loi prescrit un « examen des ressources », ce qui accorde au juge le pouvoir de vérifier si la personne concernée risque d’être déportée dans une situation où elle ne pourrait plus subvenir à ses besoins. De plus, une clause « doit tenir compte de la situation particulière des étrangers qui sont nés ou qui ont grandi en Suisse. »

Simonetta Sommaruga, la ministre social-démocrate de la Justice, a démontré dimanche soir, peu de temps après le vote, à quel point les partis de l’establishment partageaient des points de vue xénophobes. Elle s’adressa à des partisans de l’UDC en disant : « Si vous avez voté ‘oui’ parce que vous préconisez des lois dures à l’encontre d’étrangers criminels, alors soyez rassurés qu’il sera tenu compte de vos préoccupations dans la loi d’expulsion qui sera actée maintenant. »

L’UDC demande à ce que le nombre de déportations annuel passe d’environ 500 actuellement à 4000. La ministre de la Justice est de toute évidence prête à répondre à cette exigence.

L’UDC est d’ores et déjà en train de préparer ses prochaines initiatives xénophobes : une initiative de mise en œuvre relative à l’immigration de masse et l’initiative de la « primauté de la loi nationale sur le droit international public ». Cette initiative pourrait porter atteinte à des principes essentiels de la constitution suisse, du droit international et des droits de l’Homme.

(Article original allemand paru le 1er mars 2016)