Après les attentats de Bruxelles, les responsables attisent la haine anti-musulmane
Par Stéphane Hugues
30 mars 2016
Alors que se multiplient les révélations d’une connaissance préalable par l’Etat des attaques du 22 mars à Bruxelles, les milieux dirigeants tentent de dissimuler leur responsabilité dans des attaques ayant fait jusque là 35 morts et 340 blessés. Comme apparaît au grand jour le rôle central joué par les réseaux islamistes développés par les pouvoirs de l’OTAN dans la guerre par procuration en Syrie, les politiciens belges et français attisent la haine anti-musulmane.
Il est apparu la semaine dernière que le renseignement belge avait identifié les assaillants et leurs liens avec les milices islamistes combattant en Syrie et qu’il avait été averti des cibles et du moment de leurs attaques. Néanmoins, la police n’a pas surveillé les auteurs de l’attentat et ne les a pas appréhendés non plus alors qu’ils amassaient un énorme arsenal de fabrication de bombes et amenaient les bombes aux endroits ciblés. Des informations continuent d’apparaître sur comment le soutien de Washington et de ses alliés en Syrie aux forces islamistes a produit un réseau de combattants islamistes en Europe bénéficiant d’un niveau considérable de complicité de la part de l’État.
« Les évaluations d’espionnage de l’occident ont pendant des mois mésestimé l’ambition du groupe djihadiste à exporter la violence, » a déploré le Financial Times dans un article qui donne une estimation du nombre de combattants retournés en Europe. Sur environ 30.000 combattants étrangers ayant été en Syrie, écrit ce journal, « bien plus de 1.200 sont revenus dans les frontières de l’UE. Environ 350 en Grande-Bretagne, 250 en France (plus 250 qu’on estime être sur le chemin du retour), 270 en Allemagne, 118 en Belgique et environ 200 en Scandinavie, selon les chiffres officiels des renseignements ».
Les quelques milliers de jeunes qui rejoignent l’EI sont autorisés à aller en Syrie par les services secrets belges et leurs collègues à travers l’Europe pour y combattre dans la guerre de changement de régime par procuration. Ce sont ces gouvernements européens qui ont créé les conditions d’attaques terroristes dans leur propre pays. Au fur et à mesure que le scandale monte en Belgique sur le rôle de l’État dans les attentats, des politiciens bourgeois de toutes tendances cherchent à détourner l’attention du caractère criminel de leur politique en incitant à la haine et à la peur de la population musulmane en Europe.
En des termes qui auraient pu facilement venir du Front national néo-fasciste (FN), le ministre français de la jeunesse et des sports Patrick Kanner (Parti socialiste), a publié une dénonciation extraordinaire de Molenbeek, la zone immigrée de Bruxelles où on a trouvé le suspect en cavale des attaques de Paris, Salah Abdeslam. Comme cela a été révélé, la police belge était au courant de son adresse exacte depuis le début, bien qu’il fût soi-disant « l’homme le plus recherché d’Europe » pendant les quatre mois où il se cachait.
Parlant à i> Télé, Kanner a dénoncé Molenbeek comme « un système profondément non intégré, un système mafieux avec une économie souterraine, un système où les services publics ont presque disparu, un système où les élus ont renoncé à essayer. »
Dans des commentaires menaçant les immigrés de répression policière en France, Kanner a appliqué la même description malveillante aux quartiers immigrés dans toute la France: « Il y a aujourd’hui, comme on le sait, des centaines de quartiers en France qui présentent des similitudes potentielles pour ce qui est arrivé à Molenbeek. »
En Belgique, les membres dirigeants de la Nouvelle alliance flamande (N-VA), le parti nationaliste flamand, une des composantes du gouvernement du Premier ministre belge Charles Michel, dénoncent également les musulmans et les immigrés.
Le chef de file de la N-VA et maire d’Anvers Bart de Wever a dénoncé dans une interview à Der Spiegel « l’erreur historique » de la chancelière allemande Angela Merkel d’avoir annoncé l'an dernier que l'Allemagne accorderait l'asile aux réfugiés fuyant les guerres en Syrie, en Irak et en Afghanistan. Il a appelé l'intégration des musulmans dans la société belge un échec: « Nous ne sommes pas en mesure de leur offrir une version flamande du rêve américain. Voilà notre problème. »
En même temps, les informations ont clairement montré que le gouvernement belge a joué un rôle clé dans la protestation anti-musulmane d'extrême droite qui eut lieu à Bruxelles dimanche 27 mars.
Samedi 26 mars, le gouvernement avait annulé « La Marche contre la peur » une manifestation organisée par le Parti socialiste (PS), parti francophone qui est actuellement le principal parti d’opposition en Belgique. Le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) et le maire de Bruxelles Yvan Mayeur (PS) avaient annoncé conjointement l’annulation de la manifestation: « Compte tenu de la capacité de la police sur le terrain, et parce que la priorité va aux enquêtes judiciaires, nous aimerions vous demander de ne pas manifester demain [dimanche]. »
Dimanche, plus de 400 jeunes d’extrême-droite ont convergé sur la gare de Vilvoorde près de Bruxelles pour se rendre au square où devait avoir lieu la « marche contre la peur ». La police locale n’est pas intervenue. Les jeunes sont montés à bord d’un train à destination de Bruxelles où ils ont été accueillis à la gare par la police fédérale et locale. La police a accompagné les jeunes à la Bourse de Bruxelles, où des veillées silencieuses ont lieu tous les jours depuis les attentats.
Les jeunes ont pris le contrôle de la place en face de la Bourse et ont commencé une virulente manifestation anti-immigrés et anti-musulmane avec saluts nazis. Ceux qui participaient à la veillée ont été contraints de se réfugier sur les marches de la Bourse.
Les jeunes d’extrême-droite portaient des banderoles « Les Casuals contre le terrorisme. » Ils appartiennent à l’aile belge de « Casuals United » groupe formé à l’origine en Grande-Bretagne à partir de hooligans du football sur un programme anti-immigré et anti-musulman. Les 400 jeunes étaient attendus car ils avaient organisé leur voyage sur la page Facebook de l’organisation la semaine précédente.
Le double standard dans la gestion de l’affaire par le gouvernement Michel est évident. On a autorisé une manifestation d’extrême droite à continuer et lui a même donné une escorte policière, tandis que les organisateurs d’une manifestation PS ostensiblement contre la peur et pour la compréhension multiculturelle l’ont précipitamment annulée se pliant aux déclarations officielles qu’il n’y avait pas assez de police pour surveiller des manifestations.
Le rôle du gouvernement dans la manifestation montre l’importance des sympathies d’extrême-droite bien connues de membres du gouvernement belge et conformes à la réhabilitation du sentiment néo-fasciste entreprise en France et dans toute l’Europe.
Le ministre de l’Intérieur Jan Jambon, haut responsable de la N-VA et associé de Bart De Wever, maintient peu d’ambiguïté sur ses liens avec l’extrême droite. Interrogé en 2014 au sujet de sa participation en 2001 à une réunion de la Saint-Maartensfonds, association défendant les volontaires flamands qui ont rejoint la guerre d’agression génocidaire des nazis contre l’URSS dans la Seconde Guerre mondiale, il a dit à La Libre Belgique: « Les gens qui ont collaboré avec les Allemands avaient leurs raisons. Je ne vivais pas à l’époque. »
Puis il a qualifié d’« erreur » la collaboration belge avec le régime nazi en Belgique durant la Seconde Guerre mondiale, mais minimisa ensuite son importance – écartant la collaboration, qui comprenait la formation d’un régime fasciste en Belgique, comme une « nouvelle sans grande importance. »
(Article paru d’abord en anglais le 29 mars 2016)