Les gouvernements européens intensifient leur offensive contre les réfugiés
Par Marianne Arens
29 janvier 2016
Cette semaine, lors d’une réunion à Amsterdam, les ministres européens de l’Intérieur et de la Justice ont cherché à se surpasser les uns les autres en faisant des propositions quant à comment pourrait être stoppé l’afflux de réfugiés désespérés venant du Moyen-Orient. Aucune mesure n’a été trop brutale pour ne pas être envisagée.
Les propositions vont d’une fermeture hermétique des frontières au stationnement de troupes de Frontex, et ce même contre l’avis des gouvernements nationaux, ainsi qu’à la mise en place de camps de concentration pour des centaines de milliers de réfugiés.
La Grèce a fait l’objet d’attaques continues de la part de plusieurs ministres qui ont réclamé son expulsion de l’espace Schengen, qui garantit la libre circulation au sein de l’Union européenne, si Athènes ne réduit pas le nombre de réfugiés qui transitent par son territoire pour arriver en Europe.
Une grande partie des réfugiés du Moyen-Orient tentent une traversée périlleuse et souvent mortelle en provenance de la Turquie pour rallier les îles grecques toutes proches avant de traverser la Grèce et quitter de nouveau l’UE à la frontière avec la Macédoine. Un grand nombre d’entre eux, qui après avoir traversé la Macédoine et la Serbie, réintègrent l’UE par la Hongrie, la Croatie et la Slovénie, cherchent à entrer en Allemagne.
En dépit du froid glacial de l’hiver et d’une mer agitée, jusqu’à 2000 réfugiés continuent tous les jours de traverser la Mer Égée pour gagner les îles grecques. Selon les chiffres de l’UE, d’ici le 23 janvier, 44 000 personnes étaient déjà arrivées en 2016 en Europe depuis la Turquie en suivant ce trajet. Le nombre de réfugiés morts ou portés disparu est de 149. Dans la seule nuit du 22 janvier, 42 personnes sont mortes noyées, dont 18 enfants, en tentant cette traversée.
C’est cet itinéraire qui doit être fermé. Les ministres ont exigé un renforcement du dispositif Frontex à la frontière avec la Macédoine au nord de la Grèce tout en acceptant d’intensifier jusqu’à fin 2017 les contrôles frontaliers à l’intérieur de l’espace Schengen.
La Grèce a reçu l’ultimatum soit de réduire le nombre de réfugiés soit d’être expulsée de l’espace Schengen. À l’issue de la réunion, le ministre allemand de l’Intérieur, Thomas de Maizière, a déclaré, « Il nous faut une réduction permanente, sensible et continue du nombre de réfugiés et ceci doit être visible dans les semaines à venir. »
Il faut dire clairement, a poursuivi de Maizière, que l’agence de protection des frontières Frontex pourrait se substituer à un État-membre pour sécuriser la frontière. Le ministre allemand de l’Intérieur n’a pas exclu l’expulsion de la Grèce de l’espace Schengen. « Nous ferons pression pour que la Grèce fasse ses devoirs », a-t-il averti.
Theo Francken, le secrétaire d’État belge à l’Asile et la Migration, a soulevé la possibilité de mettre en place en Grèce un « établissement fermé » prévu pour 300 000 réfugiées et qui devrait être placé sous administration de l’UE, les « structures d’État [de la Grèce étant] manifestement trop faibles », a dit le politicien belge.
La proposition de Francken équivaut à transformer la Grèce en un camp de concentration géant avec la création d’un ghetto pour les réfugiés comparable à une ville de taille moyenne. Rien de comparable ne s’était fait en Europe depuis la fin de l’époque nazie.
La fermeture de la frontière entre la Macédoine et la Grèce avec l’aide des forces de Frontex a été soutenue par le premier ministre hongrois Victor Orban qui réclame depuis des mois l’édification d’une massive clôture à la frontière nord de la Grèce. Le premier ministre slovaque Robert Fico partageait aussi cet avis. Selon un rapport publié par le magazine allemand Der Spiegel, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie ont déjà déployé leurs propres forces de police à cette frontière et la Hongrie fournit d’importants matériaux de construction pour la construction d’une barrière permanente.
Mardi, le parlement danois a voté une loi pour confisquer les objets de valeurs des demandeurs d’asile. La police aura désormais le pouvoir de s’emparer des biens des réfugiés dont la valeur dépasse 10 000 couronnes danoises (1340 euros) afin de couvrir les frais de logement et de nourriture. La proposition initiale prévoyait de confisquer tout ce qui excédait la valeur de 3 000 couronnes. De plus, le temps que les migrants devront attendre avant de pouvoir demander à faire venir leurs familles est passé de un an à trois ans, les délais des titres de séjour provisoires ont été raccourcis et les conditions de délivrance d’un permis permanent ont été durcies.
Suite à des comparaisons faites avec les mesures prises contre les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement danois a répondu en expliquant que c’était ainsi que les citoyens danois au chômage étaient d’ores et déjà traités ! Le Danemark n’est de loin pas le seul à avoir adopté de telles mesures fascisantes.
Selon un processus similaire à celui en vigueur au Danemark, mais avec une valeur inférieure à celle de 900 euros, la Suisse avait confisqué en 2015 les biens d’une centaine de personnes. Les États du sud de l’Allemagne appliquent également déjà des mesures identiques. La Bavière confisque tous les biens excédant 750 euros et le Bade-Wurtemberg saisit les biens dépassant tout juste 350 euros.
Le gouvernement Syriza en Grèce s’était déjà plié à la volonté de l’UE en imposant de brutales mesures d’austérité à la population grecque. On lui demande maintenant d’agir avec la même brutalité contre les réfugiés.
Le ministre grec de l’Immigration Ioannis Mouzala a réagi en déclarant que certains membres de l’UE estimaient que les réfugiés devaient se noyer tandis que le ministre des Affaires étrangères, Nikos Kotzias, a clairement indiqué comprendre quelles étaient les attentes lorsqu’il s’est plaint au journal allemand TAZ, « Si nous voulons stopper les réfugiés, il faudra leur faire la guerre. Il nous faudra les bombarder, couler leurs bateaux et laisser les gens se noyer. »
Le franchissement de la frontière entre la Grèce et la Macédoine est en soi une expérience traumatisante pour les réfugiés. Les immigrants sont systématiquement intimidés et battus par la police. Un récent rapport de l’organisation allemande de défense des droits des réfugiés Pro Asyl a montré que la fermeture des frontières dans les Balkans avait des conséquences destructrices et mortelles pour les réfugiés. La réunion à Amsterdam a clairement montré que ceci était voulu et conforme aux méthodes envisagées.
Selon ce rapport, des dizaines de milliers de réfugiés ont d’ores et déjà été renvoyés en Grèce depuis la Macédoine où ils se retrouvent démunis, contraints de vivre dans la rue.
A Athènes même, il est quasi impossible de se faire enregistrer comme demandeur d’asile. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés n’a connaissance que de 1150 places d’hébergement à Athènes pour une moyenne de 10 000 demandes d’asile par an. Ceux qui ne font pas de demande d’asile risquent d’être interpellés et enfermés dans un camp de déportation grec.
Athènes a rejeté sur le gouvernement turc d’Ankara la responsabilité du nombre de personnes qui traversent la Mer Égée et le gouvernement turc a déclaré ne pas disposer de suffisamment de capacités pour sécuriser la côte entière. L’UE s’efforce depuis longtemps d’encourager la coopération turque en matière de réfugiés et a promis une aide de 3 milliards d’euros qui n’a pas encore été versée.
Actuellement, l’on compte 2,5 millions de personnes en Turquie qui ont fui les guerres au Moyen-Orient et en Afrique du nord. Seules quelque 250 000 d’entre elles se trouvent dans des camps qui existent déjà. La Turquie ne reconnaît pas totalement la Convention de Genève et les réfugiés ne peuvent pas y travailler ou envoyer leurs enfants à l’école.
Des millions de gens sont de nos jours considérés comme superflus et indésirables en Europe. Les politiciens et les journalistes débattent publiquement de la meilleure façon de dissuader, de détenir, de canaliser et de déplacer les réfugiés d’un endroit vers un autre, comme s’il s’agissait d’un fret de bétail ou de marchandises. Ils sont en fait en train de comploter contre des gens pour qui la fuite est l’unique moyen de sortir de la misère que les guerres impérialistes menées par les États-Unis et leurs alliés européens ont créées en dévastant le Moyen-Orient, l’Asie centrale et l’Afrique du Nord.
(Article original paru le 28 janvier 2016)