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Le Premier ministre italien Matteo Renzi démissionne officiellement

Par Peter Schwarz et Marianne Arens
9 décembre 2016

Le Premier ministre italien Matteo Renzi a officiellement démissionné mercredi soir, mais il restera en fonction jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement.

Renzi a remis sa démission lundi après avoir subi une défaite décisive dimanche lors du référendum sur la réforme constitutionnelle. Le président Sergio Mattarella a « gelé » la démission jusqu’à ce que la deuxième chambre du Parlement, le Sénat, ait approuvé le budget de 2017. Cela s’est passé mercredi soir.

Dès aujourd’hui, à 6 heures du matin, Mattarella mènera des pourparlers avec les chefs des deux chambres parlementaires et les dirigeants des partis les plus importants à sa résidence officielle jusqu’au samedi. L’objectif sera la formation rapide d’un gouvernement de transition. Un candidat potentiel au poste de Premier ministre est l’actuel ministre des Finances Pier Carlo Padoan, qui a des liens étroits avec l’Union européenne (UE). Le président du Sénat, Pietro Grasso, a été mentionné comme autre candidat.

Renzi a proposé la formation d’un « gouvernement de responsabilité nationale » avec l’accord des principaux partis et à défaut de tenir de nouvelles élections. Il occupe le poste de président du Parti démocratique (PD) et pourrait se présenter comme candidat principal dans les nouvelles élections.

La Lega Nord d’extrême droite, Forza Italia de Silvio Berlusconi et le Mouvement Cinq étoiles de Beppe Grillo (M5S) se sont tous prononcés contre le gouvernement technocratique proposé par Renzi. Ils demandent que de nouvelles élections se tiennent immédiatement. Matteo Salvini, chef de file de la Lega Nord, a manifesté devant le Sénat mercredi avec des pancartes disant « Voto Subito » (Nouvelles élections tout de suite).

La Loi de finance porte la marque de Bruxelles et de Berlin. Comme toutes les « politiques de réforme » de Renzi, son objectif est de restructurer les banques endettées du pays et l’énorme endettement de l’Italie au détriment de la classe ouvrière et des couches pauvres de la classe moyenne. Cette politique a déjà provoqué un désastre social pour de larges couches de la population. La production industrielle italienne a diminué de 25 pour cent depuis la crise financière de 2008, alors que le chômage des jeunes reste à près de 40 pour cent.

Lundi, le ministre de l’Intérieur, Angelino Alfano, a déclaré que des élections étaient possibles en février, même si le rejet de la nouvelle constitution fait qu’il n’y a pas de loi électorale valide. Alfano est président du Nouveau Parti de centre-droite, qui s’est séparé de Forza Italia il y a trois ans pour former un gouvernement avec le Parti démocrate (PD) de Renzi.

Selon les médias, le président Mattarella considère que de nouvelles élections sont « inconcevables » si la loi électorale n’est pas modifiée à l’avance, car il existe deux systèmes électoraux complètement différents pour les deux chambres parlementaires. Pour la Chambre des représentants, la loi « Italicum » controversée s’applique, qui fut adoptée en été et garantit que le plus grand parti recevra une majorité des sièges. La Cour constitutionnelle est appelée à statuer sur la constitutionnalité de cette disposition le 24 janvier. En revanche, un système de représentation proportionnelle s’applique au Sénat, ce qui profite aux petits partis. La réforme constitutionnelle qui a échoué proposait de supprimer en grande partie cette chambre.

Mais ce ne sont pas seulement des considérations constitutionnelles qui encouragent le président à chercher la formation d’un gouvernement de technocrates plutôt que de réclamer de nouvelles élections. Malgré des rapports officiels rassurants, le système financier italien est en pleine crise. Les banques ont 360 milliards d’euros de prêts douteux et doivent augmenter considérablement leur capital. L’indice bancaire italien a baissé de 47 pour cent depuis le début de l’année. Peu de temps après l’annonce du résultat du référendum, les taux d’intérêt sur la dette du gouvernement italien sont montés temporairement.

D’importantes institutions financières internationales avaient promis de l’aide avant le référendum si la réforme constitutionnelle était un succès. Le renforcement prévu du pouvoir exécutif aurait facilité la restructuration des banques aux dépens de la classe ouvrière. Après l’échec du référendum, les institutions financières internationales ont retiré leurs promesses de capital.

La plus ancienne banque du monde, la Monte dei Paschi de Sienne, est confrontée à un danger imminent. Elle a obtenu le plus mauvais score possible lors de l’examen de son bilan par l’UE en juillet et nécessite d’urgence une injection de capital de 5 milliards d’euros, ce qui a été remis en cause avec le rejet de la réforme constitutionnelle.

On demande donc à un nouveau gouvernement d’empêcher une crise bancaire incontrôlée. Les intérêts financiers internationaux exercent une pression immense dans les coulisses et s’attendent à ce que le futur gouvernement – quelle que soit sa composition – participe au sauvetage des banques à hauteur de milliards d’euros. Mais cela pourrait le mettre en conflit avec les règlements de l’UE.

Le Sénat a donc approuvé le budget par 173 voix contre 108 mercredi. Le budget contient les mêmes politiques que la majorité des Italiens ont rejetées dans le référendum de dimanche. Cela revient à intensifier la politique de coupes sociales de Renzi.

La crise sociale prend des formes toujours plus terribles. Selon les derniers chiffres publiés le 5 décembre par l’agence statistique Istat, 17,5 millions de personnes sont au seuil de pauvreté ou proche, soit un résident sur quatre. La moitié de toutes les familles de trois enfants ou plus à leurs niveaux de revenus actuels ne sont plus en mesure de subvenir aux besoins fondamentaux de la vie, comme des repas réguliers, un toit et des soins médicaux.

Un nombre croissant de jeunes quittent l’Italie pour chercher du travail ailleurs : 147 000 personnes ont émigré l’année dernière ; Soit une augmentation de 8 % par rapport à 2014.

Les partis de droite qui ont mené la campagne contre la réforme constitutionnelle insistent sur des élections immédiates. Le Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo et la Lega Nord d’extrême droite estiment que le rejet du référendum leur donne l’occasion de prendre le pouvoir. Forza Italia, le parti de l’ancien Premier ministre Silvio Berlusconi, a également appelé à des élections anticipées.

Le rejet massif de la réforme constitutionnelle a été principalement un vote contre cette politique. La plupart des observateurs s’attendaient à la défaite de Renzi, mais avec un résultat plus serré. Ils se sont bien trompés. Avec une participation des électeurs de 68 pour cent, élevée pour l’Italie, 19,4 millions d’électeurs ont voté contre la réforme constitutionnelle et seulement 13,4 millions ont voté en faveur.

Le résultat a été fortement influencé par le niveau d’inégalité sociale en Italie. Le Sud pauvre a voté non aux deux tiers. Parmi les 20 régions du pays, seules trois relativement aisées ont voté oui : le Trentin-Haut-Adige, l’Émilie-Romagne et la Toscane.

Le résultat a été encore plus net chez les jeunes électeurs âgés de 18 à 34 ans. Cette couche a voté à 68 pour cent contre et à 32 pour cent pour la réforme, bien que Renzi ait essayé d’afficher sa jeunesse relative (41 ans) et la proportion élevée de femmes dans son cabinet pour séduire les électeurs plus jeunes. Les jeunes sont parmi les principales victimes des réformes de Renzi. Près de 40 pour cent sont au chômage, tandis que le reste vivote à peine avec des emplois précaires ou cherche du travail à l’étranger.

Parmi les 35 à 54 ans, les votes « non » ont dépassé les oui par 63 contre 37 pour cent. C’est seulement chez les couches de plus de 54 ans que les votes « oui » ont prédominé, avec 51 pour cent de soutien.

Dans les villes de Rome, Milan, Turin et Bologne, le vote a également suivi le gradient social. Alors que le vote « oui » dans les centres a dépassé celui des « périphéries », les banlieues économiquement négligées et délabrées ont voté principalement « non ».

Spiegel Online a commenté : « La forte participation au référendum et la ligne claire antigouvernementale montrent une chose avant tout : les Italiens sont extrêmement mécontents de leur État, de leurs autorités, de leur vie. Et comme ils l’ont fait dans de nombreux pays, “la mondialisation économique a également divisé la société italienne en une minuscule couche de gagnants et une grande couche de perdants” ».

Les représentants de l’UE et du gouvernement allemand sont clairement préoccupés par la démission de Renzi, mais ont réaffirmé en même temps qu’ils s’en tiendraient à leur programme d’austérité. La chancelière Angela Merkel a dit qu’elle était « triste » au sujet des résultats du référendum, mais que l’Europe s’en tiendrait encore à son cours. « De mon point de vue, nous continuerons notre travail en Europe, et nous avons fixé les bonnes priorités ».

Dans les milieux d’affaires, il y a de plus en plus de craintes que la défaite de Renzi annonce la fin de l’euro et de l’Union européenne. Ulrich Grillo, président de la Fédération allemande de l’industrie (BDI), a déclaré : « Le risque d’une nouvelle instabilité politique augmente pour le développement économique, les marchés financiers et l’union monétaire ».

Le Centre pour la recherche en économie et en affaires considère que la possibilité que l’Italie reste dans la zone euro pour les cinq prochaines années à venir est petite. Selon le cabinet britannique d’études économiques, le référendum a montré que les électeurs italiens ne toléreraient pas indéfiniment le chômage chronique, les salaires stagnants et l’austérité imposée par Bruxelles qui accompagne le fait d’être membre de l’euro. « Il ne fait aucun doute que l’Italie pourrait rester dans l’euro si elle était prête à payer le prix de la croissance pratiquement nulle et de la consommation déprimée pendant encore 5 ans ou plus. Mais c’est demander beaucoup à un électorat de plus en plus impatient. Nous pensons que les chances de maintenir cette politique sont inférieures à 30 pour cent ».

De plus, dans le Financial Times, Gideon Rachman met en garde, « Le projet européen est sous une tension sans précédent. La décision de la Grande-Bretagne de partir est la preuve la plus frappante de cela. Mais, à long terme, la crise qui se déroule en Italie pourrait constituer une menace encore plus grave pour la survie de l’UE. Les raisons en sont politiques, économiques et même géographiques ».

L’UE est un instrument réactionnaire des plus puissants intérêts économiques et financiers européens. Elle est responsable d’attaques impitoyables contre la classe ouvrière, de la fermeture brutale des frontières contre les réfugiés et du militarisme croissant. Mais il existe un risque considérable que les organisations de droite exploitent l’opposition généralisée à l’UE et la dirigent dans une direction réactionnaire et nationaliste. Le soutien de l’Union européenne et de ses politiques d’austérité par les sociaux-démocrates, les syndicats et leurs partisans de pseudo-gauche a créé un vide politique que l’extrême droite cherche à combler.

(Article original paru le 8 décembre 2016)