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Crime de guerre à Kunduz: le gouvernement PS ne dit mot

Par Francis Dubois
19 octobre 2015

Depuis près de deux semaines, le gouvernement PS de Hollande et Valls maintient un silence assourdissant sur l’atrocité commise par l’aviation américaine contre un hôpital de l’ONG Médecins sans Frontières (MSF) à Kunduz en Afghanistan. Alors que MSF a lancé une campagne pour une commission d’enquête indépendante du Pentagone et du gouvernement afghan, soutenue au plan international par de nombreuses ONG, ce silence est pour le moins remarquable.

L’attaque de l’hôpital dans la nuit du 3 au 4 octobre a fait, dans des conditions atroces, au moins 22 morts et de nombreux blessés parmi le personnel de MSF et les patients de l’hôpital. (Voir: Les responsables américains cherchent à contenir les retombées du massacre de Kunduz ) Depuis, MSF a cessé ses activités à Kunduz et l’hôpital qui dessert cette ville de 300.000 habitants, maintenant une zone de guerre, a été fermé.

Le silence du PS sur cette atrocité est d’autant plus frappant que MSF est une ONG française à l’origine. Bernard Kouchner, le co-fondateur de MSF a été longtemps membre du PS, ministre de nombreux gouvernements sous François Mitterrand et Lionel Jospin. La semaine dernière, Kouchner a condamné l’attaque de l’hôpital et l’a qualifiée de crime de guerre et de « violation inacceptable » des droits humains les plus fondamentaux.

Le bombardement délibéré de l’hôpital de Kunduz par les Etats-Unis a produit une vague de protestations dans le monde entier. MSF a qualifié l’acte de « crime de guerre », d’attaque contre la convention de Genève et le Droit international et réclame la tenue d’une enquête dans le cadre de la Commission humanitaire internationale.

Le haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a lui aussi qualifié l’acte de crime de guerre.

Si les médias français ont rapporté l'attaque sans condamnation, beaucoup de leurs lecteurs ont exprimé leur colère. On pouvait lire en bas d’articles de la presse à grand tirage des commentaires comme: « Quant au gouvernement français silencieux, il en est écoeurant » ou encore « On attend toujours le soutien du gouvernement français à une ONG française, Prix Nobel de la paix, intentionnellement bombardée par l'armée de l'air US », et « Hollande ne dit mot. Qui ne dit mot acquiesce ».

Pour faire cesser le tollé soulevé par l’attaque, le gouvernement Obama est allé jusqu’à présenter des « excuses sincères » à MSF, puis il a proposé d’indemniser les victimes, deux gestes rejetés par MSF.

Le gouvernement PS lui, a jusqu'ici choisi de maintenir le silence le plus complet sur le dossier. Il a ignoré la demande de commission d’enquête soutenue, depuis le 12 octobre, par plus d’une vingtaine d’organisations caritatives internationales dont Oxfam, Save the children et Christian Aid, qui ont demandé aux Nations Unies de s’engager à la tenue d’une investigation « sans délais ».

Derrière le silence du gouvernement PS se trouve sans aucun doute une énorme dose de lâcheté. Hollande et ses ministres sont capables de sévir contre des Africains faiblement armés dans des pays appauvris ou encore de faire arrêter au petit matin et jeter en prison une poignée de travailleurs qui ont exprimé leur colère face aux attaques du patronat à Air France. Mais contre un interlocuteur plus fort, tel que Washington, ils se montrent serviles jusqu’à l’abaissement.

Cependant, ces caractéristiques personnelles des dirigeants français émergent dans un contexte politique et historique précis et de causes matérielles plus larges. Hollande et son gouvernement ne veulent en aucun cas permettre qu’une investigation et par conséquent une discussion sur ce crime particulier ne porte l’attention sur les pertes massives causées par les guerres qu’ils mènent dans le monde.

Ce crime est un exemple particulièrement atroce de la brutalité avec laquelle les puissances impérialistes cherchent à terroriser les pays occupés et à écraser toute opposition. Le 6 octobre, le WSWS écrivait: « Une telle atrocité est censée envoyer un message : toute personne qui aiderait un ennemi des forces d’occupation américaines en Afghanistan va mourir. L’attaque est une preuve de plus pour de futurs procès pour crimes de guerre. Au cours de sept années de mandat, l’Administration Obama a dépassé les atrocités commises par son prédécesseur. »

Les dirigeants français ne veulent pas qu’une discussion de cet événement ne conduise à un examen du bilan de la violence impérialiste déchaînée dans de nombreuses guerres impérialistes depuis la dissolution de l'URSS, il y a maintenant un quart de siècle.

Le gouvernement Hollande se tait aussi parce qu’il craint que l'investigation d'un tel acte de barbarie jette le discrédit sur un des prétextes les plus utilisés pour justifier les guerres impérialistes des deux dernières décennies, depuis la guerre du Kosovo contre la Serbie à celle de Syrie qui fait rage actuellement, en passant par l’Afghanistan, l’Irak, la Somalie, la Libye, et le Mali : la guerre « humanitaire ».

Selon Obama et Hollande, les pays impérialistes interviennent pour défendre les Droits de l’homme et de la cause humanitaire. La destruction délibérée de l’hôpital de Kunduz montre au contraire qu'équipé d'armes bien plus performantes que ses opposants en Afghanistan, les armées des puissances de l'OTAN veulent établir par la terreur leur loi dans les pays occupés.

En outre, le gouvernement PS, comme d’autres en Europe et dans le monde, se sert des guerres pour exporter la violence grandissante de la société. Il y a recours pour essayer de stabiliser, même si c’est temporairement, une société capitaliste déchirée par des contradictions de plus en plus impossibles à maîtriser. Le chef de l'État, comme le répètent à l'envi ses conseillers dans les médias français, se sent plus à l'aise en lançant une guerre ou une opération de police, qu'en discutant sa politique intérieure, c'est-à-dire des mesures d'austérité largement haïes.

Quand un acte comme celui de Kunduz vient montrer à l’opinion l’extrême violence et la barbarie de ces guerres, la première crainte du PS est que ce « mécanisme », qui est un ingrédient critique de sa politique, ne se grippe.