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Obama et Castro au sommet de l'OEA

Par Bill Van Auken
15 avril 2015

La rencontre entre le président américain Barack Obama et son homologue cubain Raul Castro au Sommet des Amériques à Panama le week-end dernier a été presque universellement qualifiée d'« historique » dans les médias.

Malgré les commentaires copieux des médias il y a eu peu de discussion sur la signification réelle de la rencontre entre les deux chefs d'Etat. La première rencontre entre leaders des deux pays depuis près de six décennies a été une étape importante du retour de Cuba dans la sphère d'influence de l'impérialisme américain, un processus qui a l’entière approbation du régime castriste.

L'attitude servile du gouvernement cubain envers l'impérialisme américain s’est clairement exprimée dans le discours de Raul Castro au sommet. Celui-ci a couvert Obama de louanges obséquieuses. Il l’a qualifié d'« homme honnête» dont les attitudes avaient été formées par ses « humbles débuts » ajoutant qu'il avait profondément étudié la question avant d'exprimer cette opinion. Il a mentionné le nom d’Obama dix fois dans un discours qui a duré 49 minutes.

Passant en revue les décennies d'agression américaine contre Cuba, Castro a imploré son « pardon » à Obama et déclaré qu '« il [Obama] n'est aucunement responsable de tout cela ».

A entendre le portrait lincolnien dressé par Castro du 44e président des Etats-Unis on a de la peine à croire qu’il s’agit de l’homme qui a présidé à des guerres illégales, aux assassinats par drones, à la surveillance de masse à l'intérieur du pays comme à l'étranger et à des complots ayant pour but des coups d'Etat et des opérations de changement de régime, entre autre au Honduras, au Venezuela et en Ukraine. Obama s'est distingué comme l’indéfectible porte-parole de l’appareil militaire et du renseignement américain.

Son tournant vers une « normalisation » des relations avec Cuba reflète cette conclusion, tirée par des secteurs dominants de l'establishment de Washington, que l'impérialisme américain peut mieux faire avancer ses intérêts dans la région en laissant tomber son blocus prolongé et en comptant sur une pénétration de la nation insulaire par les capitaux américains dans le but d’y créer les conditions d’un retour de Cuba au statut de semi-colonie américaine.

Outre sa rencontre avec Obama, Castro a eu des discussions avec Thomas Donahue, président de la Chambre de commerce américaine. Donahue a longtemps été un porte-parole de premier plan des intérêts capitalistes américains voulant retourner à Cuba pour y exploiter la population et les ressources.

Du point de vue des intérêts plus généraux de l'impérialisme américain, le rapprochement avec Cuba est en grande partie motivé par le désir de mettre fin à une politique qui a causé de l’irritation dans les relations de Washington avec les autres nations sur un continent qu'il avait jadis proclamé être son « arrière-cour ».

Les relations des États-Unis avec l'Amérique latine préoccupent de plus en plus la classe dirigeante dans des conditions où la Chine est en train d’y supplanter les Etats-Unis comme principal partenaire commercial et investisseur. Elle est déjà numéro un au Brésil, au Chili, en Argentine, au Venezuela et au Pérou, et Pékin s'est engagé à investir un montant supplémentaire de $250 milliards sur le continent au cours de la prochaine décennie.

Cette baisse du poids relatif du capitalisme américain dans la région s’est exprimée dans le déclin de l'importance politique de l'Organisation des États américains, basée à Washington et qui organise le Sommet des Amériques. Après le dernier sommet il y a trois ans à Cartagena, en Colombie, plusieurs pays, dont la Colombie, la plus proche alliée de Washington, ont averti que si Cuba n'assistait pas à la prochaine session, ils n’y assisteraient pas non plus.

La présence de Castro au sommet de Panama et l’accolade donnée à Obama ont lancé une bouée de sauvetage à une organisation que son frère Fidel dénonçait, il y a une décennie seulement, comme « une institution corrompue, putride et nauséabonde » qui n’avait fait qu'« humilier l'honneur des nations d'Amérique latine ».

Sous-tendant ce changement de politique il y a des intérêts matériels précis de la couche dirigeante cubaine, bien décidée à s’accrocher à ses privilèges et au pouvoir, dans l’espoir de préserver l’Etat comme interlocuteur et comme sous-traitant de main d’œuvre bon marché pour le capital étranger.

Le rapprochement du gouvernement cubain avec l'impérialisme en dit long sur la nature du régime et de la révolution qui l’a porté au pouvoir en 1959. Pendant des décennies, les nationalistes de gauche en Amérique latine et les radicaux petit-bourgeois d’Europe et d’Amérique du Nord avaient présenté la révolution nationaliste dirigée par Fidel Castro comme une voie nouvelle vers le socialisme et déclaré qu’elle avait créé un Etat ouvrier à Cuba.

La plus pernicieuse de ces théories a été élaborée par le pablisme, une tendance révisionniste qui a rompu avec la Quatrième Internationale dans les années 1950. Cette tendance insistait pour dire que la révolution socialiste n’avait plus besoin de l'intervention active et consciente de la classe ouvrière, dirigée par un parti trotskyste. Elle pouvait selon lui être réalisée au moyen « d'instruments émoussés », y compris par de petites bandes de guérilleros menant une lutte armée contre l'Etat, les travailleurs étant réduits à un rôle dépassant tout juste celui de spectateurs passifs.

La promotion du castrisme et de la théorie de la guérilla a eu un impact politique catastrophique en Amérique latine. Elle a servi à détourner des secteurs révolutionnaires de la jeunesse de la lutte pour développer un parti révolutionnaire dans la classe ouvrière et les a poussés dans un combat armé suicidaire contre l'Etat. Des milliers de personnes sont mortes dans ces campagnes sans espoir, ouvrant la voie à la prise du pouvoir par une série de dictatures militaires brutales.

Le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) a mené une lutte implacable contre cette perspective rétrograde. Il a rejeté l’affirmation selon laquelle les nationalisations du régime castriste et les réformes sociales avaient conduit à un Etat ouvrier ou signalaient une nouvelle voie vers le socialisme. Au contraire, le CIQI a insisté pour expliquer que le régime cubain représentait une des variantes les plus radicales des régimes nationalistes bourgeois ayant accédé au pouvoir dans un certain nombre d'anciens pays coloniaux au cours de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale.

Incapable de résoudre les problèmes historiques de Cuba, un sous-développement et une dépendance qui étaient l'héritage du colonialisme et de l'oppression impérialiste, le gouvernement de La Havane s’est fortement appuyé sur les subventions soviétiques. Celles-ci se sont taries avec la dissolution de l'URSS par la bureaucratie stalinienne de Moscou.

Par la suite, le régime cubain s’est maintenu à flot grâce à l'approvisionnement en pétrole bon marché du Venezuela et de l'investissement de capital en provenance d'Europe, de Chine, de Russie, du Canada et du Brésil. Il recherche à présent son salut dans un retour de l'impérialisme américain; la boucle est bouclée.

Cette évolution politique est une puissante confirmation de la théorie de la Révolution permanente de Trotsky défendue par le CIQI. Celle-ci a établi que la lutte pour la libération des pays opprimés coloniaux et semi-coloniaux ne pouvait être réalisée que si la classe ouvrière prend la tête de la révolution et instaure son propre Etat et si la révolution socialiste est étendue au plan international.

Cette perspective et l'assimilation des leçons amères de l'expérience historique prolongée faite avec le castrisme sont décisives pour la construction de nouveaux partis révolutionnaires de la classe ouvrière dans toute l'Amérique latine et à Cuba même où le virage vers le capitalisme américain va inévitablement conduire à une aggravation de l'inégalité sociale et à une intensification de la lutte des classes.

(Article original paru le 14 avril 2015)