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Meurtres policiers et domination de classe en Amérique

Par Andre Damon
11 août 2015

Le règne de violence policière aux Etats-Unis a fait 16 victimes de plus au cours du week-end.

Vendredi 7 août, Christian Taylor, un jeune noir de 19 ans, non armé, a été tué à Arlington au Texas par un policier qui a ouvert le feu sur lui à quatre reprises. Le policier, Brad Miller, qui n’a pas été blessé, a été mis en congé administratif.

Le même jour, Matthew Russo, un jeune homme de 26 ans, blanc, mourrait à Hartford, dans l’Etat de Connecticut, après qu’un agent de police réagissant à une « perturbation d’ordre médical » lui ait appliqué un choc électrique au moyen d’un Taser.

Il y a un peu plus d’une semaine, Zachary Hammond, un jeune blanc de 19 ans, était abattu sur une aire de stationnement à Seneca, en Caroline du sud. C’était son premier rendez-vous et le passager de sa voiture mangeait un cornet de glace. Une autopsie indépendante a révélé qu’Hammond avait été frappé de côté par une balle contredisant les affirmations policières selon lesquelles il avait essayé de percuter un agent de police.

Ce ne sont là que les derniers d’une suite sans fin d’incidents au cours desquels des travailleurs et des jeunes non armés, ne représentant aucun danger pour la police, sont abattus, choqués au Taser ou battus à mort. La police fait de son mieux pour dissimuler les faits, souvent en mentant dans leurs procès-verbaux.

Tant de personnes non armées ont été tuées par la police ces derniers mois qu’il est impossible d’en faire la liste complète. Un an s’est écoulé depuis que Michael Brown, âgé de 18 ans, a été abattu par le policier Darren Wilson à Ferguson, Missouri. Depuis, 1.144 personnes ont été tuées par la police, soit plus de trois par jour. A titre de comparaison, moins de 10 personnes sont tuées en un an par la police en Allemagne et moins de trois en Grande-Bretagne.

L’establishment politique, mené par le gouvernement Obama, a réagi à l’opposition populaire grandissante face aux brutalités policières en faisant comme s’il était préoccupé et en aidant en même temps à protéger la grande majorité des policiers meurtriers des poursuites criminelles. Il a aussi veillé à ce que la machine à tuer continue de tourner.

En dépit des protestations massives ayant éclaté l’an dernier, le rythme des gens tués par la police aux Etats-Unis s’est accéléré. Depuis le début de cette année, cette guerre intérieure a fait 705 victimes, 45 de plus que l’an dernier à la même date.

Comment s’explique la régularité des meurtres policiers aux Etats-Unis? Pourquoi ce qui est une ignominie nationale et ridiculise la prétention de l’Amérique à être un flambeau de la démocratie, résiste-t-elle autant à l’opposition populaire?

Dans la mesure où la question de la violence policière est débattue au sein de l’establishment politique, elle est universellement présentée comme une question de rapports entre les races, où des policiers blancs tuent des noirs. S’il ne fait aucun doute qu’on encourage chez les agents de police des sentiments racistes et d’autres sentiments arriérés, cette explication officielle ignore le fait que selon une étude du Guardian, près de deux fois plus de blancs que de noirs ont été tués cette année par la police.

L’accent mis sur la race vise à obscurcir les questions plus fondamentales en cause ici. Dans son ouvrage essentiel L’Etat et la Révolution, le dirigeant révolutionnaire et théoricien marxiste russe Vladimir Lénine a écrit que le « pouvoir d’Etat » consistait à la base en « détachements spéciaux d’hommes armés disposant de prisons, etc. »

L’Etat, a-t-il souligné, est fondamentalement « le produit et la manifestation de ce fait que les contradictions de classes sont inconciliables. » Lénine, citant Friedrich Engels, remarque que la force publique « se renforce à mesure que les contradictions de classe s’accentuent à l’intérieur de l’Etat. »

Si on observe la société américaine de l’extérieur, comme un docteur observerait un patient, on en conclura que l’Etat, dont la police et l’armée, est dangereusement élargi et enflammé. Les symptômes du désordre comprennent non seulement la brutalité policière systématique mais aussi le système carcéral démesuré et un appareil de renseignement qui espionne les opinions et les communications de tous les Américains, pratique la torture et commet des assassinats, et un appareil militaire qui domine de plus en plus la vie politique du pays.

L’Etat américain est dirigé par un président qui se plait à ordonner des assassinats extra-judiciaires, dont ceux de citoyens américains, et qui se vante d’avoir fait disparaître des gens grâce au programme d’assassinat par drone. Des millions de vies ont été sacrifiées à la campagne menée par la classe dirigeante américaine pour dominer le monde, y compris dans les sept pays où Obama a autorisé l’action militaire, comme il l’a fièrement dit la semaine dernière.

On fait de plus en plus directement subir à la population laborieuse du pays la violence et la barbarie infligées aux victimes de l’impérialisme américain à l’étranger.

La croissance du militarisme va de pair avec la métastase de l’inégalité sociale aux Etats-Unis, favorisée par des décennies de désindustrialisation, de financiarisation et d’attaque du niveau de vie, qui n’ont fait que s’amplifier sous le gouvernement Obama.

Depuis la récession fabriquée de 1980-1982 et la répression de la grève des contrôleurs aériens en 1981, la classe ouvrière a été durant trois décennies et demie la cible d’attaques sans relâche en Amérique. Durant cette période, l’élite capitaliste dirigeante est passée de l’investissement productif à la casse des usines, à la réduction drastique des salaires et des retraites des travailleurs alors qu’elle-même amassait des fortunes personnelles de plus en plus immenses grâce à la spéculation financière.

En conséquence, le nombre des emplois manufacturiers a diminué de près de moitié aux Etats-Unis, passant de près de 20 millions à sa période de pointe en 1985 à 12 millions actuellement. Cette désindustrialisation a transformé de vastes zones de villes comme Detroit, Baltimore, St Louis et Philadelphie en cimetières industriels.

Dans ces quartiers dévastés où le taux de chômage dépasse parfois 50 pour cent et plus encore chez les jeunes, la police opère quasiment comme des escadrons de la mort. Composée surtout d’éléments parmi les plus arriérés de la société et encouragée à ressentir de la haine et de la colère à l’égard des travailleurs et des jeunes, la police commet tous les jours des actes de violence, de brutalité et d’intimidation et interprète toute réticence à obéir comme un permis de tuer.

L’oligarchie financière américaine n’a pas de solution à la misère et à l’inégalité immenses qui dominent la société américaine. Comme toute classe sociale historiquement condamnée, elle se tourne de plus en plus ouvertement vers la violence et la répression pour défendre son pouvoir.

(Article original paru le 10 août 2015)