Loi martiale de fait à Ferguson, Missouri
Par Barry Grey
21 août 2014
L’Etat du Missouri a réagi, avec le plein appui du gouvernement Obama, aux protestations continues contre le meurtre par la police de Michael Brown, jeune adolescent afro-américain, en imposant de fait la loi martiale à Ferguson, une ville à grande majorité ouvrière.
Les habitants ont été dépouillés de leur droit, garanti par la constitution, de se réunir, des journalistes ont été arrêtés ou bannis en violation de la liberté de la presse et des points de contrôle policiers ont été mis en place aux principaux carrefours. Une force gigantesque composée de véhicules militaires, d’hélicoptères, des grenades assourdissantes, du gaz lacrymogène, des équipes SWAT brandissant des armes d’assaut et des policiers locaux assistés d’agents de la garde nationale a été déployée pour intimider, terroriser et écraser les protestations sociales.
Lundi soir, la répression contre des manifestants, pacifiques pour l'écrasante majorité, demandant justice pour le meurtre de Brown, a été intensifiée. Soixante-dix-huit personnes ont été arrêtées apparemment pour refus d’obtempérer aux ordres de dispersion donnés par la police, ce pourquoi il n’existe aucun fondement juridique ou constitutionnel.
L’ampleur de la répression est fortement disproportionnée par rapport à la menace présumée de ce que les autorités appellent des « éléments criminels. » Lors d’une conférence de presse mardi à 14 heures 20, le capitaine de la police de la route du Missouri (Missouri Highway Patrol), Ron Johnson, qui a été chargé la semaine passée par le gouverneur démocrate, Jay Nixon, des opérations sécuritaires, n’a pu que signaler deux armes de poing, un cocktail Molotov et quelques bouteilles d’eau que la police aurait saisis pour justifier la répression brutale de cette nuit et les interpellations de masse. Il a conseillé aux « manifestants pacifiques » de rester chez eux la nuit de mardi pour que la police puisse identifier comme « agitateurs extérieurs » tous ceux se trouvant dans les rues et les arrêter.
Le recours arbitraire et disproportionné à la force caractérise l’ensemble de la crise. Brown, qui ne portait pas d’arme a été abattu de six balles tirées à bout portant. Les protestations pacifiques organisées par les habitants indignés ont été réprimées dans une opération de type militaire, des arrestations de masse, l’instauration de l’état d’urgence et l’imposition de ce qui est l’équivalent de la loi martiale.
Comme le montrent les reportages vidéo (video reports) mis en ligne sur World Socialist Web Site, les habitants de Ferguson sont en train de faire le lien entre cette occupation militaire et policière de leur ville et le recours par le gouvernement des Etats-Unis à des méthodes similaires en Irak et en Afghanistan. Ils soulignent l’hypocrisie de la prétention de Washington de défendre les droits démocratiques et humains au Moyen-Orient et en Asie centrale tout en réagissant sur le plan intérieur au moindre signe d’opposition sociale avec les mêmes moyens antidémocratiques et brutaux qu’ils avancent comme étant la raison pour le renversement de gouvernements étrangers.
C’est précisément ce que le WSWS faisait remarquer quelques jours à peine avant le meurtre par la police de Brown. Dans une chronique du 5 août intitulée « Le massacre à Gaza: un avertissement à la classe ouvrière internationale », le WSWS écrivait : « Le massacre israélien à Gaza est annonciateur des mesures qui, dans chaque pays, seront employées contre la résistance de la classe ouvrière contre la guerre, le militarisme et le programme d’austérité. Les méthodes développées durant les dix ans de guerres menées par les États-Unis en Afghanistan et en Irak pour terroriser des populations hostiles seront également utilisées contre les travailleurs luttant pour la défense de leurs emplois, leur niveau de vie et leurs droits démocratiques fondamentaux. »
Le recours à des méthodes d’Etat policier à Ferguson est l’aboutissement de la décrépitude prolongée de la démocratie américaine. Ce processus était entré dans une nouvelle phase avec le vol des élections présidentielles de 2000. Il s'était accéléré après le 11 septembre et l’instauration de la soi-disant « guerre contre le terrorisme. » Dès le début, cette fausse guerre a été utilisée pour justifier le déclenchement de la guerre impérialiste à l’étranger et une attaque implacable contre les droits démocratiques aux Etats-Unis mêmes.
Ces 13 dernières années l’on a observé un renforcement massif des pouvoirs de répression de l’Etat aux dépens des droits démocratiques, et qui résulte aujourd’hui dans l’existence d’un Etat policier en puissance. Après la loi USA Patriot Act, qui autorise l’élargissement effréné de l’espionnage de la population américaine et du monde par le gouvernement, il y a eu la mise en place du Département pour la sécurité intérieure (Homeland Security Department) qui coordonne et finance, aux côtés du Pentagone, la transformation de la police locale en forces paramilitaires anti-insurrectionnelles. Le Northern Command [Commandement Nord américain, NORTHCOM], le tout premier commandement militaire à couvrir le territoire des Etats-Unis, a été constitué.
Ces innovations sont allées de pair avec d’innombrables études et projets développés par l’armée et les agences de renseignement ainsi que des groupes de réflexion en vue de la guerre urbaine et répression de masse afin d’écraser les protestations sociales aux Etats-Unis. Les attentats du Marathon de Boston en 2013 ont servi d’occasion pour tester de tels projets. Pour la première fois de l’histoire américaine, une grande région urbaine fut bouclée par l’armée et la police et les libertés civiles effectivement suspendues. L’absence de toute protestation significative de la part d’une section quelconque de l’establishment politique ou médiatique a confirmé l’effondrement de tout engagement envers la démocratie de la part de la classe dirigeante.
L’attaque contre les droits démocratiques qui a eu lieu sous George W. Bush a été accélérée sous Barack Obama. L’actuel président a non seulement protégé de poursuites judiciaires les auteurs des programmes de torture et du goulag de Guantanamo, mais il a aussi fait valoir son droit d’emprisonner indéfiniment et même d’assassiner des citoyens américains sans suivre les procédures normales et a reconnu l’avoir fait.
La force motrice derrière ces préparatifs avancés en faveur d’un Etat policier est l’immense intensification de l’inégalité sociale. Une élite patronale et financière quasi criminelle, qui s’enrichit sur la base d’activités spéculatives de nature parasitaire tout en détruisant parallèlement l’infrastructure industrielle et les emplois payés convenablement, s’arroge une part de plus en plus grande de la richesse nationale. Cette forme de criminalité est indissolublement liée à une politique étrangère criminelle fondée sur l’agression, la guerre et le pillage.
Chaque revendication démocratique et sociale de la classe ouvrière va à l'encontre des intérêts sociaux de cette nouvelle aristocratie. Celle-ci considère chaque manifestation de protestation sociale comme une menace pour ses intérêts et doit donc être immédiatement détruite.
L’énorme appareil du renseignement, de l’armée et de la police, qui n’a de comptes à rendre à personne pour ses actes et qui a été renforcé au fil des ans, opère comme le garant des intérêts de cette élite capitaliste criminelle. Une analyse politique des événements survenus à Ferguson doit débuter non par la rhétorique creuse et hypocrite d’Obama et des autres politiciens, mais par une analyse de ce qu’ils font. Dans l’intérêt de l’oligarchie financière qu’ils servent, ils mobilisent la brutalité répressive de l’Etat pour terroriser la classe ouvrière de Ferguson tout en créant un précédent qui sera utilisé dans toutes les villes du pays.
Telle est la réalité de l’Amérique. Ce n’est pas un hasard si le pays socialement le plus inégal des pays industrialisés avancés est aussi le plus antidémocratique. La cause première est le système capitaliste lui-même qui est incapable de satisfaire les besoins fondamentaux de la classe ouvrière, c'est-à-dire de la vaste majorité de la population.
(Article original paru le 20 août 2014)