Les leçons politiques à tirer de l’affaire Leonarda
Par Peter Schwarz
25 octobre 2013
« L’affaire Leonarda » a mis à nu les conditions sociales et politiques qui règnent en France. L’arrestation et la déportation d’une collégienne rom de 15 ans, Leonarda Dibrani, par le gouvernement du président François Hollande et les manifestations étudiantes qui ont suivi, révèlent le gouffre qui existe entre tous les partis de l’establishment politique et les sentiments ressentis par la grande majorité de la population.
Des masses de gens rejettent la politique anti-immigration du ministre de l’Intérieur Manuel Valls qui a dit être d’avis que tous les Roms devraient quitter la France pour aller en Europe de l’Est. L’intervention de Hollande le week-end dernier, proposant de faire revenir Leonarda, mais sans le reste de sa famille, montre clairement que l'ensemble de son gouvernement soutient une politique raciste.
Il est de plus en plus évident que le Parti socialiste (PS) de Hollande, principal parti de gouvernement de « gauche » de la bourgeoisie française, est en train d’adopter une politique qui convient à l’électorat néofasciste du Front National (FN), ce qu'avait aussi fait le président Nicolas Sarkozy, prédécesseur droitier de Hollande.
Ces événements révèlent une fois de plus le rôle réactionnaire joué par les forces de pseudo-gauche tels le Front de Gauche (FG) et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), qui ont soutenu l’élection de Hollande, pour subordonner la classe ouvrière au régime bourgeois.
Ils posent aussi clairement la question d’une nouvelle orientation politique et de la construction d’un nouveau parti pour la classe ouvrière. La question de savoir comment aller de l’avant dans la lutte contre le néofascisme s'était déjà posée auparavant lors de l'élection présidentielle de 2002.
A l’époque, l’opposition à la candidature présidentielle de Lionel Jospin, qui durant cinq ans avait occupé les fonctions de premier ministre PS sous le président gaulliste, Jacques Chirac, s’était traduite par un vote substantiel pour trois candidats qui, à tort, se qualifiaient de trotskystes. Arlette Laguiller, Olivier Besancenot et Daniel Gluckstein avaient obtenu ensemble plus de 10 pour cent des voix. Jospin avait été relégué au troisième rang derrière le candidat du FN, Jean-Marie Le Pen, et avait été éliminé.
Les soi-disant « trotskystes » avaient réagi en soutenant Chirac contre Le Pen au second tour des élections. Ils avaient catégoriquement rejeté l’appel au boycott des élections par la classe ouvrière qu’avait lancé le World Socialist Web Site (Voir : Non à Chirac et Le Pen! Pour un boycott des élections présidentielles en France par la classe ouvrière Lettre ouverte à Lutte ouvrière, à la Ligue communiste révolutionnaire et au Parti des travailleurs ).
Comme l’avaient expliqué à l’époque le WSWS et le Comité international de la Quatrième Internationale une campagne de boycott à grande échelle aurait « montré aux masses qu’il y a bien une force sociale qui conteste l’ordre social et politique existant. » Une telle campagne aurait préparé la population laborieuse aux luttes de classe à venir après les élections.
Nous avions catégoriquement rejeté l’argument qu’un vote pour Chirac était un vote contre Le Pen. « Chirac n’a aucune différence politique de principes avec Le Pen, » écrivions-nous. « Un vote massif pour Chirac aura pour effet d’accroître considérablement son autorité politique en tant que politicien quasi bonapartiste. Il usera impitoyablement de cette autorité contre les intérêts de la classe ouvrière. »
Le WSWS avait souligné que « La question historique essentielle est que la classe ouvrière adopte un point de vue politique indépendant et développe sa propre force sur toutes les questions, y compris la question brûlante de la lutte contre le fascisme. »
Les choses se sont passées comme l’avait prédit le WSWS. A peine élu, Chirac suivit une voie politique droitière, anti-classe ouvrière et, tout comme Sarkozy après lui, il adopta de plus en plus souvent la politique du FN. Il attaqua les musulmanes portant le voile et persécuta les Roms et d'autres groupes d’immigrés.
Son successeur, Sarkozy, poursuivit une politique militaire agressive et impérialiste en réintégrant pleinement la France dans la structure de commandement de l’OTAN et en prenant l’initiative de faire la guerre à la Libye.
Les groupes de pseudo-gauche réagirent en virant eux-mêmes davantage à droite. La Ligue communiste révolutionnaire de Besancenot fut transformée en Nouveau Parti anticapitaliste, rejetant ouvertement son affiliation au trotskysme. Depuis lors, il a soutenu la politique impérialiste guerrière contre la Libye, puis contre la Syrie.
Au second tour de l'élection présidentielle de 2012, tous les groupes de pseudo-gauche, à commencer par le Front de Gauche de Mélenchon jusqu’au NPA, ont soutenu Hollande en déclarant qu’il était un moindre mal par rapport à Sarkozy. Leur soutien a été décisif à la victoire de Hollande.
Mais comme on pouvait s’y attendre, Hollande a appliqué sans heurt la politique de Sarkozy. Il a intensifié les attaques contre les Rom et les immigrés, il a encouragé la nouvelle guerre impérialiste contre la Syrie et promulgué des attaques sociales massives et des suppressions d’emploi.
Un an et demi plus tard, la plupart des travailleurs français sont d’avis que Hollande est pire que Sarkozy. Le parti qui en a le plus profité est le FN qui a été renforcé par la politique raciste du gouvernement, tout en s’affichant comme un groupe d'opposition aux attaques sociales.
Le cas de Leonarda a maintenant révélé l’opposition largement répandue à cette orientation droitière. Des milliers de jeunes ont protesté contre le traitement brutal infligé à leur camarade de classe. Selon les termes du Nouvel Observateur, le gouvernement a été pris d’une « peur panique de voir la jeunesse s’enflammer. »
Les organisations de pseudo-gauche sont en train d’intervenir pour essayer d’éteindre l'incendie. Elles rivalisent entre elles pour exprimer leur indignation morale dans le but de maîtriser le mouvement, de le déstabiliser et de le réduire à n’exercer qu’une pression sur le PS.
Besancenot et Mélenchon ont tous deux exigé la démission immédiate de Valls, comme si le remaniement de quelques ministres allait changer le caractère du gouvernement ou du PS.
Le porte-parole du Parti communiste français (PCF), Olivier Dartigolles, a appelé le président Hollande à réagir aux tensions sociales par un « sursaut républicain ». L'échec de Hollande à exploiter cette occasion représente une « grave faute politique et morale, » a déclaré Dartigolles.
En fait, la politique de Valls et de Hollande n’est pas une « faute ». Elle trouve son origine dans le caractère de classe du PS qui, comme tous les autres partis bourgeois, défend les intérêts de la classe dirigeante en cherchant à diviser la classe ouvrière selon des clivages raciaux et ethniques. Cela se reflète dans les événements survenus partout en Europe, et en particulier dans la montée de l’organisation néofasciste Aube dorée dans le contexte de la dévastation sociale de la Grèce entre les mains de l’Union européenne.
Le fait que le Front de Gauche, le NPA et les autres organisations de pseudo-gauche prennent la défense du PS n’est pas non plus une « faute ». Ces organisations représentent les couches aisées de la classe moyenne qui sont de plus en plus hostiles à la classe ouvrière. Ce sont des partis bourgeois droitiers qui abandonnent de plus en plus leurs prétentions gauchistes au fur et à mesure qu’ils rejoignent le camp impérialiste, comme cela s'est vu par exemple dans le soutien du NPA à la guerre contre la Libye.
La défense des droits sociaux et des acquis passés de la classe ouvrière, le refus de la guerre et du militarisme, la défense des réfugiés et des immigrés, la lutte contre le FN – toutes ces tâches convergent actuellement et présupposent une chose : le développement d’un mouvement de la classe ouvrière qui soit indépendant du PS et de la bureaucratie syndicale, ainsi que de leurs partisans de la pseudo-gauche.
La condition préalable est la construction d’un nouveau parti politique fondé sur un programme socialiste qui unisse les travailleurs et les jeunes au-delà de lignes nationales, religieuses et ethniques – c’est-à-dire, la construction en France d’une section du Comité international de la Quatrième Internationale.
(Article original paru le 24 octobre 2013)