Le Canada va accroître son appui à l’impérialisme français au Mali
Par Louis Girard et Keith Jones
25 janvier 2013
A l’insu de la vaste majorité de la population canadienne, le gouvernement et les forces armées du Canada sont fortement impliqués dans l’invasion française au Mali et dans l’intervention impérialiste croissante dans l’ouest de l’Afrique, dont le Mali fait partie.
Étant conscient qu’il n’y a pas d’enthousiasme dans la population canadienne pour une participation du pays dans une autre guerre impérialiste, le gouvernement conservateur de Stephen Harper s’est donné beaucoup de mal à présenter le rôle de l’armée canadienne dans la guerre au Mali comme limité et inattendu.
Mais ce n’est qu’une ruse. Depuis au moins le printemps dernier, des discussions dans les sphères gouvernementales concernant le rôle du Canada dans une intervention militaire organisée par les impérialistes au Mali ont cours. De plus, les forces spéciales canadiennes ont entraîné l’armée malienne depuis au moins une année avant le coup d’État militaire de février 2012 qui avait été déclenché par la perte du nord du pays aux mains d’une armée rebelle de Touaregs. Un article du 3 décembre 2011 de Postmedia cite le brigadier général Denis Thompson, membre du Commandement des forces d'opérations spéciales du Canada, disant que « le déploiement de forces spéciales canadiennes au Mali devrait être une mission persistante ; de petites équipes interviendraient en fonction de la nécessité pour les forces maliennes de recevoir un tel entraînement ».
L’armée canadienne a aussi développé une présence de plus en plus importante dans d’autres pays de la région, les Forces armées canadiennes (FAC) aidant à l’entraînement des forces africaines qui sont maintenant en train d’être préparées au combat au Mali.
Le Canada a déployé une vingtaine de soldats au Niger pour effectuer de l’entraînement militaire. Le Niger, qui borde le Mali à l’est, devrait fournir 500 soldats parmi les 3300 qui sont réunis par ECOWAS, une alliance d’États d’Afrique de l’Ouest formée exclusivement d’anciennes colonies françaises, pour faire la guerre au Mali.
Les FAC participent également à Exercise Flintlock, un exercice militaire qui sera organisé le mois prochain avec des soldats des États-Unis, d’Europe et d’Afrique en Mauritanie, un pays qui partage une frontière de 2237 kilomètres avec le Mali.
Jusqu’à maintenant, le gouvernement du Canada a reconnu publiquement l’envoi d’un avion de transport C-17 Globemaster III dans le conflit malien pour seulement une semaine. Mais des sources médiatiques canadiennes ont rapporté que, plus tard cette semaine, le gouvernement conservateur annoncera la prolongation de ce déploiement et probablement d’autres mesures en appui direct à l’invasion canadienne.
L’agence de nouvelles La presse canadienne a rapporté mercredi que, selon les FAC, le C-17 qui transporte depuis la semaine dernière les troupes françaises et l’équipement militaire vers Bamako, la capitale malienne, a été libéré par les planificateurs de l’armée pour être déployé au Mali pour une période allant jusqu’à trois mois.
La France aurait demandé au Canada de lui fournir d’autres avions de transport ainsi que d’autres entraîneurs des FAC pour les États de l’ECOWAS. Lors d’un appel téléphonique avec Harper, le président François Hollande aurait aussi dit qu’il a demandé un soutien financier pour l’invasion française.
Plus tôt cette semaine, l’ambassadeur français au Canada, Philippe Zeller, a dit : « Toutes les options sont encore ouvertes du côté canadien… sauf celle exprimée par le premier ministre, qu’il n’y aurait pas d’implication des troupes [canadiennes] au combat. »
Mercredi, le premier ministre Harper a dit que le gouvernement consultait les partis de l’opposition afin de développer un « consensus parlementaire » pour une implication accrue des FAC dans l’invasion française au Mali. « Le gouvernement, a dit Harper, considère s’il doit accroître, et de quelle façon,… ses engagements en termes de soutien technique » aux Français. Il a ensuite ajouté : « Je pense qu’il est important d’aider cette mission. »
Tant l’opposition officielle, représentée par le Nouveau Parti démocratique (NPD) appuyé par les syndicats, que les libéraux ont indiqué qu’ils appuient une participation accrue du Canada dans la guerre au Mali.
La semaine dernière, le chef du NPD, Thomas Mulcair, a dit que son parti a appuyé la décision de Harper de donner son soutien à l’invasion française au Mali. Lundi, le critique néo-démocrate en matière d’Affaires étrangères, Paul Dewar, a dit que le NPD souhaitait que les FAC fassent plus pour aider au transport de l’équipement, des vivres et du personnel français. « Il est clair », a dit Dewar au site web iPolitics, « que le Canada a la responsabilité de démontrer qu’il va aider de toutes les manières possibles et nous voulons voir plus d’engagement. Au début, c’était plus de la confusion que de l’engagement. »
Lundi, le critique libéral en matière de Défense, John McKay, avait aussi critiqué le gouvernement pour ne pas appuyer et encourager suffisamment l’intervention impérialiste au Mali. « Je pense sincèrement, a dit McKay, qu’on doit utiliser notre armée pour résoudre les conflits. Et je me base sur l’idée que nous avons la responsabilité de protéger et la… responsabilité d’intervenir. Mon objection vient du fait que je n’ai pas entendu cela de la part du premier ministre sur la question du Mali. »
L’ancien chef libéral Stéphane Dion a quant à lui critiqué le gouvernement Harper pour sa « timidité » au Mali, qu’il a contrastée à son empressement d’envoyer les FAC au combat en Afghanistan et en Libye.
Le gouvernement, les partis d’opposition et les grands médias tentent de tromper la population canadienne pour qu’elle appuie l’implication de plus en plus importante des FAC au Mali, et en Afrique de l’Ouest en général, en ayant recours à la « guerre contre le terrorisme » et à la menace des forces islamistes.
Ces prétextes bien connus servent à justifier une intervention qui, pour le Canada, ainsi que pour la France, le vieux seigneur colonial de la région, est motivée par des intérêts économiques et politiques mercenaires.
Le Canada est un joueur économique d’importance au Mali et ce pays, en plus d’être le troisième plus grand producteur d’or d’Afrique, aurait apparemment des réserves de pétrole considérables. Selon le Toronto Star, il y a 15 sociétés minières et de prospection canadiennes au Mali et celles-ci détiennent près d’un demi-milliard de dollars d’actifs.
De plus, comme leurs rivales françaises, les sociétés minières canadiennes sont de plus en plus actives à travers la région. Ottawa tente d’appuyer leurs efforts en se servant de la Francophonie pour étendre l’influence du Canada en Afrique de l’Ouest.
Pour satisfaire ses intérêts mondiaux, la classe dirigeante canadienne, tant sous les gouvernements libéraux que conservateurs, a graduellement mis un terme au mythe du Canada en tant que « gardien de la paix » et a joué un rôle majeur dans une série de guerres et d’interventions impérialistes : la guerre de l’OTAN en 1999 contre la Yougoslavie, la guerre des États-Unis et de l’OTAN en Afghanistan, l’intervention en 2004 pour expulser le président élu d’Haïti, Jean-Bertrand Aristide, et la guerre des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne pour un « changement de régime » en Libye.
Ainsi en 2011, en raison de cette relance du militarisme, le Canada dépensait plus pour son armée en dollars réels qu’à toute autre époque depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
Les travailleurs doivent rejeter avec mépris cette campagne de propagande de l’établissement politique et des médias qui tente de justifier l’agression française par l’invasion de forces islamistes liées à Al Qaïda dans certaines régions au nord du Mali. Durant les quatre dernières décennies – en commençant par la guerre par procuration qu’ont menée les États-Unis contre le gouvernement afghan qui était soutenu par l’Union soviétique – les puissances impérialistes se sont constamment servies des fondamentalistes islamiques pour renverser des gouvernements qui constituaient un obstacle à leur domination ou les ont utilisés comme prétexte à une intervention impérialiste au nom de la lutte contre le « terrorisme islamique ».
En Libye en 2011, les puissances occidentales, le Canada inclus, ont mobilisé et armé des milices islamiques dans leur campagne qui visait à remplacer Kadhafi et son entourage par un régime plus soumis à leurs intérêts. Aussi, avec l’appui du régime médiéval d’Arabie saoudite et d’autres monarchies du Golfe, elles font la même chose aujourd’hui en Syrie.
En fait, la présence de forces islamiques lourdement armées au Nord-Mali est une conséquence directe, bien que non intentionnelle, de la guerre de l’OTAN contre la Libye. Nombre des forces islamiques qui sont maintenant actives au Nord-Mali proviennent de la Libye ou ont pu mettre la main sur des armes après avoir été capturées par des forces islamiques alliées qui combattaient en Libye avec l’appui logistique et aérien de l’OTAN.
Déjà, dans les premiers jours de l’invasion du Mali par la France, le caractère de la guerre dans laquelle participe l’élite dirigeante du Canada est révélé. Des avions de guerre français tuent des civils dans des frappes aériennes pendant que les alliés dans l’armée du Mali procèdent à des « exécutions sommaires » de gens qui n’ont pas de papiers d’identité ou brutalisent et assassinent des civils touaregs et arabes.
(Article original paru le 24 janvier 2013)