Grève étudiante au Québec : les partis d'opposition soutiennent le programme d'austérité
Par Laurent Lafrance
30 mai 2012
Par leurs appels à faire passer la lutte de la rue aux urnes, les chefs syndicaux, les éditorialistes et les leaders étudiants cherchent à détourner le vaste mouvement d'opposition populaire à la loi 78 derrière le Parti québécois (PQ).
Le PQ cherche de manière démagogique à se démarquer des libéraux de Charest. Il a décoré son logo officiel du carré rouge, le symbole des étudiants en grève. Il a voté contre la loi 78, qui représente une atteinte fondamentale aux droits démocratiques et sociaux de toute la classe ouvrière, mais a vite appelé les étudiants à y obéir. Il a promis d'abolir la hausse des frais de scolarité s'il était porté au pouvoir, mais a laissé entendre qu'il prendrait des mesures similaires.
Ce double langage découle du fait que le PQ est un parti de la grande entreprise, voué à faire payer les étudiants et les travailleurs pour la crise mondiale du système capitaliste, qui cherche à se faire du capital politique en prenant une pose de sympathie envers la grève étudiante et le mouvement populaire contre la loi 78.
Les récentes déclarations de la dirigeante du PQ et chef de l'opposition officielle, Pauline Marois, sur la question des frais de scolarité post-secondaire, sont très instructives à cet égard. Marois a dit qu'un éventuel gouvernement péquiste abolirait immédiatement la hausse de 82 pour cent sur sept ans décrétée par le gouvernement libéral de Jean Charest et rétablirait le gel des frais de scolarité après 2012. Mais en détaillant cet engagement, elle a rejeté l’idée que l’éducation représente un droit social et montré son accord fondamental avec les politiques de Charest.
Marois a affirmé qu’en termes de hausse des frais de scolarité, « le maximum que je puisse envisager, c'est l'indexation, au coût de la vie ». Autrement dit, c'est oui pour une hausse immédiate. Et ce ne serait qu'une question de temps avant des hausses aussi drastiques que celles annoncées par le gouvernement Charest. « On ne devrait pas augmenter les frais de scolarité », a déclaré Marois, « tant qu’on aura pas atteint un niveau de diplomation aussi élevé que la moyenne canadienne ».
Le PQ courtise le vote étudiant avec l'appui des dirigeants de la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec) et de la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec), qui ont appelé à régler le compte des libéraux aux prochaines élections. Le PQ a récemment présenté une motion à l'Assemblée nationale appelant les étudiants à un « retour en classe » et le gouvernement à « reconvoquer les parties dès maintenant afin d'en arriver à une solution acceptable ». Mais selon Marois, « la seule façon de changer vraiment les choses » consiste à « déclencher des élections générales et changer de gouvernement».
Marois s’est vanté que le PQ a gelé les frais de scolarité lorsqu’il était au pouvoir de 1994 à 2003, « même au temps du déficit zéro ». La réalité est que le PQ a maintenu le gel des frais, mais a opéré au même moment les plus importantes coupes sociales de l’histoire du Québec. En 1998, le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, au sein duquel Marois était ministre, a éliminé 40,000 postes dans les réseaux de la santé, de l'éducation et des services sociaux. En 1999, il a adopté une loi spéciale draconienne pour mettre fin à une grève des infirmières contre l'impact dévastateur de ces mesures.
Le PQ a critiqué à maintes reprises les libéraux de la droite, qualifiant le gouvernement libéral « d’irresponsable » pour ne pas couper suffisamment dans les dépenses sociales. Lors du dépôt du dernier budget, le député péquiste Sylvain Simard avait dit : « Les ministres du gouvernement Charest avaient promis que l’État ferait la plus grande part pour le retour à l’équilibre budgétaire. C’est faux. L’atteinte de l’équilibre budgétaire se fera parce que le gouvernement transfère ses hausses de dépenses à la dette ».
Depuis des décennies, la bureaucratie syndicale est l'un des piliers du Parti québécois. Celle-ci a historiquement subordonné le mouvement ouvrier au PQ pour empêcher la mobilisation politique indépendante des travailleurs anglophones, francophones et immigrés de tout le pays contre la destruction des emplois et le démantèlement des services publics.
Pour sa part, Québec Solidaire (QS), un parti soi-disant de « gauche », a fait quelques propositions limitées qui en aucun cas ne remettent en question l’ordre capitaliste établi. Amir Khadir, co-porte-parole de QS, propose entre autres de « diminuer progressivement les frais de scolarité jusqu’à leur élimination complète, toujours sans remettre en cause l’atteinte de l’équilibre budgétaire ».
Dans le contexte où le gouvernement emploie son appareil de répression pour briser la grève et imposer le programme politique des grandes entreprises et des banques, la proposition limitée de Québec Solidaire n’est que de la poudre aux yeux.
Dans les discussions entourant l'entente de principe signée le 5 mai entre le gouvernement et les associations étudiantes, QS a appuyé la position de celles-ci qui acceptait le cadre imposé par le gouvernement Charest et laissait tomber la revendication centrale des étudiants, à savoir que l’éducation est un droit social. L'entente préconisait la mise en place d'un conseil, dominé par des représentants de l’État et de la grande entreprise, qui serait chargé de sabrer dans les dépenses des universités. Elle a été rejetée massivement par les étudiants.
Bien que Québec Solidaire prétende s’opposer au Parti Québécois de la gauche, il a offert à maintes reprises de former une alliance électorale avec ce parti de la grande entreprise pour contrer la « droite », soit le Parti libéral et la Coalition Avenir Québec de l'ancien ministre péquiste François Legault.
Suite à l'adoption de la loi 78, Amir Khadir, le seul député de QS à l'Assemblée nationale, a évoqué la possibilité de devoir y répondre par des actes de désobéissance civile. Après une vive campagne médiatique assimilant cette timide remarque à des propos quasi-séditieux, QS est rapidement rentré dans les rangs. « Nous ne pouvons encourager la désobéissance à la loi 78 », a affirmé sa co-porte-parole, Françoise David.
Le Nouveau Parti démocratique du Canada (NPD), qui forme l’opposition officielle au parlement canadien et qui a été historiquement fondé et soutenu par la bureaucratie syndicale au Canada anglais, est pour sa part resté silencieux depuis le début du conflit étudiant. Il veut ainsi rassurer la classe dirigeante qu’il est un parti responsable et qu’il représente une alternative viable au Parti libéral du Canada pour imposer les mesures d’austérité.
La direction du NPD a rejeté une résolution de sa Section Québec qui proposait de solidariser « avec tous ceux et celles qui réclament à l'heure actuelle une accessibilité équitable à l'éducation supérieure de qualité pour tous ». L’establishment du parti à Ottawa a justifié le refus d’appuyer les étudiants par le fait que « l'éducation c'est de compétence provinciale ».
Aux dernières élections, le NPD s’est présenté comme le véhicule politique au Québec pour s’opposer au gouvernement conservateur de Harper. Il a prétendu qu'un moyen d'aller dans ce sens était de collaborer avec le gouvernement libéral de Jean Charest.
Le nouveau chef néodémocrate, Thomas Mulcair a d’ailleurs d’étroits liens avec le Parti libéral du Québec au sein duquel il a passé la majeure partie de sa vie politique. En 2005, Mulcair a endossé, en tant que ministre au sein du gouvernement Charest, une loi spéciale imposant à un demi-million de travailleurs du secteur public une convention collective pleine de concessions pour une durée de sept ans.