Trump lance la guerre économique dans le discours au sommet Asie-Pacifique
Par Nick Beams
13 novembre 2017
Dans ce qui ne peut être décrit que comme un diatribe nationaliste de type « l’Amérique d’abord », le président américain Donald Trump a fait hier un discours de quasi-guerre économique aux dirigeants du gouvernement et des ministres du commerce lors de la conférence de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) à Da Nang, au Vietnam.
Abandonnant le ton relativement modéré qu’il a adopté en Chine au cours des deux derniers jours, Trump a lancé une tirade contre ce qu’il a appelé « les violations, la tromperie ou l’agression économique » dans la région – des remarques clairement dirigées contre Pékin.
Le discours a été présenté comme une élaboration majeure de la politique américaine vis-à-vis de ce que Washington appelle la région indo-Pacifique. Élevant sa voix si forte que les haut-parleurs de la salle commençaient à craquer, Trump reprocha à la Chine et à d’autres pays de poursuivre des politiques qui détruisaient les emplois aux États-Unis.
« Nous ne pouvons plus tolérer ces abus commerciaux chroniques et nous ne les tolérerons pas », a-t-il déclaré.
« Malgré des années de promesses non tenues, on nous a dit qu’un jour, tout le monde se comporterait de manière juste et responsable. Les gens en Amérique et dans toute la région indo-Pacifique ont attendu que ce jour vienne. Mais cela n’a jamais été le cas, et c’est pourquoi je suis ici aujourd’hui – pour parler franchement de nos défis […] À partir de ce jour, nous allons être compétitifs sur un pied d’égalité. Nous n’allons pas laisser les États-Unis en profiter. Je vais toujours mettre l’Amérique en premier ».
La diatribe de Trump comportait deux éléments essentiels : une attaque contre le système commercial multilatéral relevant de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et un appel implicite à la formation d’un groupe régional, centré sur les États-Unis, dirigé contre la Chine.
Sans citer spécifiquement la Chine, Trump a déclaré que des pays avaient été « acceptés par l’Organisation mondiale du commerce, même s’ils ne respectaient pas les principes énoncés. En termes simples, nous n’avons pas été traités équitablement par l’Organisation mondiale du commerce. »
Les États-Unis, a déclaré M. Trump, ont adhéré aux principes de l’OMC, encourageant les entreprises privées, l’innovation et l’industrie. Mais « d’autres pays ont utilisé la planification industrielle gérée par le gouvernement et les entreprises publiques » pour s’engager dans « le dumping des produits, la manipulation des devises et les pratiques industrielles prédatrices ».
Ces pays ont ignoré les règles pour prendre l’avantage sur ceux qui les ont suivis, provoquant des « distorsions énormes » dans le commerce et menaçant les fondements mêmes du commerce international.
« Les emplois, les usines et les industries ont été retirés des États-Unis et de nombreux autres pays », a déclaré Trump.
L’appel à un nouveau bloc, centré sur les États-Unis et visant la Chine, est contenu dans l’utilisation du terme indo-Pacifique par la Maison-Blanche pour décrire ce qui était auparavant appelé la région Asie-Pacifique.
Comme l’a noté le Financial Times, certains dans le public écoutant le discours de Trump à Da Nang ont été enclins à absoudre son utilisation de la phrase comme un lapsus. Mais c’était un « effort calculé pour dévoiler sa stratégie naissante pour l’Asie, qui implique une coopération accrue entre les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde visant à contrer l’influence toujours croissante que la Chine exerce en Asie ».
Le président américain a carrément mis à l’écart le cadre multilatéral mis en place par les États-Unis eux-mêmes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui a régi le commerce international au cours des sept dernières décennies. Il a déclaré que les États-Unis conclueraient des accords bilatéraux avec « toute nation de l’indo-Pacifique qui veut être notre partenaire et respectera les principes du commerce équitable et réciproque ».
Trump a déclaré : « Ce que nous ne ferons plus, c’est de conclure de grands accords qui nous lient les mains, abandonnent notre souveraineté et rendent une application significative pratiquement impossible ».
En définissant ce qu’il a appelé « le rêve indo-Pacifique », Trump a déclaré que ceux qui respectaient les règles seraient « nos partenaires économiques les plus proches ». Ceux qui ne les respectent pas, a-t-il dit, « peuvent être certains que les États-Unis ne fermeront plus les yeux sur les violations, sur la tricherie ou sur l’agression économique. Cette époque est révolue. »
Trump n’a laissé aucun doute sur l’orientation de la nouvelle stratégie en énumérant une série de pratiques que les États-Unis reprochent à Pékin de s’engager.
« Nous ne tolérerons plus le vol audacieux de la propriété intellectuelle. Nous affronterons les pratiques destructrices consistant à forcer les entreprises à donner leur technologie à l’État et à les forcer à passer des accords de coentreprises en échange de l’accès au marché. »
« Nous nous attaquerons au subventionnement massif des industries par le biais d’entreprises publiques colossales qui mènent des concurrents privés à la faillite. »
Trump a défini un programme visant à réduire la perspective des investissements chinois dans les pays de la région à travers le projet One Belt, One Road de Pékin. Il a déclaré que les États-Unis recentreraient leurs efforts de développement en appelant la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement à diriger leurs opérations « vers des investissements d’infrastructure de haute qualité qui favorisent la croissance économique ».
Les États-Unis réorganiseront « nos institutions de financement du développement pour qu’elles incitent mieux les investissements du secteur privé dans vos économies et offrent des solutions de rechange solides aux entreprises dirigées par l’État qui sont assorties de nombreuses conditions ».
Ce vague engagement à « faire plus » ne fait que souligner la réalité que les États-Unis ont peu à offrir en matière d’initiatives économiques concrètes face aux grands projets d’investissement chinois.
Le discours de Trump a été suivi quelques minutes plus tard par une allocution du président chinois Xi Jinping. Tout en ne mentionnant pas les remarques de Trump, Xi a souligné la coopération internationale, l’ouverture économique et la nécessité de soutenir le multilatéralisme.
Xi a déclaré qu’au cours des dernières décennies, la mondialisation économique avait contribué de manière significative à la croissance mondiale et était devenue « une tendance historique irréversible ». Il a déclaré : « Nous devons continuer à favoriser une économie ouverte qui profite à tous. L’ouverture apporte le progrès, tandis que l’auto-isolement laisse à la traîne. »
Le discours de Xi contenait des phrases et des thèmes qui auraient à un moment donné constitué le centre d’une allocution d’un président américain. Cela souligne l’énorme transformation de la structure de l’économie mondiale.
La Chine, tout comme les États-Unis, fonctionne sur la base de ses intérêts économiques nationaux. La différence est que tandis que les États-Unis voient l’ordre mondial actuel comme menant à leur déclin économique, les dirigeants chinois, représentant les intérêts des oligarques et des multimillionnaires qui constituent la classe dirigeante du pays, ne voient que des opportunités.
Pékin cherche à utiliser sa force économique croissante dans ce cadre pour faire avancer l’objectif stratégique de devenir une « grande puissance » et de se rapprocher « de la scène centrale », selon les mots de Xi au congrès du Parti communiste chinois le mois dernier.
Il n’y a pas de solution pacifique à ce conflit. Sa logique objective ne va que dans une direction : vers la guerre entre les États-Unis et la Chine, alors que la classe capitaliste américaine cherche à contrer son déclin économique sensible par la force militaire.
(Article paru d’abord en anglais le 11 novembre 2017)