Le gouvernement britannique autorisé à déclencher le Brexit
Par Chris Marsden
3 février 2017
Le gouvernement conservateur de Theresa May a surmonté tous les obstacles à la Chambre des communes pour déclencher l’article 50 du traité de Lisbonne, mettant en route le départ britannique de l’Union européenne (UE). Le débat sur le Livre blanc sur le Brexit, qui sera publié aujourd’hui, sera également limité à trois jours, ce qui permettra à May de respecter son plan d’amorcer le processus de deux ans en mars.
Après un débat de deux jours, les députés ont voté d’abord sur un « amendement motivé » déposé par le Scottish National Party (SNP – Parti national écossais) qui aurait refusé une deuxième lecture du projet de loi et aurait empêché le Brexit. L’amendement, qui affirmait que le gouvernement « a laissé des questions sans réponse » sur « toutes les conséquences du retrait du marché unique », a été soutenu par 33 députés travaillistes, 50 du SNP, sept des neuf démocrates libéraux et par Kenneth Clarke des conservateurs.
Dans le vote principal, pour procéder à une seconde lecture du projet de loi sur l’article 50, May a obtenu 498 voix contre 114, soit une majorité de 384 voix. Une motion de procédure sur le calendrier de trois jours a vu le vote d’opposition chuter de deux voix à 112.
Après les trois jours de débats à la Chambre des communes, la question sera débattue par la Chambre des Lords.
Le gouvernement ne pouvait pas échouer, étant donné que le chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, s’était engagé à « respecter » le vote au referendum de l’année dernière, que la faction pro-Brexit de la classe dirigeante a gagné par 52 pour cent des voix contre 48, un résultat qui a fait passer des ondes de choc à travers les sections dominantes de la bourgeoisie qui soutenaient le camp Remain (Rester).
Étant donné les inquiétudes suscitées par l’exclusion du marché unique européen pour les intérêts économiques britanniques et les protestations du public face au soutien de May au président Donald Trump, les forces pro-Remain esperaient qu’une rébellion considérable donnerait une base solide à une guerre des tranchées au cours des prochains mois et une possible répudiation de l’accord finalement conclu par May avec l’UE.
Avec près de deux millions de signatures d’une pétition contre une visite officielle de Trump, les forces pro-Remain dans le Parti travailliste, les libéraux-démocrates et les Verts ont cherché à exploiter les manifestations contre Trump lundi pour renforcer la détermination des députés travaillistes à défier la discipline de parti (le three line whip qui impose aux députés de voter suivant les consignes du parti) imposée par Corbyn. Les membres du Cabinet fantôme Rachael Maskell et Dawn Butler ont quitté leurs fonctions, rejoignant Jo Stevens qui les avait quitté plus tôt, juste avant le vote.
Le nombre total des rebelles travaillistes est passé à 47, soit plus d’un cinquième du parti au Parlement, ce qui a contribué à augmenter le vote global de l’opposition au-delà des 90 attendus.
Corbyn a fait des remarques apaisantes sur cette dernière rébellion dans son parti comprenant plusieurs des forces impliquées dans la tentative de septembre dernier de coup pour le destituer de la direction du Parti travailliste, alors que la secrétaire fantôme aux Affaires étrangères, Emily Thornberry, s’est engagée à lutter pour des amendements au projet de loi du Brexit pour garantir « l’accès le plus grand possible au marché unique sans les entraves des tarifs douaniers et de la bureaucratie. »
Cependant, en réalité, le manque de soutien des conservateurs pro-Remain suggère qu’aucun amendement n’est susceptible d’être voté.
Déjà avant mardi, il était évident qu’aucune rébellion ne se matérialiserait au sein du parti conservateur. Le député vétéran Clarke fut le seul à dénoncer le Brexit, de sorte qu’il a été salué comme un héros par les journaux pro-Remain. Il a déclaré que même Enoch Powell, qui en 1968 avait prédit que l’immigration provoquerait des Rivers of Blood (rivières de sang), « trouverait probablement étonnant de croire que son parti était devenu eurosceptique et plutôt légèrement anti-immigrés […] ».
Il a parlé avec sarcasme des forces pro-Brexit qui croient au « pays des merveilles où soudain les pays du monde entier font la queue pour nous donner des avantages commerciaux et des accès à leurs marchés, ce que précédemment nous n’avions jamais été en mesure de réaliser en tant que membre de l’Union européenne. Des hommes bien gentils comme le président Trump et le président Erdogan seraient tout à coup impatients d’abandonner leur protectionnisme habituel et de nous donner cet accès ».
Articulant les préoccupations essentielles d’une grande partie des grandes entreprises, il a conclu : « Notre appartenance à l’Union européenne nous a rétabli notre confiance nationale, nous a donné politiquement un rôle dans le monde en tant que membre de premier plan de l’Union, ce qui nous a rendus plus précieux pour nos alliés comme les États-Unis et a fait que nos rivaux comme les Russes nous prennent plus au sérieux en raison de notre rôle dirigeant dans l’UE, et elle a contribué à renforcer nos propres valeurs aussi. Et notre économie en a énormément bénéficié et a continué à en bénéficier encore plus à mesure que le marché s’est développé. »
Compte tenu de la gravité de la crise du capitalisme britannique post-Brexit, il y a eu un soupir de soulagement et de joie au sein des médias majoritairement pro-Brexit, et un cri de quasi-désespoir dans les bureaux de rédaction du Guardian en réaction à la majorité convaincante obtenue par le gouvernement.
Le Guardian a joué le rôle de propagandiste principal à la fois à l’appui de rester dans l’UE et de la campagne pour la destitution de Corbyn, en l’accusant d’être responsable de la défaite au referendum. Dans les jours précédant le vote, le journal a publié des articles appelant à une rébellion dans le Parti conservateur, dont une chronique de Polly Toynbee insistant que « Les députés travaillistes ont un devoir envers le pays et pas envers la discipline absurde imposée au parti par Corbyn. »
Dans un autre article, elle a qualifié Clarke de « seul à refuser », « magnifique ». Elle a gémi, « Comment en est on est arrivé à cet acte de lâcheté collective ? »
Toynbee a décrit les États-Unis comme « Le pays qui autorise le racisme, la torture et le déni du changement climatique au plan mondial », insistant sur le fait que « notre refuge le plus sûr est l’Union européenne. Ce n’est pas le moment de nous transformer en vassaux vulnérables de tous les caprices de Trump ».
Pourtant, le Brexit progresse rapidement, en dépit de ces plaidoyers et des préoccupations les plus importantes et les plus graves au sein des conseils d’administration des entreprises britanniques quant à son impact, à la fois économique et politique. Ce n’est pas en raison d’un engagement récemment découvert envers la « volonté populaire » parmi les classes politiques corrompues, mais surtout parce que le vote du referendum a servi à exacerber les divisions et les tensions qui étaient déjà apparentes entre l’impérialisme britannique et ses rivaux continentaux, surtout l’Allemagne et la France.
Il n’est pas exclu que le Royaume-Uni conclue un nouvel accord avec l’UE, comme le souhaitent les libéraux-démocrates, le SNP (Scottish National Party – Parti national écossais) et l’aile Blairiste du Parti travailliste. Mais même May, qui avait soutenu Remain contre les forces pro-Brexit auxquelles elle est maintenant acquise, calcule que cela impliquerait une retraite humiliante et coûteuse. Elle doit donc s’accrocher de plus en plus fermement à la possibilité d’une alliance avec Trump dans l’espoir que cela forcera des concessions de la part de l’UE tout en compensant la perte du commerce européen.
C’est pourquoi, auparavant, pendant la Séance des Questions au Premier ministre, la réponse de May aux attaques contre ses relations avec Trump fut si dure, en dépit des dommages qu’elle faisait à son gouvernement. Quand Corbyn lui a demandé « Qu’est-ce qui s’est passé ? » concernant sa promesse de parler franchement à Trump, et si elle était au courant du plan de ce dernier d’interdire le passage aux migrants de sept pays musulmans, May a rétorqué, « Lui [Corbyn], il peut diriger une manifestation, moi, je dirige le pays […] La politique étrangère du très honorable Gentleman est d’objecter aux décisions et d’insulter un chef d’État démocratiquement élu de notre plus important allié. »
Il est impossible de prévoir dans la prochaine période l’importance et la profondeur du schisme au sein de la classe dirigeante britannique – savoir si cela se terminera par un réalignement politique entre les tendances pro – et anti-UE, ce que beaucoup souhaitent, y compris les chefs de file parmi les 47 rebelles travaillistes – et encore plus difficile de prévoir quelle aile va finalement l’emporter.
Ce qui est certain, c’est que le Royaume-Uni entre dans une période de crise politique intense. Des conflits acharnés s’annoncent quant à savoir si Trump donnera à la Grande-Bretagne quelque chose d’intéressant, compte tenu de sa politique protectionniste de « l’Amérique d’abord », ou si le Royaume-Uni doit chercher une place dans un bloc européen contre les États-Unis.
Tous les camps continueront à empoisonner l’environnement politique avec leurs programmes opposés de la guerre commerciale, de protectionnisme et d’appels à sauvegarder l'« intérêt national ». Et la classe ouvrière sera obligée de payer, au milieu des appels à un sacrifice salarial encore plus important, des conditions de travail et des services essentiels afin de garantir que la Grande-Bretagne reste compétitive dans un monde à la concurrence de plus en plus acharnée qui ne fait que les opposer à leurs frères et sœurs aux États-Unis et en Europe.
(Article paru en anglais le 2 février 2017)