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L'armée canadienne construit des camps de réfugiés alors que des centaines d'Haïtiens fuient les États-Unis

Par Roger Jordan
14 août 2017

Les forces armées du Canada ont annoncé mercredi que des soldats construiront des camps près de la frontière entre le Canada et les États-Unis à Saint-Bernard-de-Lacolle, au Québec, pour loger les demandeurs d'asile.

Des tentes sont érigées pour loger plus de 500 personnes à Saint-Bernard-de-Lacolle, près de la frontière, où jusqu'à 300 demandeurs d'asile – la plupart Haïtiens – arrivent chaque jour. Bien que la majorité des troupes impliquées dans l'installation de refuges retourneront ensuite dans leurs casernes, un reportage de la SRC a laissé entendre que des soldats demeureraient sur le site pour des raisons de sécurité.

L'afflux de migrants a été déclenché par la violente attaque de Donald Trump contre les immigrants. En mai, celui-ci promettait de ne pas renouveler le Statut de protection temporaire accordé aux Haïtiens après le tremblement de terre dévastateur de 2010 dépassé janvier 2018.

Malgré la misère qu'endurent près de 60.000 Haïtiens qui demeurent aux États-Unis sous ce statut, incluant la menace imminente d'être arrêtés dans les rafles de l'agence d'immigration de Trump, puis déportés sans aucun recours vers des conditions de pauvreté et de misère à Haïti, le gouvernement canadien réagit avec une cruelle indifférence. Le ministre de l'Immigration Ahmed Hussen a simplement déclaré le 4 août: «Nous décourageons le passage irrégulier des frontières. C'est dangereux, ce n'est pas quelque chose que nous voulons que les gens fassent. Nous voulons que les gens demandent l'asile dans le premier pays où ils se trouvent, qui dans ce cas-ci est les États-Unis.»

Le premier ministre Justin Trudeau affirmait sur un ton similaire que les réfugiés devraient faire la demande d'asile correctement et que le Canada devait défendre «l'intégrité» de son système d'immigration.

Ces affirmations sont profondément cyniques. Les centaines d'Haïtiens et autres réfugiés qui traversent la frontière quotidiennement sont forcés de traverser de façon «irrégulière» parce que le gouvernement Trudeau continue à appliquer l'Accord sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis d'après lequel les réfugiés qui font une demande d'asile aux douanes sont automatiquement renvoyés aux États-Unis. Ils ne peuvent que faire une demande au Canada s'ils traversent le pays indépendamment, souvent au prix de risques considérables. Le refus d'abandonner l'entente provient de la détermination du gouvernement Trudeau d'approfondir son partenariat stratégique avec l'administration Trump sur la base d'une collaboration militaire accrue et d'une augmentation du protectionnisme nord-américain à travers la «modernisation» de l'ALÉNA.

Pour le premier ministre du Québec Philippe Couillard, le souci principal est de traiter les demandes d'asile aussi rapidement que possible afin de limiter les coûts pour le gouvernement provincial. «Nous leur donnons de l'assistance sociale, de l'aide pour se loger. Nous leur donnons des soins de santé, même de l'éducation pour leurs enfants», se plaignait Couillard. «Tout ça c'est cher, et on ne veut pas que le délai soit inutilement prolongé. On parle de plusieurs millions de dollars.»

La Coalition Avenir Québec (CAQ) de droite, pendant ce temps, fait de l'agitation pour que les demandeurs d'asile soient renvoyés sommairement. «Les libéraux», a dit le dirigeant de la CAQ François Legault, «envoient un très mauvais signal aux migrants illégaux en ouvrant grands les bras, comme si le Québec pouvait accueillir toute la misère du monde.»

Bien que le gouvernement du Canada ait été informé dans des rapports aussi tôt que le mois de mars d'un afflux potentiel de réfugiés, il n'a pas préparé de ressources adéquates, forçant un grand nombre de ceux qui ont traversé la frontière d'attendre pendant des jours dans de piètres refuges improvisés avant que leur cas ne soit traité.

Il semblerait que le gouvernement libéral de Trudeau tente déjà d'en arriver à une forme d'entente avec le gouvernement de droite d'Haïti pour déporter les demandeurs d'asile après le refus sommaire de leurs demandes. Deux ministres du gouvernement haïtien ont visité Montréal mercredi pour rencontrer le maire de la ville Denis Coderre.

Ancien ministre de l'immigration libéral, Coderre a joué un rôle majeur dans les négociations qui ont mené à l'entente réactionnaire des tiers pays sûrs. De plus, en tant que représentant du Canada pour La Francophonie et en tant que «conseiller spécial» au premier ministre Paul Martin sur la question d'Haïti en 2003-2004, Coderre a joué un rôle majeur pour diriger et organiser la participation du Canada dans l'invasion et l'occupation d'Haïti menée par les États-Unis en 2004 pour un «changement de régime».

Jean Sébastien Boudreault, le chef de l'Association des avocats de l'immigration du Québec, a averti que les ministres haïtiens ne devaient avoir aucun contact avec des demandeurs d'asile. «Nous devons surtout nous assurer que nous protégeons les gens que nous sommes censés protéger, a-t-il dit à la SRC, qui sont les gens qui demandent le statut de réfugié.»

En contraste à l'indifférence et l'hostilité des autorités, les réfugiés haïtiens ont été accueillis très positivement par les citoyens de Montréal. Dimanche dernier, des centaines de personnes se sont rassemblées au Stade olympique, où demeurent actuellement beaucoup de réfugiés, afin d'accueillir les nouveaux arrivés, portant des pancartes disant «Réfugiés bienvenus» et «Haïtiens bienvenus».

Beaucoup d'Haïtiens qui fuient présentement les politiques réactionnaires et anti-immigrantes de Trump ont été forcés de quitter une nation des Caraïbes appauvrie après le tremblement de terre de 2010, qui a causé la mort de plus de 200.000 personnes et déplacé un demi-million de personnes. Mais la pauvreté endémique d'Haïti et les problèmes sociaux qui y sont associés ont des racines beaucoup plus profondes, liées à l'exploitation du pays par l'impérialisme américain et canadien.

Des Marines américains ont d'abord occupé Haïti en 1915, y demeurant pendant 20 ans et laissant derrière eux une armée haïtienne entraînée qui pendant des décennies a formé la base de régimes dictatoriaux proaméricains.

En 2004, 500 soldats canadiens sont intervenus avec des forces militaires américaines pour renverser le président élu, Jean-Bertrand Aristide, en tandem avec un soulèvement sanglant provoqué par des éléments de l'armée haïtienne dissoute et des escadrons de la mort qui étaient actifs sous la dictature militaire de Duvalier et les régimes militaires subséquents.

La détermination du Canada à appuyer le coup d'État était liée à ses intérêts impérialistes dans les Caraïbes, qui est depuis longtemps une destination importante pour les investissements étrangers canadiens. Les grandes banques du Canada y sont actives depuis le début du 20e siècle.

Après le tremblement de terre de 2010, le Canada a déployé 2000 soldats et deux navires de guerre vers le pays appauvri dans ce qui a été le plus important déploiement outremer des Forces armées du Canada depuis la Seconde Guerre mondiale. Le gouvernement de Stephen Harper s'est assuré que le Canada obtienne le rôle dirigeant dans la soi-disant reconstruction d'Haïti, ce qui est revenu à développer des plans pour faire du pays une plate-forme de main-d'oeuvre à bon marché et une source de superprofits pour la grande entreprise.

L'absence de préoccupation des cercles dirigeants canadiens pour le sort d'Haïtiens ordinaires est d'autant plus illustrée par le traitement cruel d'Haïtiens qui ont trouvé refuge au Canada après le tremblement de terre de 2010. Un peu plus de quatre ans après le désastre, et ce dans des conditions ou le pays est toujours essentiellement en ruines, Ottawa avait abandonné son propre programme de résidence temporaire, forçant des Haïtiens à quitter le pays «volontairement» ou à être déportés.

Le traitement par le gouvernement Trudeau de ceux qui fuient la chasse aux sorcières anti-immigrante du gouvernement Trump souligne le caractère hypocrite de sa supposée compassion pour les réfugiés. En 2015, peu après son arrivée au pouvoir, Trudeau avait beaucoup attiré l'attention sur son accueil théâtral du premier groupe de réfugiés syriens arrivés au Canada à travers un programme d'accueil. En réalité, le Canada est extrêmement restrictif dans le nombre de Syriens qu'il accepte en tant que réfugiés, permettant seulement à 40.000 personnes d'entrer au pays. Beaucoup d'entre eux ont seulement reçu la permission grâce au parrainage privé d'églises, de mosquées ou de groupes communautaires.

Les conditions pour les réfugiés au Canada sont épouvantables. Beaucoup d'entre eux dépendent de banques alimentaires et d'autres œuvres de bienfaisance pour combler leurs besoins de base. En plus, les gouvernements canadiens successifs, incluant les libéraux de Trudeau, détiennent illégalement des immigrants et des réfugiés indéfiniment s'ils sont vus comme un risque en vol, un danger public, ou si leur identité ne peut être confirmée. Des articles ont dénoncé la pratique, qui a entraîné l'isolement d'enfants dans des conditions comparables à des prisons à sécurité moyenne.

Trudeau s'est servi de son image trompeuse de dirigeant proréfugiés inquiet des problèmes «humanitaires» comme couverture politique pour augmenter considérablement les déploiements militaires du Canada à travers le monde, qu'il s'agisse de l'envoi de forces spéciales supplémentaires pour la guerre au Moyen-Orient en Irak, de la direction de l'un des bataillons de l'OTAN sur les frontières de la Russie en Europe de l'Est, ou du renforcement du rôle maritime du Canada dans l'Asie pacifique afin d'appuyer les menaces américaines contre la Chine. En juin, les libéraux ont présenté une augmentation de 70% des dépenses militaires et déclaré que la «force dure», c'est-à-dire la guerre, devait jouer un rôle central dans la politique étrangère du Canada.

(Article paru en anglais le 11 août 2017)