Home » Nouvelles internationales » Allemagne

Le Président allemand en Estonie : révisionnisme historique au service du militarisme

Par Peter Schwarz
26 août 2017

Dans un discours en Estonie lors du 78 anniversaire du pacte germano-soviétique, le président allemand Frank-Walter Steinmeier (Parti social-démocrate, SPD) a cherché à fomenter des ressentiments nationalistes contre la Russie.

Le président allemand effectue actuellement une visite officielle dans les trois pays baltes, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Son premier arrêt a été la capitale estonienne, Tallinn, où il a fait un exposé le 23 août intitulé « L’Allemagne et l’Estonie – une histoire changeante, un avenir commun » à l’Académie des sciences. Ce jour-là, en 1939, les ministres des Affaires étrangères allemands et soviétiques, Ribbentrop et Molotov, ont signé le pacte de non-agression germano-soviétique. Le pacte a donné à l’Allemagne nazie le feu vert pour son invasion de la Pologne et a abouti à l’incorporation des États baltes dans l’Union soviétique.

Steinmeier a profité de l’anniversaire pour menacer la Russie et encourager le nationalisme estonien, qui puise directement dans les traditions des nazis.

S’adressant à Moscou, il a prévenu que Berlin ne « reconnaîtra jamais l’annexion illégale de la Crimée » ni « n’acceptera une ingérence dissimulée par des moyens hybrides ou une désinformation délibérée », comme cela aurait supposément eu lieu en Estonie. Steinmeier a accusé les dirigeants russes de « définir délibérément l’image de leur pays comme étant différente ou même hostile à nous en Occident ».

Il a ensuite présenté faussement l’Estonie et les autres pays baltes comme des paradis de liberté et de justice. « Le premier message qui fait écho ici à Tallinn est le pouvoir de la liberté, une force qu’aucune idéologie inhumaine ou régime totalitaire ne peut contenir à long terme », s’est-il plu à affirmer.

Steinmeier sait très bien que ce n’est pas vrai. Comme c’est le cas en Europe de l’Est, où les régimes staliniens se sont effondrés ou ont été renversés entre 1989 et 1991, il n’y a pas eu d’épanouissement de la démocratie et de la prospérité dans les pays baltes. Au contraire, le pouvoir a été partagé entre des cliques capitalistes concurrentes, pour lesquelles la « liberté » consiste à exploiter sans restrictions la classe ouvrière. Elles se sont maintenus au pouvoir principalement en fomentant le nationalisme et le racisme.

En Estonie, par exemple, la minorité russe, qui représente plus d’un quart des 1,3 million d’habitants du pays, est soumise à une discrimination systématique. Environ la moitié de cette minorité n’a pas de passeport estonien et ne peut en acquérir un qu’en passant un test de langue estonienne difficile, notamment pour les personnes âgées. Les perspectives de revenus et de carrière de la minorité russe sont en conséquence inférieures.

La croissance économique, basée sur les bas salaires, les faibles avantages sociaux et les droits limités des travailleurs, ne profite qu’à une petite minorité. Le revenu moyen d’un employé à temps plein est un tiers de celui en Allemagne, et le chômage est relativement élevé, officiellement à 7 pour cent. Environ 100 000 Estoniens travaillent à l’étranger en raison du manque de travail en Estonie.

Néanmoins – ou précisément pour cette même raison – Steinmeier a loué l’Estonie comme un modèle pour l’Union européenne. « Beaucoup de gens en Allemagne sont reconnaissants pour le vent européen frais qui souffle sur la mer Baltique en provenance des pays baltes à un moment où certains Européens se détournent de l’unification [européenne] et de ses valeurs », a-t-il déclaré

L’accusation de Steinmeier visant la direction russe selon laquelle elle définissait « l’image de leur pays » en opposition à celle d’un autre pays est beaucoup plus vraie par rapport aux milieux dirigeants en Estonie, qui font campagne d’une manière hystérique contre la Russie. Ils vont jusqu’à glorifier les nazis et leurs collaborateurs. En 2012, le parlement estonien a adopté une résolution rendant hommage aux membres volontaires estoniens des Waffen-SS d’Hitler comme des « combattants de la liberté » et des « combattants contre la dictature communiste ».

Quelque 80 000 Estoniens se sont joints aux nazis pendant la Seconde Guerre mondiale pour combattre l’Armée rouge. Le 28 août, le jour où les Waffen-SS ont recruté des membres de la Ligue de la défense estonienne en 1942, est une fête nationale, célébrée chaque année avec des marches. Les néo-nazis y participent, dont certains viennent d’autres pays, tandis que les politiciens envoient leurs salutations. Il n’y a pas d’hommage correspondant pour les 30 000 Estoniens qui ont combattu dans l’Armée rouge contre les nazis.

Le pacte Hitler-Staline est invoqué pour affirmer que les États baltes étaient plus opprimés et persécutés par le régime soviétique que par les nazis. « Le 23 août a longtemps été un jour d’émotions anti-russes à cette intersection historique entre l’Est et l’Ouest », écrit depuis Tallinn le correspondant du Süddeutsche Zeitung. « La mémoire des temps communistes est plus vivace que celle de l’occupation allemande. »

Steinmeier exploite ce révisionnisme historique pour justifier le retour du militarisme allemand. L’argument selon lequel le régime soviétique était pire que le régime nazi, et que le national-socialisme était une réaction justifiée aux crimes du « bolchevisme », est depuis longtemps une arme des historiens extrémistes de droite, d’Ernst Nolte à Jorg Baberowski.

Le pacte de Staline avec Hitler était indubitablement criminel, infligeant un coup sévère aux communistes et antifascistes dévoués dans le monde entier et sapant leur combativité. Mais cela ne signifie pas que Hitler et Staline ont poursuivi les mêmes objectifs ou, comme l’a dit Steinmeier à Tallinn, « ont fait de l’Europe centrale de l’Est leur proie ».

Hitler représentait l’impérialisme allemand, dont la faim pour les marchés, les matières premières et « l’espace vital » dans l’Est ne pouvait être satisfaite que par une expansion violente. Pour Hitler, le pacte avec Staline était une mesure tactique pour gagner du temps pour ses plans de guerre contre l’Angleterre et la France, pour après attaquer l’Union soviétique.

Pour sa part, Staline représentait les intérêts d’une bureaucratie privilégiée qui avait usurpé le pouvoir soviétique sur la classe ouvrière. La bureaucratie craignait avant tout les soulèvements des travailleurs à travers le monde, ce qui inciterait les travailleurs soviétiques à agir de même, et mettrait en danger la domination de la clique à Moscou. Il était incapable de défendre l’Union soviétique en mobilisant la classe ouvrière, comme l’avaient fait Lénine et Trotsky, en mobilisant la classe ouvrière internationale. Au lieu de cela, il s’est appuyé sur des alliances avec diverses puissances impérialistes.

Deux événements importants ont précédé le pacte Hitler-Staline : la Terreur de Staline de 1937-1938, qui a décapité la direction de l’Armée rouge et du Parti communiste et a rendu l’Union soviétique pratiquement sans défense ; et l’accord de Munich de 1938, au moyen duquel la Grande-Bretagne et la France ont offert la Tchécoslovaquie à Hitler. Staline a conclu qu’il ne pouvait plus compter sur Londres et Paris. Moscou avait cherché à conclure une alliance avec la Grande-Bretagne et la France jusqu’au bout, mais elles ne faisaient que temporiser jusqu’à ce que Staline finisse par conclure son accord avec Hitler. Malgré le cynisme, la brutalité et l’imprudence avec lesquels il a été réalisé, le pacte de Moscou avait essentiellement un caractère défensif.

Hitler a pu accomplir sa mission historique en prenant le chemin de la guerre. Dans son article « Hitler et Staline étoiles jumelles », Leon Trotsky a écrit en 1939 : « Une guerre offensive victorieuse assurerait l’avenir économique du capitalisme allemand et, parallèlement, du régime national-socialiste. Il n’en va pas de même pour Staline. Il ne peut entreprendre une guerre offensive avec quelque espoir de remporter la victoire […] Personne ne le sait mieux que Staline. L’idée fondamentale de sa politique étrangère est d’échapper à une guerre majeure. » (« Hitler et Staline étoiles jumelles »).

Dans une partie de son discours à Tallinn, Steinmeier a indiqué la véritable raison de sa visite. Il a exprimé son plaisir à ses hôtes estoniens qui « apprécient notre coopération et cherchent à collaborer avec nous sur les questions existentielles de sécurité et de défense ».

L’Allemagne, les États-Unis et l’OTAN utilisent les régimes anti-russe de droite à Tallinn, Riga, Vilnius et Varsovie pour encercler la Russie militairement. Une grande partie des 4000 soldats de l’OTAN déployés en permanence à la frontière russe comme avant-garde d’une force de déploiement rapide de 40 000 personnes sont stationnés dans les pays baltes, qui comptent à eux trois seulement 6 millions d’habitants. Steinmeier doit rendre visite aux troupes de l’OTAN à Rukla, en Lituanie, vendredi.

En septembre 2014, le président américain Obama a donné l’assurance que l’OTAN prêterait main forte militairement à l’Estonie en cas de conflit avec la Russie. Steinmeier a fait maintenant écho à cet appel. « J’assure aux gens en Estonie : leur sécurité est notre sécurité », a-t-il déclaré. Cela signifie que, en cas de provocation par le gouvernement de droite du petit État, l’Allemagne sera plongée dans une guerre capable de transformer l’Europe en un champ de bataille nucléaire.

Ce n’est pas la première fois que Steinmeier a travaillé avec les apologistes des nazis pour faire progresser le militarisme allemand. En 2014, il a été intensément impliqué dans la préparation du coup d’État en Ukraine, qui a renversé le président élu Viktor Yanukovych et a amené l’oligarque pro-occidental Poroshenko au pouvoir. Les alliés ukrainiens de Steinmeier à cette époque comprenaient le chef du parti fasciste Svoboda, Oleh Tyahnybok. Ianoukovitch a été forcée de fuir le pays par des milices armées fascistes qui ont tiré parti de la tradition des collaborateurs nazis en Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale.

Peu de temps avant le putsch à Kiev, Steinmeier avait proclamé la « fin de la retenue militaire » à la Conférence de sécurité de Munich. L’Allemagne est « trop ​​grande et trop importante » pour se tenir sur les lignes du monde, a-t-il déclaré.

Le récent voyage de Steinmeier en Estonie confirme le fait que le retour du militarisme allemand est inextricablement lié au renouveau des plus infâmes traditions de l’histoire allemande.

(Article paru en anglais le 25 août 2017)