Le ministre chinois des Finances demande des facilités pour licencier
Par Peter Symonds
12 mars 2016
Les remarques prononcées lundi par le ministre des Finances de la Chine, Lou Jiwei, critiquant le droit du travail du pays, sont un signe d’avertissement que le gouvernement prépare des attaques brutales contre les emplois, les salaires et les conditions de travail de la classe ouvrière.
Dans les commentaires télévisés en marge du Congrès national du peuple de cette semaine (CNP) à Beijing, Lou se plaignait que le système juridique était trop favorable aux salariés. « Si un employé ne travaille pas dur, il est difficile pour une entreprise de s’en séparer », a-t-il déclaré.
La déclaration de Lou aurait pu être prononcée par n’importe quel PDG ou politicien de la grande entreprise à travers le monde. Ils appellent sans cesse à une plus grande « flexibilité du travail », surtout en ce qui concerne l’embauche et le licenciement des travailleurs. Et ses arguments étaient habillés du même souci factice pour les employés.
« Le but initial de la loi fut de protéger les travailleurs, mais à la fin il porte atteinte aux intérêts de certains travailleurs et peut conduire à une augmentation rapide des salaires », a expliqué Lou, en disant que la hausse des coûts conduisaient les entreprises à délocaliser leurs opérations à l’étranger. « En fin de compte, qui est blessé ? Ce sont les travailleurs qui sont lésés. »
Selon le Bureau national des statistiques, le niveau des salaires en Chine a doublé au cours de la dernière décennie, ce qui a mené les producteurs de bas de gamme, notamment, à délocaliser vers les sources de la main-d’œuvre meilleur marché telles le Vietnam et le Bangladesh.
La réponse de Lou et du régime du Parti communiste chinois (PCC) est la réponse des gouvernements capitalistes de par le monde : stimuler la « compétitivité internationale » par le biais d’une course sans fin à faire baisser les salaires et faire monter la production en détruisant les conditions de travail.
« Ces dernières années, l’augmentation du revenu des travailleurs a été plus rapide que l’augmentation de la productivité. Cela n’est pas viable », a carrément déclaré Lou.
Les remarques du ministre des Finances mettent en évidence le caractère de classe du PCC, qui parle au nom d’une petite élite richissime qui s’est enrichie grâce au processus de la restauration capitaliste en Chine au cours des trois dernières décennies.
De manière significative, l’agence de presse officielle Xinhua a souligné les déclarations de Lou pour démontrer que le CNP n’était pas seulement une affaire orchestrée, mais un exemple de « dissidence spontanée » et d’un débat sérieux parmi les délégués.
Le compte rendu a noté que Lou n’était pas seul à critiquer le droit du Travail – d’autres délégués du CNP, tous des propriétaires d’entreprises, ont chanté le même refrain.
Zeng Xiaohe, qui dirige la société Anhui Tianfang Tea Group, a déclaré que la loi « affaiblit la position des employeurs à l’égard des employés et ne couvre pas leurs besoins divers, par exemple, les dispositions concernant les travailleurs intérimaires ou journaliers ne sont pas adéquates. »
Gao Yafe, un entrepreneur, s’est plaint : « Un employeur qui souhaite congédier un employé est tenu de respecter un certain nombre d’obligations, mais les employés ne sont pas soumis à des restrictions similaires s’ils souhaitent démissionner. »
Zhang Yansen, un autre homme d’affaires et membre du Comité national de la Conférence consultative politique du Peuple chinois, a déclaré que l’esprit de la loi était de protéger les employés, mais qu’une ligne avait été franchie et que la loi doit être modifiée.
Ces signes de « dissidence » et de « débat » sont toutes du point de vue des membres de l’élite patronale, qui sont étroitement liés aux échelons supérieurs de l’appareil du PCC. Parmi les délégués du congrès figurent beaucoup des plus riches milliardaires du pays et une longue liste d’hommes d’affaires.
Une patronne d’entreprise et déléguée CNP de Shanghai, Fan Yun, a utilisé la séance d’ouverture du congrès pour fustiger les régulateurs de marché pour avoir déclenché l’année dernière l’effondrement des cours de marché. Elle a déclaré : « Les dix années de développement du marché boursier depuis 2007 sont une décennie de larmes pour les investisseurs chinois. »
Dans des conditions de net ralentissement économique, ces couches sociales exigent une accélération de la libéralisation pro-marché et de la restructuration qui ont été présentées dans le dernier plan quinquennal et le Rapport sur le travail présenté samedi par le premier ministre Li Keqiang.
En dépit de toutes les protestations du souci du ministre des Finances Lou quant au « mal fait aux travailleurs », le gouvernement du PCC se prépare à dévaster la vie de millions de travailleurs par le biais de licenciements massifs dans l’industrie lourde. Dans son Rapport sur le travail, le premier ministre Li a annoncé l’intention du gouvernement de réduire les surcapacités massives et de fusionner, réorganiser ou fermer les entreprises « zombies » appartenant à l’État qui sont maintenues à flot grâce à un financement de l’État.
Avant le congrès, le ministre de l’Emploi Yin Weimin avait annoncé des plans visant à détruire 1,8 million d’emplois dans les industries de l’acier et du charbon. Le verre, le ciment, la construction navale, l’aluminium et d’autres industries lourdes sont également confrontées à la réduction sévère des effectifs, avec des estimations allant jusqu’à la perte de 6 millions d’emplois.
Mardi, Zhang Qingwei, le gouverneur de la province de Hebei au nord du pays, a annoncé que 240 des 400 usines sidérurgiques de la province seraient fermées d’ici à 2020. Il a également déclaré que le gouvernement régional allait réduire la capacité de production de ciment de deux tiers et réaliser des coupes profondes dans la production de charbon et de verre. Zhang a estimé que plus d’un million de travailleurs seraient mis à pied au cours des deux prochaines années.
Ces mesures auront un impact sévère sur la classe ouvrière dans les zones déjà économiquement défavorisées. Alors que le premier ministre Li prévoyait une croissance annuelle au cours des cinq prochaines années de 6,5 pour cent, l’économie dans beaucoup de régions chinoises est en stagnation ou en récession. Cela est particulièrement le cas dans les provinces en déclin industriel dans le nord du pays, dont Hebei et le Liaoning.
Un article paru dans le Wall Street Journal le week-end dernier, intitulé « China’s Two-Speed Economy, » (l’Économie chinoise à deux vitesses) a dépeint un sombre tableau : « La voie lente de la Chine est étouffée par les entreprises industrielles appartenant à l’État dans les secteurs liés à l’immobilier, la sidérurgie, le ciment, le charbon et de l’équipement de construction – toutes souffrant de surcapacité. Beaucoup d’entre eux s’en sortent grâce aux prêts bancaires, sans cesse renouvelés, et les commandes de projets de travaux publiques inutiles. Ce sont des zombies dans une économie fantôme ».
L’article a expliqué que Liaoning était en plein essor après la crise économique mondiale de 2008 sur la base des énormes dépenses de relance du gouvernement et de crédit pas cher qui a alimenté une bulle spéculative immobilière. La voix du capital financier américain ne laissait aucun doute que « si la Chine continue de subventionner des investissements inutiles pour garder les villes industrielles en vie, son système financier finira par exploser. »
Le ministre des Finances Lou, ainsi que le reste de la bureaucratie du PCC, est sans doute d’accord. Voilà pourquoi il préconise avec véhémence des changements à la législation du travail pour faciliter l’avalanche de destruction d’emplois en cours de préparation. Si le régime s’est retenu jusqu’à présent, c’est seulement en raison des craintes de l’agitation sociale généralisée que cela produira et pour laquelle un renforcement de l’appareil d’état policier s’est effectué.
La dévastation sociale à laquelle les travailleurs chinois sont confrontés fait partie intégrante de ce à quoi la classe ouvrière doit faire face dans le monde entier. Dans tous les pays, les gouvernements imposent le poids de la crise mondiale croissante sur le dos des travailleurs, insistant sur le fait que les salaires, les conditions de travail et les emplois doivent être sacrifiés pour rendre les entreprises « compétitives au niveau international ».
(Article paru en anglais le 10 mars 2016)