L'Inde ouvre des pourparlers avec les Etats-Unis sur une guerre contre les sous-marins chinois
Par Deepal Jayasekera
9 mai 2016
Les États-Unis et l’Inde intensifient leur collaboration navale visant la Chine dans l’océan Indien et l’océan Pacifique. C’est ce qu’ont déclaré il y a quelques jours des responsables militaires des deux pays. Cela marque une nouvelle étape importante dans les efforts américains pour faire de l’Inde un État « de première ligne » dans ses préparatifs de guerre contre la Chine et ses efforts pour l’encercler stratégiquement — ce que Washington qualifie par euphémisme de « Pivot vers l’Asie. »
Les responsables américains et indiens sont en pourparlers sur une lutte contre les sous-marins chinois dans l’océan Indien qui concernent leur collaboration dans la détection des sous-marins et l’augmentation de leurs capacités de guerre anti-sous-marine (Anti-Submarine Warfare- ASW).
Un haut responsable américain resté anonyme, familier des relations militaires bilatérales avec l’Inde, a dit à Reuters: « Ce type de missions sera la base de la construction d’une relation durable entre les deux marines et que nous espérons développer au fil du temps en capacité ASW partagée. »
Un porte-parole de la marine indienne a refusé de commenter la question, car New-Delhi veut masquer ses liens militaires croissants avec les États-Unis de peur d’une opposition populaire.
Une « source navale indienne, » a déclaré à Reuters que la guerre anti-sous-marine fera l’objet de la prochaine série d’exercices navals mixtes indo-américains, les manœuvres « Malabar ». Ces exercices se dérouleront en juin dans la mer des Philippines du nord. Celle-ci est proche de la mer de Chine méridionale où les États-Unis ont lancé des provocations anti-Chine sous prétexte de « liberté de navigation », et de la mer de Chine orientale, où le Japon a affirmé agressivement sa revendication des îles Senkaku ou Diaoyu, annexées par le Japon après la guerre sino-japonaise de 1894-1895.
L’Inde a récemment invité le Japon, allié stratégique le plus important des États-Unis en Asie, à devenir le troisième membre permanent des manoeuvres annuelles Malabar. Le Japon se joindra donc en juin à ces exercices en mer des Philippines. Il a déployé sa marine de façon répétée pour faire face aux navires chinois près des îles Senkaku/Diaoyu.
Poursuivant le « partenariat stratégique global » indo-américain forgé par son prédécesseur, le Parti du Congrès, le gouvernement de l’Inde dirigé depuis deux ans par le Bharatiya Janata Party (BJP) a considérablement élargi sa coopération militaire et stratégique avec Washington. Il a repris littéralement la ligne américaine en mer de Chine méridionale dépeignant la Chine comme un agresseur et une menace pour la « liberté des mers », alors que ce sont les États-Unis qui cherchent un accès illimité aux eaux proches de la Chine continentale pour leurs navires de guerre. New-Delhi a aussi augmenté sa coopération militaro-stratégique bilatérale et trilatérale de façon significative avec les États-Unis et d’autres alliés clés de Washington dans le Pacifique et l’océan Indien: le Japon et l’Australie.
Un objectif stratégique clé des États-Unis, dans sa quête aussi d’alliances militaires toujours plus développées avec le Japon, l’Australie et l’Inde, est de préparer l’imposition d’un blocus naval contre la Chine dans l’éventualité d’une crise de guerre. En prenant le contrôle des « points d’étranglement » dans l’océan Indien et dans le Pacifique, les stratèges du Pentagone calculent qu’ils peuvent refuser l’accès à la Chine des voies maritimes de l’océan Indien par où passe le pétrole et les autres matières premières soutenant son économie.
Face à la possibilité de se voir refuser l’accès de l’océan Indien, la Chine a décidé d’accroître sa présence navale, y compris en déployant des sous-marins. Cela a à son tour fait paniquer l’Inde, qui considère comme vital pour la réalisation de ses ambitions de grande puissance de jouer un rôle croissant comme « policier » de l’océan Indien.
L’Inde, qui est en train d’étendre massivement sa marine, a pris des mesures agressives pour contrer les intérêts économiques croissants de la Chine dans divers États de l’océan Indien. En 2015, elle a notamment aidé les États-Unis à tramer l’éviction du président du Sri Lanka, Mahinda Rajapaksa, jugé trop proche de la Chine. L’Inde tente aussi depuis des années d’intimider les petites îles Maldives pour qu’elles s’engagent à faire une politique étrangère exclusivement pro-Inde.
Les négociations navales indo-américaines font suite à un appel de l’amiral Harry Harris Jr., chef de l’État-major américain du Pacifique, à des patrouilles navales conjointes avec l’Inde dans l’océan Indien et le Pacifique et l’annonce le mois dernier que New Delhi et Washington avaient convenu « en principe » d’un Protocole d’entente bilatéral d’échange logistique (Lemoa). Cela donnera aux Etats-Unis accès aux ports et bases militaires indiens pour le réapprovisionnement, la réparation et le repos. Il entraînera inévitablement le stationnement de militaires américains en Inde.
Les États-Unis cherchent également à entraîner l’Inde à rejoindre sa stratégie prédatrice grâce à des partenariats de co-développement et de co-production de systèmes d’armes avancés, dont la technologie de porte-avions.
Washington cherche à exploiter les préoccupations indiennes sur la présence navale accrue de la Chine dans l’océan Indien et à pousser New Delhi à collaborer dans la lutte anti-sous-marine. Reuters cite ainsi des responsables navals indiens: « Des sous-marins chinois ont été aperçus en moyenne quatre fois chaque trimestre. Certains ont été vus près d’Andaman-et-Nicobar, îles indiennes à proximité du détroit de Malacca, à l’entrée de la mer de Chine méridionale par où passe plus de 80 pour cent de l’approvisionnement en carburant de la Chine. »
Exprimant la satisfaction de l’établissement militaire américain sur le succès de Washington à attirer l’Inde dans une collaboration militaire plus étroite dans la région Asie-Pacifique, l’ancien chef des opérations navales américaines, l’amiral Jon Greenert, a dit à Foreign Policy: « Est-ce que ceci est motivé par la Chine? Je le pense. Je pense clairement que c’est... l’intérêt de la marine indienne de s’étendre plus à l’Est dans l’océan Indien et le fait de venir dans le Pacifique pour l’exercice en est une indication. »
Avec l’encouragement des États-Unis, le BJP a transformé la politique indienne du « Regarder vers l’Est, » un rayonnement économique et stratégique vers l’Est et l’Asie du Sud-Est, en un « Agir à l’Est » : une intervention plus agressive dans cette région au service des ambitions géopolitiques de l’Inde. De nombreux responsables américains, comme le président Obama et le secrétaire à la Défense Ashton Carter, ont maintes fois vanté la « convergence » de la politique de l’« Agir à l’Est » et du « pivot » américain « vers l’Asie » et ont promis l’aide américaine pour que l’Inde réalise cette nouvelle orientation.
Nilanthi Samaranayake, analyste au Centre pour analyses navales de l’armée américaine a noté que New Delhi faisait attention de ne pas être vu comme un allié déclaré des États-Unis contre la Chine: « L’Inde va toujours se couvrir un peu, parce qu’elle ne veut pas être vue comme étant trop hostile à la Chine. » Mais elle fut prompte à indiquer la possibilité qu’une présence chinoise accrue dans l’océan Indien fournirait l’opportunité à Washington de présenter Pékin comme l’« agresseur » et de pousser ainsi New Delhi dans une alliance plus étroite. « Si nous voyons effectivement la Chine être agressive dans l’océan Indien », a-elle déclaré « cela pourrait vraiment aider à cristalliser la politique indienne envers la Chine et faire avancer la relation avec les États-Unis. »
Exprimant les vues de secteurs puissants de l’élite indienne qui veulent une position plus agressive contre la Chine, G. Parthasarathy, un ancien haut-commissaire au Pakistan, a publié un commentaire cette semaine décriant les relations étroites entre la Chine et le Pakistan, rival historique de l’Inde, argumentant qu’il fallait contrer cela « par une relation solide avec les voisins maritimes de la Chine comme le Vietnam, le Japon et les Philippines ». Les exercices militaires « avec les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Indonésie dans la mer de Chine méridionale et l’océan Indien » devaient être « élargis. »
L'ancien chef du commandement Est de la marine indienne, le vice-amiral en retraite Anup Singh, a salué le partenariat naval croissant entre l’Inde et les Etats-Unis. « Bien sûr, il y a eu un changement dans la vision stratégique de l'Inde », a-t-il déclaré à Foreign Policy, ajoutant que le gouvernement BJP et l'établissement militaire et de sécurité indien était « tout en faveur d'une main tendue solide aux États-Unis, parce que c'est la seule façon de maintenir l'équilibre des forces. »
L’Australie est également désireuse de collaborer avec l’Inde et les États-Unis dans le renforcement des capacités de guerre sous-marine et de police dans l’océan Indien. David Brewster, un expert de l’Université nationale australienne dans les rivalités stratégiques dans l’océan Indien, a suggéré que l’Australie, qui vient de commander 12 nouveaux sous-marins, pourrait éventuellement rejoindre la collaboration AWS menée par les États-Unis. Il a dit à Reuters : « Nous verront probablement pour finir un partage des responsabilités dans l’océan Indien entre ces trois pays, avec un potentiel de partage des installations. »
La Chine a réagi avec prudence aux pourparlers américano-indiens de collaboration dans la guerre anti-sous-marine. Hua Chunying, une porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a déclaré : « Nous espérons que la coopération en la matière est normale et qu’elle peut être utile à la paix et à la stabilité dans la région. »
Quels que soient les espoirs de la Chine, les agissements agressifs de l’impérialisme américain pour développer des relations militaires avec l’Inde, dont la guerre anti-sous-marine, vont aggraver encore les tensions géopolitiques dans la région indo-Pacifique et le danger de guerre totale entre puissances nucléaires.
(Article paru d’abord en anglais le 7 mai 2016)