A la veille du référendum sur le Brexit, nombreux avertissements de guerre commerciale
Par Andre Damon
23 juin 2016
A la veille du référendum sur une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), un événement risquant de déstabiliser considérablement l’économie mondiale, l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) a averti que le protectionnisme se développait alors que le commerce mondial stagnait.
Le risque d’une sortie de la Grande-Bretagne de l’UE n’est que l’expression la plus visible de tendances croissantes au nationalisme et à l’autarcie économiques. Celles-ci se manifestent par la montée de politiciens d’extrême-droite comme Donald Trump aux Etats-Unis, Nigel Farage en Grande-Bretagne, Marine Le Pen en France, et d’autres dans de nombreux pays.
L’OMC indiquait dans un rapport mardi qu’entre octobre 2015 et mai 2016 les vingt principaux pays industrialisés (le groupe du G20) avaient appliqué de nouvelles mesures protectionnistes au rythme le plus rapide depuis 2009, année où l’OMC a commencé à enregistrer ces données.
L’OMC a précisé que durant cette période, les économies du G20 avaient adopté « 145 nouvelles mesures restrictives, correspondant à une moyenne de près de 21 nouvelles mesures par mois. » Cela représentait « une augmentation significative par rapport aux 17 [mesures] par mois de la période recensée précédemment. »
Par conséquent, le nombre total de mesures commerciales restrictives en vigueur dans les économies du G20 a augmenté de 10 pour cent au cours de la période considérée. Le nombre total des restrictions commerciales actuellement mises en œuvre dans ces pays s’élève à 1196, comparé à 324 à la mi-octobre 2010. Seules 20 pour cent des barrières commerciales érigées depuis 2008 ont été supprimées après leur mise en place.
Le rapport constate une forte discontinuité de la croissance et du commerce mondiaux dans les périodes ayant précédé et suivi la crise financière. Dans la période après 2008, la croissance commerciale a tout juste atteint en moyenne la moitié du niveau d’avant 2008. L’OMC remarque que, « Le rythme lent de la croissance commerciale relative à la croissance du PIB au cours des quatre dernières années contraste avec la période de 1990 à 2008 où le commerce des marchandises avait crû 2,1 fois plus vite que la moyenne du PIB mondial.
Le commerce mondial a chuté en 2015, à commencer par un effondrement des prix des produits et une volatilité des exportations. Le rapport dit: « La valeur en dollars du commerce mondial a fortement chuté en 2015 et continua de rester 13 pour cent en dessous du niveau de l’an dernier durant le quatrième trimestre. »
Les tendances au nationalisme économique vont probablement s’intensifier sous l’effet de ce qui pourrait être une période indéfinie de marasme économique; un nombre grandissant d’économistes commencent à avertir de cela.
Au début de l’année, Maurice Obstfeld, économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI) a averti que l’économie mondiale, de « plus en plus décevante », était menacée d’un « ralentissement synchronisé » dans un contexte de risque croissant de nouvel effondrement financier et de montée du protectionnisme. « Partout en Europe, le consensus politique qui avait jadis porté le projet européen est en train de s’effiler, » et s’accompagne d’une « marée montante de nationalisme et de repli sur soi, » a-t-il prévenu.
« L'une des manifestations est la véritable possibilité que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, abîmant un vaste éventail de relations commerciales et de possibilités d’investissement, » a dit Obstfeld, ajoutant, « Dans d’autres pays industrialisés, comme en Europe, et comme aux Etats-Unis, une réaction violente contre l’intégration économique transfrontalière risque de stopper ou même d’inverser la tendance d’après-guerre d’une libéralisation toujours plus prononcée des échanges. »
Dans des observations faites mardi devant le Sénat américain, la présidente de la Réserve fédérale américaine, Janet Yellen, a réitéré des inquiétudes déjà exprimées au début du mois, que les tendances persistantes vers une récession économique pouvaient se poursuivre indéfiniment. « Nous ne pouvons pas exclure la possibilité exprimée par certains économistes influents que la croissance lente de la productivité de ces dernières années ne se poursuive à l’avenir, » a-t-elle dit.
Elle a aussi mis en garde contre les répercussions d’une décision de la Grande-Bretagne de sortir de l’UE, disant qu’un tel résultat pouvait déclencher une liquidation sur les marchés financiers et ouvrait même la possibilité d’une récession aux Etats-Unis.
La vaste majorité des nouvelles mesures anti-commerciales prennent la forme de cas d’« anti-dumping » où les pays appliquant ces mesures reprochent aux autres de vendre intentionnellement les marchandises à un prix en dessous du marché. Environ 40 pour cent de ces cas concernaient les métaux et principalement l’acier.
Le mois dernier, le Département américain du Commerce avait annoncé vouloir imposer des taxes de l’ordre de 500 pour cent sur l’acier chinois, applicables dès cet été, après avoir conclu que les aciéries chinoises « bazardaient » leurs produits sur les marchés américains.
La surcapacité mondiale de l’industrie sidérurgique a entraîné des licenciements massifs au plan mondial, dont l’arrêt effectif de la production en Grande-Bretagne avec la fermeture des activités de Tata Steel dans ce pays. En début d’année, la Chine a annoncé la suppression de 500.000 emplois dans la sidérurgie et de 1,3 million d’emplois dans l’industrie minière connexe.
Ce mois-ci, les Etats-Unis ont approuvé le cas d’US Steel, premier producteur d’acier américain, de vouloir interdire les importations d’acier des concurrents chinois, se servant cette fois-ci comme prétexte de tentatives présumées des sociétés chinoises de voler des secrets commerciaux.
L’affaire ouvre la réelle possibilité que le prochain président américain pourrait interdire toutes les importations d’acier en provenance de Chine, une décision qui aurait d’énormes conséquences économiques et géopolitiques. Simon Evenett, professeur de commerce international à l’université de St-Gall en Suisse, a dit au Financial Times, « Ceci devrait déclencher tous les signaux d’alarme… C’est véritablement une option nucléaire. »
Les économistes pensent généralement que l'effondrement du commerce mondial et la montée du protectionnisme sont parmi les principales causes de l’extension de la Grande dépression dans les années 1930. On estime par exemple que la loi américaine Smoot-Hawley Tariff Act de 1930 a contribué à réduire les exportations et les importations américaines de plus de moitié.
Après la crise financière de 2008, les membres du G20 s’étaient engagés à ne pas répéter ce qu’ils considéraient être les erreurs des années 1930, et à éviter de réagir au ralentissement de la croissance par des mesures de guerre économique. Mais, sur fond d’aggravation d’une récession économique qui perdure et de surcapacités mondiales, combiné à une opposition politique et à des luttes sociales croissantes de la classe ouvrière – les tendances qui avaient prévalu dans les années 1930 – toutes les économies capitalistes du monde s’orientent de plus en plus vers la promotion du militarisme, du fanatisme nationaliste et du populisme économique d’extrême-droite.
Dans les années 1930, la montée du protectionnisme économique dans les conditions d’une crise économique insoluble avait été le prélude à la Seconde Guerre mondiale. Ces mêmes conditions règnent actuellement de plus en plus dans le monde entier. Les institutions internationales créées dans la période d’après-guerre pour stabiliser les tendances menant à la fragmentation nationale, comme l’Union européenne, sont en train de craquer de toutes parts. Indépendamment de l’issue du référendum de jeudi, cela ne fera que s’accroître ces prochaines années à mesure que s’intensifieront les tendances qui ont dominé la période d’après 2008 – récession économique, parasitisme financier et accroissement du nationalisme économique.
En fin de compte, comme dans les années 1930, ces développements, qui ont leur source dans les contradictions internes du système capitaliste de l’Etat-nation, ne peuvent avoir d’issue pacifique et sont la cause des interminables provocations militaires des Etats-Unis contre la Russie et la Chine. Ils sont aussi la cause de la croissance virulente du militarisme dans les pays ayant joué un rôle de premier plan dans la Seconde Guerre mondiale: l’Allemagne et le Japon.
(Article original paru le 22 juin 2016)