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Le profond malaise économique de la Chine

Par Peter Symonds
14 janvier 2016

Les bouleversements sur les marchés boursiers mondiaux depuis le début de l’année ont attiré l’attention sur la Chine; on craint que le marasme de ses marchés d’actions et la baisse du renminbi (yuan) n’indiquent un malaise économique bien plus profond. Le ralentissement de l’économie chinoise, qui expose des surcapacités massives dans l’industrie et le marché immobilier, et des niveaux élevés de dette, menace de déclencher une recrudescence de la lutte de classe.

Le taux officiel de croissance pour 2015 a été établi à 6,9 pour cent, avec un objectif de 6,5 pour cent pour 2016 (10,6 pour cent en 2010), le plus bas niveau en un quart de siècle. Toutefois, nombre d’analystes ont émis des doutes sur les chiffres du gouvernement. Comme l’a signalé par exemple dans le Financial Times la semaine dernière un sondage réalisé par Consensus Economics, son panel pour la Chine prévoit une croissance de seulement 4,8 pour cent en 2016.

Les statistiques sont tellement douteuses que les spécialistes se tournent vers d’autres indices, comme celui que l’on appelle le Keqiang, qui aurait été créé par le premier ministre Li Keqiang, pour avoir une jauge plus précise de l’état de l’économie. Les trois éléments de l’indice Keqiang – le fret sur rail, la production d’électricité et les prêts bancaires – sont tous en baisse. Le magazine économique Caixin a rapporté la semaine dernière que le fret ferroviaire avait chuté de 10,5 pour cent en 2015, la plus forte baisse annuelle jamais enregistrée.

Le ralentissement chinois est le produit de tendances mondiales à la récession. La restauration du capitalisme et la transformation du pays en première plate-forme de travail bon marché du monde ces trois dernières décennies ont mené à une expansion économique colossale. Le régime de Pékin a réagi à la crise financière mondiale de 2008, qui a frappé les exportations et détruit 20 millions d’emplois, par un énorme plan de relance et un flot de crédit pas cher qui a assuré le maintien de taux de croissance élevés. L’investissement n’a cependant pas eu lieu dans les capacités productives mais dans les grands projets d’infrastructure et a surtout alimenté une spéculation frénétique dans l’immobilier, puis dans les marchés d’actions.

Cette stratégie, fondée sur une sortie rapide de la crise mondiale et un retour à des taux élevés de croissance dans le monde, s’est délitée. Les exportations ont continué de diminuer, révélant d’énormes surcapacités, notamment dans les industries de base. Le marché immobilier s’est engorgé et les prix stagnent. Les marchés d’actions chinois, qui ont atteint des hauteurs vertigineuses dans la première moitié de 2015, se sont effondrés et constituent à présent une autre source d’instabilité.

Le gouvernement chinois cherche à passer d’une économie basée sur l’exportation de produits manufacturés à une économie de services reposant sur la consommation intérieure. Mais le nouveau « modèle » se heurte à des contradictions dont celle-ci n’est pas la moindre: l’augmentation de la consommation intérieure nécessite des revenus plus élevés pour les travailleurs, ce qui nuit à la compétitivité de la Chine en tant que pôle d’exportation à bas salaires. En outre, le régime est confronté à une pression internationale croissante pour accélérer les réformes pro-marché, dont la fermeture ou la restructuration d’un grand nombre d’entreprises appartenant à l’État (SOE) – une mesure qui fera monter le chômage et baisser la consommation domestique.

Malgré le battage au sujet de la transition de la Chine, la fonction du pays dans l’économie mondiale reste celle d’une plate-forme de travail à bon marché. Toutes les statistiques pour la fabrication sont peu encourageantes. Selon un indice du climat des affaires publié par Caixin le mois dernier, l’emploi manufacturier en Chine a baissé pendant 25 mois. L’indice officiel des directeurs d’achat du secteur manufacturier (PMI) pour décembre est légèrement monté par rapport à novembre, mais reste en dessous de 50, le chiffre indiquant la croissance. L’indice PMI de Caixin pour décembre était en baisse par rapport à novembre – et sous le chiffre de 50 pour le 10e mois consécutif.

Le premier ministre Li a dit lors d’un séminaire à Beijing en novembre que le gouvernement était déterminé à réduire les surcapacités des industries traditionnelles et le grand nombre d’entreprises dites zombies, désignant en particulier l’acier et le charbon. Jusqu’à présent, cependant, peu de mesures ont été prises par crainte, à tous les niveaux de gouvernement, d’une montée de l’agitation sociale.

Le mois dernier le New York Times avait mis en évidence le sort du groupe Longmay, la plus grande entreprise de charbon du nord-est de la Chine, qui avait annoncé l’élimination de 100.000 emplois en septembre dernier, soit 40 pour cent de sa main-d’œuvre dans 42 mines sur quatre villes. Cette SOE du gouvernement provincial du Heilongjiang a toutefois retardé les suppressions d’emplois. Plusieurs centaines de travailleurs âgés ont été licenciés, mais les autorités provinciales ont prévu un fonds de sauvetage à court terme de 600 millions de dollars pour surmonter le problème immédiat de la dette de l’entreprise.

Deng Shun, un analyste chez ICIS C1 Energy, a dit au New York Times: « Ils sont très préoccupés par l’agitation sociale, alors ils hésitent. Ces licenciements devaient avoir lieu il y a deux ans. » Les craintes du gouvernement provincial étaient fondées cependant, les manifestations ayant éclaté avant que les licenciements de masse n’aient lieu. En avril, des milliers de personnes ont défilé dans la ville de Hegang pour protester contre des salaires en retard. Les organisateurs ont été arrêtés et emprisonnés. En octobre, la direction de l’entreprise n’a évité une autre protestation qu’en bloquant les travailleurs dans les mines, le jour d’un rassemblement prévu.

Les travailleurs des mines sont bien conscients que la prétendue perspective d’emploi dans un secteur des services en expansion est illusoire. Heilongjiang, une des provinces les plus défavorisées de Chine sur le plan économique, est déjà en récession. La production économique a chuté de 2,2 pour cent au cours des trois premiers trimestres de 2015 par rapport à la même période en 2014.

Le ressentiment et l’amertume dans la classe ouvrière a été exprimé par M. Cui, un ancien mineur, devenu chauffeur de taxi, qui a dit au New York Times: « Dans les années 90, tout le monde était pauvre. Maintenant, les riches sont trop riches et les pauvres sont trop pauvres. A cause des licenciements, tout le monde est inquiet. Personne n’a de quoi vivre en dehors des mines. Avec les vacances du Nouvel An qui approchent, ce sera le chaos à Hegang. »

Ce ne sont pas juste les mineurs ou les travailleurs des industries de base qui sont touchés par d’importantes pertes d’emplois. Écrivant dans le South China Morning Post le mois dernier, l’analyste Andy Xie explique que « la Chine peut avoir surinvesti jusqu’à 40 billions de yuans (6,1 billions de dollars) depuis 2009. Cela se manifeste physiquement dans les bâtiments vides et la surcapacité industrielle. »

Après avoir cité des estimations que l’industrie sidérurgique aurait une surcapacité de 200 à 400 millions de tonnes – plus que la production totale de tout autre pays – Xie dit que « cette situation désastreuse est commune à toutes les industries de matières premières. De nouvelles industries comme la fabrication de smart phones ont déjà une grande surcapacité. Même les centrales électriques sont extrêmement sous-utilisées. »

La China Iron and Steel Association a signalé que dans les onze premiers mois de 2015, les grandes et moyennes aciéries avaient subi des pertes de 53.100 milliards de yuans (8.180 milliards de dollars). Wuhan Iron & Steel, une importante SOE, a annoncé le mois dernier qu’elle prévoyait de supprimer 6.000 emplois d’ici trois mois, tandis que sa société mère pourrait en éliminer 11.000 et réduire les salaires de 20 pour cent en 2016.

La restructuration est déjà en cours dans d’autres industries. Deux des plus grands groupes de transport maritime de la Chine ont fusionné le mois dernier et ses deux plus grands fabricants de trains, CNR et CSR, ont fait de même plus tôt l’année dernière.

On parle de pertes d’emplois bien plus importantes encore alors qu’on débat dans les cercles dirigeants chinois sur la nécessité d’éliminer le « chômage invisible » -- des travailleurs qui restent dans les entreprises, même s’il y a peu à faire pour eux. Le gouvernement fait face à un endettement croissant dont une grande partie est accumulée par les gouvernements locaux qui financent des projets d’infrastructure et renflouent en permanence des « sociétés zombies » comme Longmay. La dette du pays par rapport au produit intérieur brut a augmenté de près de 50 pour cent au cours des quatre dernières années.

Dans ses prévisions annuelles, l’Académie chinoise des sciences sociales a exhorté le gouvernement à rendre le « chômage invisible » plus visible en 2016 en permettant à davantage d’entreprises publiques de faire faillite. Wei Yao, stratège à la Société Générale, a publié une note en novembre disant que 1,7 million de travailleurs seraient licencié dans une première vague destinée à répondre « aux questions économiques les plus pressantes de la Chine: mauvaise distribution du capital, croissance attendue des actifs non performants et détérioration de la productivité. » Autrement dit, comme partout dans le monde, on fait subir aux travailleurs chinois le fardeau de la crise en détruisant leurs emplois et leurs conditions de travail.

Les protestations des travailleurs de Longmay dans le Heilongjiang l’an dernier ne sont qu’une indication de l’intensification des tensions de classe. Les derniers chiffres du « China Labour Bulletin » de Hong Kong montrent que le nombre de grèves et de manifestations a plus que doublé en 2015 (2.774 cas, pour 1.379 en 2014), avec une augmentation marquée en décembre. La plupart des grèves étaient pour non-paiement de salaires, souvent en retard d’un mois, une pratique courante dans la construction mais qui se propage maintenant à la fabrication, à l’industrie minière et aux services.

Ces chiffres, loin d’être complets, donnent un aperçu du formidable mécontentement dans la classe ouvrière, que le régime cherche constamment à supprimer à travers les syndicats étatiques et des méthodes d’État policier. La peur constante de la direction du Parti communiste chinois est que la classe ouvrière considérablement élargie — estimée à 400 millions — s’échappera de ce carcan et ébranlera le régime et son emprise précaire sur le pouvoir.

(Article paru d’abord en anglais le 13 janvier 2016)