Une élection partielle au Royaume-Uni approfondit les divisions dans la classe dirigeante sur le Brexit
Par Robert Stevens
5 décembre 2016
Les Démocrates libéraux britanniques (Lib Dems) ont remporté jeudi l’élection partielle de Richmond Park contre un Candidat conservateur qui avait remporté les élections en 2015 avec 23 000 voix d’avance sur le deuxième, dans l’une de ses circonscriptions les plus fidèles.
L’élection partielle dans cette circonscription du Grand Londres a été provoquée par la démission du député conservateur Zac Goldsmith au sujet du projet du gouvernement de construire une troisième piste à l’aéroport de Heathrow. Cependant, suite au référendum de juin sur le Brexit, l’enjeu de l’élection était de savoir si le Royaume-Uni allait rester ou quitter l’Union européenne.
Les Lib Dems, qui ont maintenant neuf députés, ont remporté le siège en faisant campagne contre le Brexit. Ils se sont engagés à voter contre toute démarche de la Première ministre conservatrice Theresa May pour déclencher l’article 50, ce qui commencerait le processus de sortie de l’UE, si le Parlement pouvait finalement voter sur la question.
La candidate des Lib Dems, Sarah Olney, a remporté un peu moins de 50 pour cent du total des voix. Le candidat du Parti travailliste, Christian Wolmar, a été à la troisième place, remportant seulement 1515 voix (3,67 pour cent) et a perdu sa caution électorale. Un grand nombre des électeurs, des conservateurs et des travaillistes, ont décidé de voter pour Olney.
Goldsmith est un fervent partisan du Brexit. Les conservateurs ne lui ont pas opposé un candidat, et ont appelé par contre à voter pour lui. Le parti d’extrême droite UKIP (Parti pour l’Indépendance du Royaume-Uni) a soutenu Goldsmith aussi.
La perte du siège réduit la majorité parlementaire du gouvernement conservateur à seulement 13 députés.
Les Lib Dems et d’autres forces pro-UE ont sauté sur le résultat comme une preuve de la nécessité de construire une « alliance progressiste » partisane de l’UE, ou au moins de la poursuite de l’adhésion au marché unique. Dans son discours d’acceptation, Olney a déclaré : « Notre message est clair : nous ne voulons pas d’un Brexit dur (une sortie de l’UE sans nouvel accord commercial). Nous ne voulons pas sortir du marché unique”.
Le dirigeant des Lib Dems Tim Farrow a déclaré : « Près d’un tiers des électeurs conservateurs de la dernière élection qui ont voté pour quitter l’UE en juin ont voté hier pour les Libéraux Démocrates », ajoutant qu’« il s’agissait de gens qui essaient de dire à Theresa May nous n' aimons pas la version extrême du Brexit, en dehors du marché unique, où vous nous emmenez ».
Le Parti Vert s’est abstenu à l’élection, afin de soutenir Olney. Caroline Lucas, la seule députée des Verts, a déclaré vendredi « L’alliance régressive a été vaincue et le gouvernement a subi un coup de massue contre sur son projet de Brexit dur ».
Le vote a une importance accrue compte tenu de l’audience de quatre jours à la Cour suprême qui commencera à partir de lundi prochain, où le gouvernement contestera la décision du mois dernier de la Haute Cour, selon laquelle la première ministre ne peut pas contourner le Parlement et utiliser les pouvoirs de la Prérogative royale pour déclencher l’Article 50.
Cependant, on peut difficilement dire que Richmond Park était une circonscription baromètre en ce qui concerne l’humeur nationale sur le Brexit. Le référendum de juin a enregistré une victoire étroite pour le mouvement Leave à l’échelle nationale, avec 52 pour cent de vote pour la sortie et 48 pour cent pour rester. Mais les arrondissements de Londres ont voté à 59 pour cent en faveur de rester. Richmond Park, une circonscription aisée avec la deuxième plus forte concentration de professionnels indépendants plutôt âgés et riches du Royaume-Uni, a voté massivement en faveur de rester par une majorité de 72 pour cent.
Les forces pro-Brexit ont répondu aux affirmations pro-UE des Lib Dems en disant qu’ils avaient gagné le siège sur un taux de participation de seulement 53 pour cent, une baisse de 23 pour cent par rapport à l’élection législative dans une circonscription qui serait naturellement favorable à leur ligne. La prochaine élection partielle, qui se tiendra le 8 décembre dans la circonscription de Sleaford et North Hykeham dans le Lincolnshire, au Nord de l’Angleterre, montrerait un résultat pro-Brexit, ont-ils insisté.
L’élection partielle de Sleaford et North Hykeham a été motivée par la démission du député conservateur Stephen Phillips, un opposant à la décision de Premier ministre May de contourner le parlement en déclenchant l’article 50 pour la sortie de l’UE, qui avait remporté la circonscription par une marge de plus 24 000 voix.
Quelle que soit l’interprétation des chiffres, ce qui importe est le fait que la politique britannique subit une refonte sur la base du soutien à un programme pro- ou anti-UE. L’aggravation de la crise économique post-Brexit, alimentée par l’incertitude politique accrue résultant de la victoire disputée de Donald Trump aux élections présidentielles américaines, est en train de refaçonner les loyautés politiques de manière à transgresser les lignes des partis. Chaque événement est exploité pour justifier la position politique des deux camps qui s’opposent âprement au sein de l’élite dirigeante.
Un porte-parole conservateur a répondu avec l’affirmation agressive, « Ce résultat [Richmond Park] ne change rien. Le gouvernement reste déterminé à quitter l’Union européenne et à déclencher l’article 50 d’ici la fin du mois de mars de l’année prochaine ».
Bien que cela enchante le noyau dur substantiel pro-Brexit de 80 députés et la base plus large du parti, cela aliénera davantage son aile pro-UE. La députée conservatrice Anna Soubry, une partisane fervente du camp Remain (rester dans l’UE), a écrit un tweet que le résultat de Richmond était « fabuleux », ajoutant : «[Les] politiciens ignorent les partisans de Remain à leur péril et vous pouvez mettre au rebut le hard Brexit ».
Les fissures au sujet de l’Europe qui déchirent les Tories (conservateurs) ont également une influence sur le Labour, où l’aile Blairiste résolument pro-UE intensifie ses efforts pour renverser le chef du parti Jeremy Corbyn et refondre le parti comme principal véhicule politique pour empêcher le Brexit. Avant la campagne électorale de Richmond, trois députés travaillistes de premier rang, Lisa Nandy, Jonathan Reynolds et Clive Lewis, ont écrit un article demandant au Labour de ne pas présenter un candidat à l’élection afin de « mettre l’intérêt national avant tout ». L’article a dénoncé Goldsmith comme un « partisan du hard Brexit » et déclaré que « le vote contre lui ne doit pas être divisé ». Avec un clin d’œil à la formation d’un parti partisan du mouvement pro-UE, il a ajouté : « Dans ce prochain Parlement, les progressistes auront besoin de chaque vote qu’ils peuvent obtenir ».
Le résultat de Richmond sera utilisé pour exercer une pression supplémentaire sur Corbyn.
Les retombées du référendum de juin ont été utilisées par les Blairistes pour lancer une tentative de pustch contre Corbyn en forçant une élection en vue de le remplacer à la tête du parti au prétexte qu’il n’était que « peu enthousiaste » quant à l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE.
Même après avoir vaincu ces agissements, grâce à un large soutien populaire, Corbyn a continué avec ses capitulations envers la droite, illustrées récemment par sa décision de ne pas appuyer une motion parlementaire appelant à une enquête sur les mensonges de l’ancien Premier ministre Tony Blair justifiant la guerre illégale contre l’Irak.
En l’espace de quelques heures après la défaite de la motion du Parti national écossais, grâce à la lâcheté de Corbyn, Blair annonçait la formation d’un nouveau groupe de pression politique sur une « plate-forme conçue pour établir un nouveau programme politique pour le centre ». Il a ajouté que, « Son axe sera en partie évidemment centré sur le débat européen ».
En appelant à un boycott actif, le Parti de l’égalité socialiste avait insisté pendant la campagne référendaire que les factions pro – et anti-UE de l’élite dirigeante sont toutes réactionnaires.
Les partisans du Brexit fondent leur stratégie sur les calculs selon lesquels l’Union européenne est à l’agonie et que l’impérialisme britannique doit être libéré de toute contrainte sur sa capacité d’exploiter les marchés mondiaux. C’est sur cette base que le gouvernement de Theresa May sollicite en rampant l’approbation de Trump, un partisan du Brexit, tout en faisant des efforts concertés pour développer des liens économiques plus étroits avec la Chine et l’Inde.
Le Parti de l’égalité socialiste a insisté sur le fait que le camp de Remain, qui représente les intérêts des escrocs financiers de la City de Londres, se préoccupe uniquement de l’accès au marché unique et adopte volontiers la rhétorique anti-immigration des partisans du Brexit, en exigeant des restriction ou la fin de la libre circulation des citoyens de l’UE vers le Royaume-Uni. Dans leur approbation de l’UE, ils glorifient l’institution haïe par des millions de travailleurs à travers le continent en raison de son imposition continue de l’austérité.
(Article original anglais paru le 2 décembre 2016)