Echange de coups diplomatiques entre les États-Unis et la Chine au sujet de la Mer de Chine du sud
Par Peter Symonds
24 novembre 2015
Les dirigeants américains et chinois se sont affrontés à propos de la Mer de Chine méridionale le week-end dernier lors des réunions au sommet à Kuala Lumpur de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ANASE). Si les attentats de Paris figuraient en bonne place dans les discussions, le président américain Barack Obama a fait en sorte que les différends territoriaux entre la Chine et les pays voisins y aient la priorité, aggravant encore les tensions dans la région.
Dans le cadre du « pivot » américain « vers l’Asie » dirigé contre Pékin, Obama a ciblé la récupération chinoise de terres sur des îlots en Mer de Chine méridionale. Le mois dernier, la marine américaine avait directement contesté les revendications territoriales chinoises par l’envoi d’un destroyer, l’USS Lassen, dans les eaux territoriales autour des îlots. Washington exploite délibérément la question afin d’enfoncer un coin entre Pékin et ses voisins d’Asie du Sud-Est.
S’adressant à une réunion des dirigeants des pays de l’ANASE samedi, Obama a réitéré la demande américaine que ceux qui revendiquaient les terres « stoppent les récupérations de terres, la construction neuve et la militarisation des zones contestées. » Bien que s’appliquant nominalement à tous ceux qui revendiquaient des territoires, les commentaires d’Obama ciblaient clairement la Chine. Il a répété le même message tout au long des réunions de Kuala Lumpur et au sommet de la coopération économique Asie-Pacifique (APEC) la semaine dernière à Manille.
Obama a scellé un partenariat stratégique entre les États-Unis et l’ANASE, dont « la coopération maritime » était un élément clé. Les Philippines, le Vietnam, la Malaisie et Brunei ont des revendications qui les opposent à la Chine en Mer de Chine méridionale. L’Indonésie menace la Chine d’opposition judiciaire, même si Pékin reconnaît la souveraineté de Jakarta sur les îles Natuna.
Au nom de « la paix et de la stabilité » dans la région, les dirigeants américains et de l’ANASE ont réaffirmé l’importance de « garantir la sécurité et la sûreté maritimes et la liberté de navigation, y compris par le survol de la Mer de Chine méridionale. » La déclaration conjointe approuve en effet à l’avance d’autres intrusions américaines dans le territoire chinois revendiqué. À Manille la semaine dernière, Obama avait annoncé que les États-Unis fournissaient un quart de milliard de dollars en aide militaire aux membres de l’ASEAN pour renforcer la « sécurité maritime. »
Après avoir tenté d’éviter que la mer de Chine méridionale soit discutée, le premier ministre chinois Li Keqiang a réagi fortement dimanche lors d’une session à huis clos du Sommet de l’Asie de l’Est, parrainé par l’ANASE, où Obama était présent. Il y a dit que les pays « extérieurs à la région » devaient cesser d’exacerber les tensions sur les différends maritimes.
Le vice-ministre chinois des Affaires étrangères, Liu Zhenmin, qui a rapporté les propos de Li, a déclaré aux médias qu’il était faux de prétendre que la Chine militarisait la Mer de Chine méridionale. Les actions de Pékin étaient « irréprochables » et qualifié l’intrusion de l’USS Lassen le mois dernier de « provocation politique » conçue pour « tester la réaction de la Chine » a-t-il dit.
La Chine a subi une pression croissante non seulement des États-Unis, mais des alliés de Washington, les Philippines, le Japon et l’Australie. La présidente philippine Benigno Aquino aurait déclaré au Sommet Asie de l’Est que « le monde observait » Pékin pour voir s’il se comporterait en « leader mondial responsable. » Avec le soutien américain, les Philippines sont actuellement engagées dans une contestation judiciaire des revendications chinoises en Mer de Chine méridionale.
Le Japon a également soutenu à fond les États-Unis. Le premier ministre japonais Shinzo Abe a rencontré Obama jeudi dernier en marge du sommet de l’APEC et a annoncé que son gouvernement allait « envisager l’envoi de ses forces d’autodéfense (SDF) [militaires] dans cette Mer tout en examinant l’impact de la situation là-bas sur sa propre sécurité. »
Le général Nakatani, ministre de la Défense, a nié que le Japon eût l’intention de rejoindre l’armée américaine pour défier les revendications chinoises. Cependant, aux entretiens ministériels entre le Japon et l’Australie dimanche à Sydney, Nakatani a accusé la Chine de « tenter de modifier le statu quo par la force » en Mer de Chine méridionale, « basée sur des affirmations présomptueuses incompatibles avec le droit et l’ordre international. »
La menace du Japon de participer à des opérations navales en Mer de Chine méridionale est particulièrement provocatrice compte tenu de son histoire d’agressions, de colonisation et de crimes de guerre en Asie dans les années 1930 et 1940. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois Hong Lei a répondu aux commentaires d’Abe en disant que Pékin serait en « alerte maximale pour une intervention du Japon en Mer de Chine méridionale. »
Dans ses entretiens avec Obama, Abe a promis que le Japon « soutiendrait les pays concernés par des initiatives telles que la coopération des SDF au renforcement des capacités en fait d’équipements de défense et d’assistance. » Tokyo fournit déjà des patrouilleurs aux Philippines et au Vietnam. Après avoir atteint un accord d’équipements de défense avec Aquino la semaine dernière, Abe a dit qu’il allait examiner une demande des Philippines pour la fourniture de « gros patrouilleurs. »
À Sydney, dimanche, la ministre australienne des Affaires étrangères Julie Bishop a réaffirmé l’engagement total de l’Australie vis-à-vis des actions américaines en Mer de Chine méridionale. Elle a dit que la « récupération de terres et l’activité de construction par la Chine et d’autres pays à revendications créent des tensions dans la région. » En fait, les actions de Washington au cours des cinq dernières années ont délibérément enflammé des différends de longue date, posant le danger d’une guerre entre deux puissances nucléaires.
Lors d’une réunion avec le Premier ministre Li à Kuala Lumpur, le premier ministre australien Malcolm Turnbull a dit à son homologue chinois que les actions de Pékin en Mer de Chine méridionale étaient « contre-productives » et risquaient de déclencher une guerre. Il a exhorté Li à ne pas « tomber dans un piège de Thucydide » -- en référence aux guerres entre Athènes, le pouvoir qui montait et Sparte, le pouvoir établi, dans la Grèce antique.
Si Washington et ses alliés montrent régulièrement Pékin du doigt, c’est bien le « pivot » américain « vers l’Asie » qui vise à assurer la poursuite de la domination américaine en Asie et la subordination de la Chine aux intérêts américains. Ces vingt dernières années, les États-Unis ont régulièrement utilisé la force militaire pour compenser leur déclin historique, menant des guerres d’agression au Moyen-Orient et en Asie centrale. Cette dernière offensive diplomatique de Washington aux sommets asiatiques va de pair avec un renforcement du dispositif militaire dans toute la région et prépare une guerre contre la Chine.
Tout en déclarant qu’ils étaient pour « la paix et la stabilité, » les États-Unis ont déjà clairement montré qu’ils avaient l’intention de poursuivre leurs défis provocateurs en Mer de Chine méridionale. À la veille des sommets, deux bombardiers B-52 stratégiques des États-Unis, pouvant porter des armes nucléaires, étaient allés près des territoires revendiqués par la Chine. Vendredi dernier, un responsable américain de la marine a déclaré aux médias que la prochaine prétendue opération de liberté de navigation serait probablement en décembre, ce qui mènera à nouveau toute la région au bord du précipice.
(Article paru d’abord en anglais le 23 novembre 2015)