De la pseudo-gauche à la nouvelle droite: le parcours de Jean-Luc Mélenchon
Par Alex Lantier et Kumaran Ira
20 octobre 2014
La trajectoire parcourue par l’ancien étudiant radical soixante-huitard, ancien sénateur du Parti socialiste (PS), ancien ministre PS et maintenant ancien dirigeant du Parti de Gauche (PG) Jean-Luc Mélenchon, fait fonction d’avertissement politique. Dans le contexte d’une crise capitaliste mondiale sans précédent, les partis de la pseudo-gauche sont en train de passer dans le camp de la droite, nouant leurs propres liens avec des groupes droitiers, y compris avec la périphérie politique du Front national néo-fasciste (FN).
Depuis sa démission de la direction du PG le 22 août dernier et le lancement du Mouvement pour la 6ème République (MSR), Mélenchon a proclamé la mort à la fois du socialisme et de la gauche, l’importance nulle de la classe ouvrière, sa crainte de la révolution et sa conversion en politicien au service du « peuple ». Son adoption de positions qu’on associe historiquement à la politique de l’extrême-droite, est l’expression d’une nouvelle étape dans la dégénérescence de la pseudo-gauche. Celle-ci apparaît à présent comme la Nouvelle droite.
Mélenchon est poussé en cela par l’effondrement de l’ensemble du cadre politique et géostratégique dans lequel la pseudo-gauche a travaillé durant des décennies. Les guerres, les crises économiques, les modifications des rapports de forces entre les principaux pays impérialistes et les puissances mondiales, ainsi que la colère populaire grandissante contre la guerre et l’austérité ont déstabilisé la politique française. Après la désintégration du PASOK grec et la chute du parti socialiste espagnol (PSOE), le PS français est en train de s’effondrer, le vote du FN est en progression, le président François Hollande (PS) imposant des mesures d’austérité en dépit de l’opposition populaire.
La préoccupation première de Mélenchon est le risque d’une révolution sociale. Dans un article du Monde intitulé « Pour une VIe République avec une souveraineté populaire jusqu’au bout », il montre clairement que les appels du MSR à un référendum pour faire partir le président traduisent l’inquiétude que la colère de masse contre Hollande n’explose bien avant le terme de son mandat en 2017. Il écrit: « Si, selon les sondages (IFOP, réalisé du 8 au 9 septembre), 62 pour cent des Français souhaitent qu'il s'en aille plus tôt que prévu, il faut que cela soit possible sans barricades. »
Dans son nouveau livre, « L’ère du peuple », il prévient : « Je sais bien que l’énergie de masses immenses enfermées dans une impasse peut entrainer des éruptions du mauvais côté du volcan. »
De tels commentaires sont une défense contre-révolutionnaire du capitalisme. Quant aux tentatives de Mélenchon d’appliquer au MSR un vernis nationaliste « progressiste » en l’entourant du halo de la Révolution française, elles représentent une escroquerie politique. Il affirme que le MSR relancera la citoyenneté et la souveraineté française : « Depuis 1789, nous définissons la citoyenneté comme la participation de chacun d’entre nous à l’exercice de cette souveraineté, sous l’empire de la Vertu. »
Quelle imposture! Les évocations de la vertu par Mélenchon sont diamétralement opposées à celles de Robespierre voilà deux siècles. Les révolutionnaires français avaient formulé le besoin de la vertu pour justifier le guillotinement des aristocrates et la redistribution des richesses – perspective que Mélenchon et son ami, le milliardaire droitier Serge Dassault, doivent de nos jours envisager avec nervosité. Depuis que le marxisme et une conception matérialiste de l’histoire sont apparus au 19ème siècle, les appels à la moralité ont cessé d’être la base d’une politique de gauche.
Mélenchon s’efforce d’empêcher une révolution sociale, de s’opposer à une politique de gauche et de défendre la propriété capitaliste. Dans « L’ère du peuple », il annonce la mort de la gauche. Il écrit : « Aucune des réalités du monde qui s’avance n’a de place dans ses raisonnements ni dans ses projets, en supposant qu’elle en ait. » Il souligne ne pas seulement s’en prendre au point de vue discrédité selon lequel le PS représente le socialisme. Pour lui, l’ensemble de la politique de gauche est à l’agonie : « Le mal est bien avancé. Il ne sera pas réparé avec de savantes explications pour discerner la vraie gauche de la fausse. »
Il tient prêts les actes de décès du socialisme et la classe ouvrière. « Ici, c’est le peuple qui prend la place qu’occupait hier la ‘classe ouvrière révolutionnaire’ dans le projet de la gauche, » écrit-il. Il réclame un « dépassement » du socialisme. « La révolution citoyenne, ce n’est pas l’ancienne révolution socialiste, » souligne-t-il.
En effet. Alors que la révolution socialiste est menée par les travailleurs contre la propriété capitaliste, la « révolution » de Mélenchon est une lutte pour la défense de la propriété capitaliste contre la classe ouvrière. Lorsqu’il explique les sujets importants pour sa révolution citoyenne nationale, son point de départ est : « D’abord la propriété. Un point très sensible. Pour les uns il s’agit d’un droit fondamental de l’être humain. Pour nous il s’agit seulement d’une forme de droit d’usage. »
Ce jeu méprisable avec les mots ne vise qu’à rendre les panacées de Mélenchon plus attrayantes aux couches sociales aisées qui gravitent autour de la pseudo-gauche. Le FN, l’Union pour un Mouvement populaire (UMP) et le PS défendent la propriété capitaliste. Mélenchon, nous dit-on, croit seulement que les capitalistes disposent d’un « droit d’usage ». Ces positions expriment toutefois un seul et même point de vue de classe.
Un examen du livre de Mélenchon montre clairement que ce qui motive son virement dans le camp de la droite est sa crainte de l’agonie du capitalisme et d’une nouvelle lutte pour le socialisme de la part de la classe ouvrière. La crise de l’impérialisme américain en particulier le terrifie, et il prédit une suite interminable de crises mondiales n’y voyant d’autre issue que celle d’un effondrement économique et d’une guerre mondiale.
Attirant l’attention sur les dépenses militaires et déficits budgétaires américains insoutenables et sur le poids croissant de la Chine dans l’économie mondiale, Mélenchon écrit : « Le dollar va s’effondrer et les Etats-Unis avec. La question posée n’est pas de savoir si cela aura lieu mais quand. Dans ce domaine les choses sont en train de se précipiter. Ce qui reste incertain, c’est de savoir si les Etats-Unis préféreront une guerre généralisée pour échapper à leur sort. Ou, si leur système monétaire s’effondre, eux-mêmes ne se disloqueront-ils pas en autant d’Etats que leur union en contient ? »
Quelle qu’en soit l’issue, remarque Mélenchon, elle dévasterait le capitalisme français. Ce ne serait « ni progressif ni indolore, » écrit-il. « Elle ruinera aussi tous ceux qui possèdent des avoirs en dollars. Et elle paralysera aussi dans un épisode chaotique toutes les transactions mondiales. » Mélenchon propose sans grand enthousiasme une union monétaire entre la France et la Chine, et ne cache pas son profond pessimisme.
Dans une partie intitulée « Vivement la fin, » il a au départ le faible espoir qu’un scénario de guerre et d’effondrement mondial puisse être évité par l’imposition d’une discipline financière à l’égard de Washington et Wall Street, et de l’austérité aux travailleurs américains. Il écrit : « Ce scénario ne pourrait s’éviter que par une étroite coopération planétaire. Et si les Etats-Unis acceptaient de s’infliger les sacrifices qu’ils demandent d’habitude aux autres par le biais du FMI et de la Banque mondiale. » Il conclut cependant, « Cela ne se fera jamais. La catastrophe est donc inéluctable. »
Des remarques de ce genre et qui excluent toute intervention de la classe ouvrière américaine pour arrêter la catastrophe témoignent de la totale démoralisation des charlatans de la pseudo-gauche tels que Mélenchon. Effrayés par le discrédit des partis bourgeois de « gauche », acceptant de façon sinistre l’inéluctabilité de la guerre mondiale et de l’effondrement économique, cherchant désespérément à imposer l’austérité aux travailleurs, ces charlatans insistent, hystériques, pour dire que le socialisme est mort. Une escroquerie politique de plus.
Mélenchon est parfaitement conscient de la loyauté historique existant pour le socialisme dans la classe ouvrière et qui s’est montrée dans des mouvements comme la grève générale de 1968. Il sait qu’elle existe encore malgré la domination de la politique officielle de « gauche » en France par des réactionnaires comme lui. Ses dénonciations actuelles de la gauche et de la classe ouvrière dans le contexte d’une conscience croissante de l’échec du capitalisme sont une attaque préventive contre la possibilité d’un nouveau mouvement de masse pour le socialisme.
Ceci soulève des questions pressantes quant à une perspective politique pour les travailleurs, les intellectuels et les jeunes qui tendent vers le socialisme. Mélenchon dénonce toute tentative de « discerner la vraie gauche de la fausse. » En fait, la question politique centrale à laquelle est confrontée la classe ouvrière est le gouffre qui existe entre la perspective d’une révolution socialiste mondiale avancée par le Comité International de la Quatrième Internationale (CIQI) et le nationalisme droitier des réactionnaires soi-disant de gauche du type Mélenchon.
Si les prédictions politiques de Mélenchon ne valent rien, il n’y a aucun doute que la classe ouvrière mondiale est confrontée à une crise inégalée et mortelle du capitalisme, qui pose à nouveau toutes les questions non résolues du 20ème siècle. L’intensification des crises financières, le « pivot vers l’Asie » des Etats-Unis pour isoler la Chine et la confrontation militaire de l’OTAN avec la Russie au sujet de l’Ukraine montrent que l’effondrement économique et la guerre mondiale sont des dangers qui menacent la population laborieuse.
Cependant, comme l’écrivait le CIQI dans sa déclaration « Le socialisme et la lutte contre la guerre impérialiste », « les mêmes contradictions qui poussent l’impérialisme au bord du précipice fournissent l’impulsion objective pour une révolution sociale. La mondialisation de la production a entraîné une croissance massive de la classe ouvrière. Seule cette force sociale, qui ne doit d’allégeance à aucune nation, est capable de mettre fin au système d’exploitation qui est la cause première de la guerre. » Dans cette déclaration, le CIQI s’est voué à la construction du CIQI sur le plan international et en France, en tant que direction de la lutte socialiste du prolétariat mondial contre le danger de guerre.
De l’autre côté de la barricade, Mélenchon dénonce le socialisme en s’associant à des forces ouvertement droitières: il fait l’éloge du journaliste de droite controversé Eric Zemmour, se fait l’ami de stratèges de l’UMP comme Patrick Buisson et fait des ouvertures à la dirigeante du FN, Marine Le Pen.
La seule façon de le comprendre, c’est comme une culmination de la carrière de Mélenchon dans la politique profondément corrompue de la pseudo-gauche et de la « gauche » bourgeoise. En 1972, il rejoignait l’Organisation communiste internationaliste (OCI) alors qu’il était étudiant, un an après que l’OCI ait rompu avec le CIQI et le trotskysme. A l’époque, l’OCI avançait une perspective nationaliste et de collaboration de classe et affirmait pouvoir construire un mouvement révolutionnaire en faisant pression sur le Parti communiste français (PCF) stalinien et le PS nouvellement créé pour qu’ils s’unissent et forment une « Union de la gauche. »
Comme un grand nombre de membres de l’OCI à cette époque, Mélenchon quitta l’OCI pour adhérer au PS, dans son cas précis en 1976. Il devait dire plus tard avoir été conquis par les discours prononcés par le dirigeant du PS et futur président, François Mitterrand. Il devint sénateur après que Mitterrand ait effectué en 1983 son « tournant de la rigueur », attaquant la classe ouvrière. Tous deux se sont rencontrés plusieurs fois pour coordonner la stratégie politique. Plus tard, il devint ministre dans le gouvernement PS impopulaire de la Gauche plurielle dirigé par Lionel Jospin (1997-2002) avant de quitter le PS pour fonder en 2009 le Parti de Gauche (PG) en tant que satellite soi-disant de gauche du PS.
Tout en gardant un goût, venu de l’OCI, pour la démagogie nationaliste, les anciens membres de ce parti au sein du PS gagnèrent par Mitterrand des liens avec les crimes les plus terribles du fascisme européen. Durant la Deuxième Guerre mondiale, Mitterrand fut un responsable du régime fasciste de Vichy et fut décoré de l’ordre de la Francisque. Après la guerre, il maintint ses liens avec les familles patronales pro-Vichy et des figures comme le chef de la police de Vichy, René Bousquet, qui aida la Gestapo à organiser la tristement célèbre rafle du Vel’d’Hiv (Vélodrome d’Hiver), déportant plus 13.000 Juifs de Paris vers le camp d’extermination d’Auschwitz.
Ces liens se développèrent à la fin des années 1980 lorsque Mitterrand utilisa le FN pour remporter le second tour des élections en dépit de sa politique impopulaire. Il divisa le vote de la droite en donnant le feu vert à une médiatisation du FN et en changeant la loi électorale pour que le FN ait une plus grande visibilité et prenne des voix aux conservateurs lors des élections présidentielles de 1988. Ces arrangements furent faits par une série d’intermédiaires, comprenant des discussions entre le bras droit de Mitterrand, Roland Dumas, et le dirigeant du FN Roland Gaucher. (Voir : « Cahuzac tax scandal, neo-fascist ties stagger France’s ruling Socialist Party », en anglais).
Dans le contexte des différents scandales ayant éclaté durant cette période au sujet du passé vichyste de Mitterrand, celui-ci défendit Bousquet qui fut inculpé mais finalement tué la veille de son procès par Christian Didier, un écrivain instable. Ceci eut lieu en 1993, vers la fin du second mandat de Mitterrand.
Ces événements révélèrent au grand jour la totalité des implications politiques et historiques de la capitulation de la pseudo-gauche devant le PS. Elle se trouva de l’autre côté de la barricade par rapport aux travailleurs et les divers anciens membres de l’OCI qui furent de proches collaborateurs de Mitterrand n’eurent rien à dire publiquement à ce sujet. Lionel Jospin a fait ce commentaire benoît : « On voudrait rêver d’un itinéraire plus simple et plus clair pour celui qui fut le leader de la gauche française des années 1970 et 1980. »
Quant à Mélenchon, il devait plus tard répondre ainsi à une question sur ses rapports avec Mitterrand durant la présidence de ce dernier : « J’étais aveuglé par l’affection et ma perception un peu romanesque de ma proximité avec lui. Mais, je ne regrette rien. »
Cette capacité à complètement ignorer l’héritage historique criminel représenté par ses associés fut déterminante dans le rôle joué par Mélenchon dans la politique de « gauche ». Elle souligne son association avec des éléments d’extrême droite au milieu de la crise provoquée de nos jours par l’effondrement et le discrédit du PS.
Hollande a chuté à 13 pour cent dans les sondages et même les alliés du PS comme le soi-disant de gauche Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) se demandent publiquement si le PS subira le même sort que le PASOK finissant par occuper une position mineure dans la vie politique. Dans ce contexte, Mélenchon est apparu comme l’un des intermédiaires les plus en vue pour établir non seulement un lien entre le PS et le NPA mais aussi avec les cercles de l’extrême droite. Il a joué un rôle clé dans la campagne d’intégration de l’extrême droite dans le débat politique officiel en France.
Mélenchon a publiquement défendu le journaliste d’extrême-droite Zemmour dont le dernier livre « Le suicide français » s’en prend à Robert Paxton, qualifiant l’historien hautement respecté et auteur du livre « La France de Vichy », d’anti-français. En 2010, Zemmour avait suscité des critiques publiques pour avoir défendu le profilage racial sur la chaîne de télévision Canal+ et déclaré : « Les Français issus de l’immigration étaient plus contrôlés que les autres par la police parce que la plupart des trafiquants sont Noirs et Arabes, c’est un fait. »
Mélenchon a remarqué: « Je connais Zemmour. Il ferait mieux de dire qu’il a dit une bêtise. Ce type n’est pas un raciste. C’est un brillant intellectuel, mais comme tous les intellectuels, il est têtu comme une mule. »
Comme l’a révélé Le Point en 2012, il y avait eu réciprocité. Zemmour avait aidé Mélenchon à obtenir une invitation pour rencontrer Henri Guaino de l’UMP au restaurant de l’Institut du monde arabe à Paris. Guaino, alors le conseiller spécial du président droitier Nicolas Sarkozy, préconisait une stratégie faisant appel à l’électorat de base du FN au moyen d’un débat réactionnaire sur l’« identité nationale », avait discrètement rencontré Mélenchon pour un déjeuner avec lui.
Selon Le Point, « Il a duré deux heures et la conversion (sic) a roulé sur la participation de la France au commandement intégré de l’Otan, sur l’Europe et la vie politique française, les deux hommes se trouvant de nombreux points communs… de ce déjeuner est née une véritable complicité entre ces deux fervents républicains, qui se tutoient. »
Ce n’était là pas l’unique lien de Mélenchon avec des forces favorables à l’extrême-droite au sein de l’UMP de Sarkozy. Il a aussi noué des liens avec Patrick Buisson, un autre proche conseiller de Sarkozy, ex-journaliste à l’hebdomadaire d’extrême droite Minute et adepte de Charles Maurras, journaliste et écrivain antisémite d’avant guerre et membre du parti d’extrême droite Action française. Buisson a également soutenu la campagne sur l’« identité nationale » de Sarkozy.
En 2012, lorsque Mélenchon fut candidat présidentiel du Front de Gauche (FdG), Le Nouvel Observateur rapporta qu’en 2007, Buisson avait invité Mélenchon en ami pour assister à une cérémonie où il recevait la Légion d’honneur. Le Nouvel Observateur écrivit: « Le candidat du Front de gauche et le très droitier conseiller de Sarkozy ont sympathisé du temps où ils participaient ensemble, avant 2007, à l’émission ‘Politiquement show’, sur LCI. »
La main tendue la plus en vue de Mélenchon en direction de l’extrême droite fut sans aucun doute son apparition publique aux côtés de Marine Le Pen. Celle-ci a pris officiellement en janvier 2011 la tête du FN au congrès de ce parti à Tours, que certains éléments du FN ont cherché à faire passer pour similaire au congrès de Tours de 1920, qui fonda le Parti communiste.
Le rôle de Marine Le Pen fut de donner au FN un visage public plus acceptable qu’il ne l’était sous le précédent dirigeant, son père Jean-Marie, à qui les mises en doute ou les dénis de l’Holocauste avaient valu l’antipathie et la défiance d’une grande majorité de Français.
Mélenchon fut l’un des principaux complices de ces manoeuvres réactionnaires de « dédiabolisation » du FN. Après avoir accepté un premier débat avec Marine Le Pen sur BFM-TV le 14 février 2011, il participa à plusieurs autres débats en veillant à garder ses options ouvertes avec Marine Le Pen.
En avril 2012, ils se rencontrèrent pour une poignée de main amicale [handshake] devant les caméras de la chaîne de télévision Direct 8 au Parlement européen. « Vous devez vous réjouir de voir le système trembler, » a dit Marine Le Pen à Mélenchon. « La pression va être forte sur vous, hein, » a-t-elle ajouté.
« Sur vous encore plus, madame, » a répliqué Mélenchon, en proposant d’organiser un autre débat.
Le Pen l’a remercié en disant : « J’en ai marre de me faire traiter de fasciste, » comme Mélenchon l’avait qualifiée quelques semaines avant la rencontre.
Mélenchon rétorqua, « Je vous comprends, j’en ai marre de me faire traiter de lepéniste, donc je comprends. »
De tels échanges permettent de mieux comprendre le contenu et la signification de la récente décision de Mélenchon de commencer à dénoncer le socialisme. Il fut bien sûr tout au long de sa carrière un partisan du PS, de l’austérité sociale et de l’impérialisme français. Toutefois, en réaction à la crise mondiale du capitalisme et à l’effondrement sans précédent du PS en France, Mélenchon est en train de franchir un Rubicon politique.
La classe ouvrière est confrontée à l’émergence d’une Nouvelle droite violemment réactionnaire dirigée par des figures de la pseudo-gauche non moins compromises que le FN par leur association aux crimes du capitalisme européen au 20ème siècle. Ceci met en évidence l’exactitude des avertissements émis par le CIQI comme quoi la classe ouvrière ne peut organiser ses luttes qu’indépendamment et en opposition aux forces réactionnaires de la pseudo-gauche.
Mélenchon est en train de créer son MSR non pas comme un parti qui se trouve sur l’échiquier politique quelque part entre le PS et un parti vraiment de gauche, mais comme un parti capable de désorienter une opposition de masse contre le capitalisme en la menant dans l’impasse d’alliances avec des partis droitiers.
C’est ce qui sous-tend l’enthousiasme de Mélenchon pour Podemos, un nouveau parti réactionnaire de la pseudo-gauche en Espagne qui fut fondé au début de l’année par des professeurs staliniens groupés autour du dirigeant du parti, Pablo Iglesias, et la Gauche anticapitaliste (IA), les affiliés espagnols du NPA. Podemos a aussi recruté des conseillers du régime vénézuélien de feu Hugo Chavez. En tirant profit d’une promotion médiatique massive et du discrédit du PSOE et de la Gauche unie (Izquierda Unida, IU) dirigée par les staliniens, Podemos a fait un bond dans les sondages, prêt à dépasser le PSOE sur le plan électoral.
Podemos a annoncé vouloir travailler avec tout le monde, non seulement avec le PSOE, mais aussi avec l’armée et le Parti populaire (PP), le parti droitier issu du Mouvement national du dictateur fasciste Francisco Franco. Le mois dernier, Iglesias a annoncé que Podemos était prêt à « parler au PSOE et au PP parce que la responsabilité de l’Etat nous motive… Nous ne sommes pas sectaires. En ce qui concerne les questions programmatiques, nous n’aurons de problème avec personne. »
Après que, dans un discours prononcé devant un rassemblement d’hommes d’affaires à l’Hôtel Ritz de Madrid, Iglesias se soit déclaré « patriote », Podemos a commencé à recruter au sein de l’armée espagnole. Sa fédération au sein de l’armée a publié le 20 août en ligne une déclaration disant : « L’armée est aujourd’hui indispensable et nous ne voulons pas entamer un débat antimilitariste. » Au lieu de cela, elle a appelé à recruter sur la base de « ce que nous pensons peut servir toutes les idéologies existant au sein de l’armée. »
De tels commentaires sont d’autant plus remarquables que l’armée espagnole actuelle descend de l’armée de Franco qui a tué, durant la guerre civile espagnole de 1936-1939, des centaines de milliers d’Espagnols dans un soulèvement contre-révolutionnaire visant à écraser la République espagnole.
Les commentaires faits par Iglesias ont cependant enthousiasmé Mélenchon. Il a invité plusieurs dirigeants de Podemos à participer fin août à l’université d’été du PG. Lors de la fête de l’Humanité, le quotidien du Parti communiste français, Mélenchon a fait part aux médias de toute son admiration pour Podemos. « Ils disent ce que je n’ai jamais osé dire », a-t- précisé. « Ils donnent la ligne d’une nouvelle confrontation ».
C’est la puanteur de la réaction sociale qui émane de tels commentaires. Quel genre de « confrontation » Podemos veut-il organiser en se fondant sur des alliances avec le PSOE, le PP et les recrues rassemblées au sein des forces armées espagnoles sur la base de « toutes les idéologies existant au sein de l’armée ? » Ce sera la confrontation entre l’establishment politique haï et la classe ouvrière.
(Article original paru le 18 octobre 2014)