Le Parti la Gauche allemand profère des paroles nationalistes
Par Peter Schwarz
4 juillet 2013
La vice-présidente du parti La Gauche allemand, Sarah Wagenknecht, s’est prononcée contre la formation des jeunes gens sans emploi issus d’autres pays européens.
Elle a dit au journal Die Welt que l’invitation adressée par le ministre allemand de l’Economie, Philipp Rösler (Parti libéral-démocrate allemand, FDP) aux jeunes gens de l’Europe du Sud de parfaire leur formation en Allemagne était un « vrai camouflet pour les centaines de milliers de jeunes gens qui vivent en Allemagne, et dont un grand nombre n’a jamais eu cette chance. »
« Avant d’attirer des talents d’autres pays, nous devons entreprendre une offensive dans l’éducation en Allemagne et former la génération perdue, » a dit Wagenknecht. Elle faisait référence aux chiffres de l’emploi du marché intérieur, publiés par l’agence fédérale de l’emploi et selon lesquels près d’un million de jeunes entre 15 et 35 ans étaient au chômage au mois de mai en Allemagne.
L’argument de Wagenknecht rappelle les slogans bruts des néonazis. Au lieu de la solidarité internationale des travailleurs et des jeunes, elle préconise leur division sur des lignes nationales. « Des emplois pour les Allemands d’abord » est un slogan populaire du Parti national allemand (NPD).
Embarrassés par le discours nationaliste de Wagenknecht, certains représentants du parti La Gauche (Die Linke, l’homologue allemand du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon) tentent de faire marche arrière. Dietmar Bartsch, vice-président du groupe parlementaire, a affirmé que Die Linke ne « monterait pas les jeunes chômeurs de Grèce, d'Espagne et d'Allemagne les uns contre les autres. » Le député Stefan Liebich a dit que Die Linke préconisait des frontières ouvertes. « Et donc, tout le monde est bienvenu, » a-t-il dit.
Mais, les slogans nationalistes de Wagenknecht ne sont ni une erreur ni un accident. C'est le résultat logique de l’orientation sociale et politique de Die Linke.
Le parti réagit à l’aggravation de la crise économique internationale en se tournant vers l’Etat-nation. Il veut renforcer l’Etat afin de protéger l’économie allemande et tout spécialement la classe moyenne supérieure, contre la concurrence internationale et étouffer les contradictions de classe.
En cela, Wagenknecht joue un rôle idéologique de premier plan. Dans les années 1990, en qualité de porte-parole de la Plate-Forme communiste, elle avait défendu le régime de l'Allemagne de l’Est et son programme stalinien et nationaliste du « socialisme dans un seul pays. » Aujourd'hui, elle se réclame du chancelier d’après-guerre Ludwig Erhard et de sa politique de l’« ordolibéralisme », c’est-à-dire de l’intervention de l’Etat pour soutenir l'économie de marché.
Le politicien chrétien-démocrate ultra conservateur, Erhard, a joué un rôle crucial dans le capitalisme d’après-guerre allemand en tant que ministre de l’Economie et chancelier, en se fondant sur une théorie économique liant l'économie de marché à un cadre régulateur national. (Voir : “Left” figurehead of German Left Party praises meritocracy and the market)
Lors d’une interview accordée au journal Straubinger Tageblatt, Wagenknecht a dit récemment : « Quiconque pense que la vieille République fédérale [Allemagne de l’Ouest] était une bonne chose ne peut que voter pour Die Linke. » Elle s’adressait tout particulièrement à la classe moyenne supérieure allemande qui, a-t-elle dit, « serait mieux servie » par Die Linke.
La référence à la République fédérale de Konrad Adenauer et de Ludwig Erhard dont la politique étrangère avait été façonnée par la guerre froide et dont politique intérieure était marquée par l’intolérance, l’anticommunisme et l’arriération culturelle en dit long sur l’orientation politique de Wagenknecht et de Die Linke.
Wagenknecht rejette expressément une perspective socialiste, la mobilisation internationale de la classe ouvrière pour l’expropriation des banques et des grands groupes ainsi que la réorganisation socialiste de la société. Le « modèle d’une économie planifiée centralisée » a échoué en Allemagne de l’Est, a-t-elle dit dans l’entretien mentionné ci-dessus. Mais elle n’a rien dit de la responsabilité du parti étatique stalinien dans l’ancienne Allemagne de l’Est qui avait réprimé la démocratie, sabordé la planification de l’économie et mené finalement à la restauration du capitalisme.
La promotion par Die Linke de l'économie de marché, de l’Etat-nation et de la classe moyenne supérieure signifie inévitablement un nouveau glissement vers la droite. Ceci confère à la couleur symbolique rouge du parti une teinte brune bien distincte. Les slogans nationalistes droitiers venant de ses rangs ne sont pas une nouveauté.
Le fondateur du parti, Oskar Lafontaine, qui est lié à la fois politiquement et personnellement à Wagenknecht, s’était insurgé contre « les travailleurs étrangers » en 2005. Il était du devoir de l’Etat « d’empêcher que des pères de famille et des femmes perdent leur emploi parce que des travailleurs étrangers ont pris leurs emplois en raison des bas salaires, » avait-t-il dit à l’époque lors d’une réunion à Chemnitz.
Lafontaine a dernièrement réclamé une « politique salariale axée sur la production » au sein de l’Union européenne. Pour aligner les salaires dans les pays d’Europe méridionale sur la faible productivité qui y règne et arriver à une « compétitivité presque équilibrée », il a suggéré de revenir à la monnaie nationale. Puis, par une dévaluation, « des pays comme la Grèce, le Portugal et l’Espagne deviendraient 30 pour cent moins chers. »
Cette proposition vise à diviser la classe ouvrière européenne et à monter les travailleurs les uns contre les autres. Wagenknecht le soutient et reconnaît qu’il y a « un chevauchement considérable » entre le parti anti-européen droitier Alternative für Deutschland (AfD, Alternative pour l’Allemagne) et Die Linke. L’AfD émet « une critique correcte sur un bon nombre de points à l’égard de l’actuel plan de sauvetage de l’euro, » a-t-elle récemment fait remarquer.
(Article original paru le 3 juillet 2013)